« L’Afrique, la diaspora africaine et les Afro-Américains peuvent construire des ponts pour prospérer »

De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis attirent toujours autant, notamment des jeunes en quête de formation de très haute qualité. Entre les nouveaux venus, les diasporas africaines implantées dans le pays depuis plusieurs générations, mais aussi les Afro-américains souhaitant renouer avec leurs lointaines origines, les échanges entre les Etats-Unis et le continent africain sont de plus en plus denses. Et notamment sur les plans culturel et économique. Le Think Tank « Diaspora Connect », initié par le cabinet de conseils « The OneGroup », a d’ailleurs été créé pour promouvoir ces liens. Son fondateur, l’avocat Dexter C. Cummings, répond aux questions de Cio Mag.  

Cio Mag : Pouvez-vous nous raconter la genèse de « Diaspora Connect » ? D’où est venue l’idée de créer un Think Tank dont la vocation est de promouvoir les échanges entre les diasporas africaines aux Etats-Unis et le continent africain ?  

Dexter C. Cummings : Lors de mon premier voyage en Afrique, j’ai éprouvé un très fort sentiment d’appartenance à ce continent, ce lieu d’où venaient mes ancêtres. J’ai perçu nos similitudes, j’ai compris nos différences et je me suis dit que notre histoire, celle de l’esclavage, pouvait être notre « super-pouvoir », celui du continent comme des diasporas. Aux Etats-Unis, ce concept existe depuis longtemps, mais il n’a jamais été réellement exploité. Nos sentiments et notre héritage commun s’expriment dans de nombreux domaines, de la nourriture à notre apparence, en passant par notre expression culturelle (musique, art, religion). Aussi, nous faisons face à des problématiques communes. Il existe toujours de grandes différences d’opportunités et des difficultés d’accès à certains postes. Cela maintient les Africains, la diaspora africaine et les Afro-américains dans une situation de domination économique. Cependant, je suis persuadé que nous devons, d’une part, capitaliser sur la souveraineté que possèdent les nations africaines et sur les vastes ressources de l’Afrique et, d’autre part, sur l’accès au capital et aux compétences que la diaspora africaine a acquis.    

De nombreux – sinon tous les économistes, théoriciens et PDG d’entreprises savent que des choses incroyables pourront se produire lorsque l’Afrique et sa diaspora se seront vraiment réunies. De mon côté, je travaille, depuis près de 20 ans, sur des projets basés en Afrique. J’ai ainsi senti que c’était le moment de créer autre chose. Et c’est en 2020 que Diaspora Connect est né.   

Concrètement, quel est le rôle de ce Think Tank ?  

L’objectif de Diaspora Connect est d’identifier la manière dont nous pouvons créer un impact économique collectif. Nous établissons des connexions pour que la diaspora puisse en apprendre davantage sur les besoins de l’Afrique et sur l’opportunité de fournir ce qui est nécessaire. Cela concerne notamment la technologie, l’accès au capital et le développement du capital humain – qui est l’« infrastructure » la plus critique. Un exemple : la « richesse culturelle » de l’Afrique ne s’est pas encore traduite par une richesse économique. Nous n’avons jamais « possédé » l’infrastructure, les processus à valeur ajoutée ou nous n’avons pas suffisamment capté la propriété intellectuelle associée à notre génie. Cela persiste en partie à cause du manque d’informations et de ressources.  

Pour résumer, nous avons une diaspora africaine hautement qualifiée, qui a besoin de se reconnecter avec l’Afrique.

Ainsi, nous créons des opportunités d’échanges d’informations et de ressources lors de nos événements, pour que des initiatives pérennes voient le jour. Par exemple, l’introduction d’un financement à long terme de programmes uniques et de technologies intelligentes. Leur mise en œuvre dans divers écosystèmes peuvent avoir un impact énorme pour les entités participantes aux États-Unis comme en Afrique. 

Dexter C. Cummings, Fondateur de « Diaspora Connect »

Comment analysez-vous l’organisation des diasporas africaines aux Etats-Unis ? Sont-elles structurées ?  

Aux États-Unis, il existe un grand nombre d’organisations qui rassemblent les diasporas africaines. Certaines sont centrées sur le sport. D’autres ont des intérêts politiques, sociaux, professionnels et économiques ici et dans leurs pays d’origine respectifs. Cette diversité et cette dispersion peuvent rendre difficile la mobilisation autour de questions critiques, ainsi que la prise de décision. Nous l’avons observé à la suite de la mort de George Floyd et de la montée du mouvement Black Lives Matter. Diaspora Connect a organisé une table ronde afin de savoir si la réponse de l’Afrique et de sa diaspora à ce triste événement était suffisante. Nous avons convoqué une réunion d’athlètes, de chefs d’entreprises africains, de professeurs de l’Université Howard, aux États-Unis, d’entrepreneurs africains et de la diaspora, d’un représentant de l’État de Virginie et d’un ambassadeur d’Afrique du Sud. En fin de compte, nous avons soulevé des questions sur le rôle de l’Afrique. Par exemple, qui peut protéger les Noirs américains ou les personnes d’ascendance africaine dans le monde ? Ces échanges ont produit des collaborations entre les entrepreneurs, des invitations de l’Afrique du Sud à la communauté des affaires de l’Etat de Virginie et des collaborations entre l’Université Howard et la Women Ambassadors Foundation.  

Aux États-Unis, quel est le lien entre les Afro-Américains, les diasporas africaines et le continent africain ?  

Traditionnellement, le lien avec l’Afrique n’était ressenti que par les immigrants africains et leurs enfants. Nous observons d’ailleurs qu’un nombre croissant de membres de la diaspora africaine, dotés de solides compétences, ont un grand désir de retourner dans leur pays pour faire la différence.  

D’un autre côté, la culture africaine est de plus en plus présente aux Etats-Unis et les Afro-Américains y sont de plus en plus exposés. Ils sont, par exemple, influencés par l’explosion de l’art, de la musique, de la nourriture et de la mode en Afrique. Le succès croisé de Bruna Boy et d’autres Nigérians, le dernier album de Beyoncé et la préférence pour les designers africains ont contribué à alimenter la prise de conscience de ce qu’est l’Afrique. Les artistes et créateurs africains ont commencé à raconter l’histoire et elle continue de pénétrer la culture populaire américaine – qui était en grande partie tirée par la culture afro-américaine. Cette confluence, associée à l’importance géopolitique et économique du continent africain, a alimenté l’intérêt accru pour la culture africaine. De plus, les Africains de premières et deuxièmes générations accèdent à des postes de très haut niveau en Amérique et même en Europe. Ils partagent l’information avec les amis et collègues Afro-Américains.   

Enfin, je dirais que les Afro-Américains sont de plus en plus intéressés à explorer leur identité, à s’interroger et à comprendre d’où ils viennent.

L’accès généralisé récent aux tests ADN a rendu plus accessible cette découverte des origines.  Ainsi, nous voyons d’un côté l’acceptation de la culture africaine par les Afro-Américains aux États-Unis et, de l’autre, un énorme appétit pour la culture noire américaine par les Africains du monde entier. Cette assimilation, dans les deux sens, est également alimentée par la technologie mobile et les médias sociaux. Tout ceci crée une quantité infinie d’opportunités de connexion pour l’Afrique et sa diaspora.  

En termes de business, voyez-vous un intérêt croissant des Afro-Américains pour l’Afrique ?  

Il y a cinq ans, on me mettait en garde contre le fait de faire des affaires en Afrique. Aujourd’hui, beaucoup de mes collègues et amis d’affaires sont impatients d’en savoir plus sur l’Afrique, sur son paysage commercial et ses opportunités. L’année du retour au Ghana a joué un rôle dans ce changement. Et les cérémonies d’ouverture de la NBA Africa ont également favorisé cette sensibilisation. La vague d’intérêt pour l’Afrique est liée à l’économie, à la démographie, aux ressources et à l’énorme opportunité – et au potentiel – que présente le continent.  

Comment transformer ces liens en opportunités économiques ?  

Nous avons besoin de l’Afrique et de ses dirigeants pour ouvrir la voie à sa diaspora. Il est non seulement nécessaire que l’Afrique maintienne le cap, mais qu’elle redouble d’engagement pour offrir des opportunités aux Afro-Américains et à toute la diaspora africaine. De notre côté, nous souhaitons favoriser ces connexions dans les secteurs sociaux et commerciaux. Nous espérons que cela conduira à des collaborations plus substantielles entre l’Afrique, les Africains, les Afro-Américains et la diaspora africaine dans le monde. Pour répondre aux opportunités commerciales en Afrique, nous essayons de créer des opportunités pour les immenses talents et les compétences qui proviennent à la fois de l’Afrique et de la diaspora africaine. Un exemple de réussite : notre client américain Orion AST, une société satellitaire américaine appartenant à des Afro-Américains. Elle travaille aujourd’hui avec les Africains de l’Est et de l’Ouest pour offrir des opportunités de transformation, non seulement en Afrique, mais aussi aux États-Unis.   

Ainsi, l’Afrique et la diaspora africaine peuvent construire des ponts – “une infrastructure” – pour résoudre nos défis collectifs. Je crois fermement qu’ensemble, nous avons tout ce qu’il faut pour le faire et pour prospérer. L’Afrique, la diaspora africaine et les Afro-Américains peuvent construire des ponts pour résoudre nos différents problèmes et prospérer.  

Camille Dubruelh

Camille Dubruelh, Journaliste, coordinatrice éditoriale Cio Mag

Journaliste multimédia depuis 2010, Camille Dubruelh s’est spécialisée sur l’actualité du continent, traitant de domaines aussi divers que la politique, l’économie ou encore la culture. Très intéressée par les nouvelles technologies, le monde des start-ups et l’impact du digital sur le processus de développement, elle a rejoint en 2019 Cio Mag, le magazine de référence sur le digital africain, où elle exerce la fonction de coordinatrice éditoriale. Au-delà de ses fonctions au sein du magazine, elle anime régulièrement des conférences, en France et en Afrique, online et en présentiel, sur la thématique de l’économie numérique, de l’innovation et du financement.

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