ATDA 2021 : quelle marche vers un cloud africain souverain ?

Le premier panel de la 2ème journée des ATDA était consacré à la thématique : « Migration vers le cloud, réalité et nécessité ? Retour d’expériences des DSI sur les étapes, les avantages, les risques de la migration et la marche vers le cloud souverain africain. » 

(Cio Mag) – Co-organisé par Cio Mag et la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP-Maroc), ce 10ème anniversaire des ATDA a été officiellement sponsorisé par l’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Benguérir où les échanges se sont déroulés ; et l’Agence de développement du digital (ADD) du Maroc. 

Les premiers débats de la seconde journée des ATDA ont porté sur la nécessité ou non pour les pays africains de migrer vers le cloud. En effet, ce terme désigne l’ensemble des solutions de stockage de données sur des serveurs distants et accessibles via internet. Il offre la possibilité de délocaliser un grand nombre de services informatiques tels que le stockage des données, l’hébergement des applications, la sauvegarde des données, etc. 

« Migration vers le cloud, réalité et nécessité ? » A cette question centrale, les représentants des clubs DSI – directeur de système d’information – ont partagé leurs expériences sur les avantages, les risques de la migration et la démarche à suivre pour parvenir au cloud souverain africain. 

Expériences des clubs DSI du Maroc, de la Tunisie et du Sénégal 

Au niveau de chaque entité, les expériences sont totalement différentes. « La relation entre le Crédit agricole du Maroc et le cloud est freinée par une règlementation qui empêche d’enregistrer les données sensibles à l’international ; il faut que ce soit national. Ainsi, notre réflexe naturel est de ne pas envisager le cloud », avoue Lhoussaine Drissi, représentant du club DSI du Maroc. 

Cependant, « nous avons l’obligation d’aller sur le cloud, renchérit-il. Nous avons mis en place une optique de cryptage des données. Nous les traitons à l’extérieur et nous les rapatrions. Il y a des contournements qui malheureusement ne semblent pas faisables sur des systèmes de gestion. Le cloud peut être envisagé mais sur la partie externalisée. » 

Avant d’aborder le cas de son pays, Raouf Mkadmi, représentant du club DSI de la Tunisie, évoque deux conclusions auxquelles est parvenue une étude : « les entreprises africaines vont beaucoup plus vite vers les services autour du cloud que d’héberger leurs données dans le cloud » et « 58% des entreprises africaines interrogées placent la règlementation comme premier frein devant l’adoption des clouds. » Inexistante ou incohérente selon les pays, la règlementation crée un environnement de confiance entre le prestataire de cloud et le client, surtout en matière de sécurité des données et de continuité des activités. 

En Tunisie, la réalité est telle que les entreprises privées vont plus rapidement vers le cloud que l’administration. Pour cause, les gouvernants tunisiens ont du mal à accepter que les données d’une entreprise publique soient hébergées en dehors de ses locaux. « C’est un problème culturel sur lequel le club DSI travaille depuis un moment à travers la formation, l’information et la sensibilisation », confie Raouf Mkadmi. 

A en croire le représentant du club DSI du Sénégal, Abdoulaye Boly Dioum, c’est une solution hybride qui a été adoptée par son entité. « Nous étions focalisés sur comment gérer nos données en interne en choisissant l’option d’un cloud privé, informe M. Dioum. A travers un opérateur sénégalais, nous avons délocalisé nos données au Canada. Lorsque la loi sur la protection des données personnelles s’est imposée à nous, nous étions obligés de revoir notre stratégie en rapatriant le serveur de secours du Canada, l’épine dorsale du plan de continuité des activités que nous avons déployé. Maintenant, nous avons redéfini ce plan pour aller vers une solution cloud. » 

Avantages et risques de migration vers le cloud 

Le Mali a très tôt adopté le cloud à travers une solution propriétaire à faible coût, englobant les différentes tâches au niveau de la messagerie, du travail collaboratif et de la productivité. Le résultat ne s’est pas fait attendre. « Le cloud nous a permis de transformer l’informatique en centre de profits plutôt qu’en centre de cours. Il nous dispense des tâches répétitives du quotidien. Nous ne nous occupons plus du contenant mais du contenu », se réjouit Mody Seck, président du club DSI du Mali. 

Mieux, « le cloud nous a permis de valoriser certaines ressources humaines qui ne se considéraient pas comme faisant partie de la chaîne. Il permet de vulgariser l’information et de faire participer tout le personnel à la vie de l’entreprise. De même, il permet de valoriser le SI et d’accroître la productivité au niveau de l’organisation. » 

Si au Mali, la migration vers le cloud impacte la productivité, au Sénégal, elle a des incidences sur l’économie. « Au niveau du management des DSI, le cloud nous permet de limiter les frais du personnel et nous décharge de plusieurs tâches administratives. Aussi, nous a-t-il permis d’être plus présent sur la chaîne de gouvernance, de mieux comprendre la stratégie de la société afin de mieux planifier et séparer les tâches », explique le DSI du Sénégal. 

La migration vers le cloud peut être bénéfique sur plusieurs autres aspects. En Tunisie, on parle de la réduction de la fracture numérique et de la démocratisation de l’introduction des petites entreprises dans les Tics. Au Maroc, il est surtout question d’agilité et de disponibilité. 

Démarche vers le cloud souverain africain 

Chaque pays a son idée de la démarche à suivre pour parvenir au cloud souverain africain. Lhoussaine Drissi parle de la sensibilisation sans laquelle, « on ne peut pas prendre les bonnes décisions. » « Nous ne pouvons pas parler de souveraineté alors que nos pays sont des consommateurs de technologies. La souveraineté, c’est aussi être capable de produire de la technologie », tranche-t-il. 

Pour Raouf Mkadmi, la démarche doit plutôt se baser sur la construction de l’infrastructure, de la bande passante et de la sécurité des données. Il faudra surtout s’appesantir sur l’harmonisation, la règlementation autour des données et des flux ; faire une veille règlementaire et instaurer un label africain de datacenter. 

« Il faut savoir ce qu’on veut faire à l’échelle d’une entreprise, d’un secteur ou d’une nation. Tout ceci doit relever d’une stratégie cohérente qui va au niveau sous régional et régional. Il faudra former les chefs d’entreprise et sensibiliser les gouvernements », préconise Abdoulaye Boly Dioum. 

En conclusion, l’ex-secrétaire général du Ministère des TIC marocain et modérateur du panel, Taieb Debbagh a déclaré qu’« il faut mettre en place un agenda de la souveraineté numérique en Afrique. Celui-ci doit passer par le leadership et l’approbation des 32 chefs d’Etats membres de Smart Africa. Cet agenda peut être décliné 5 points : la gouvernance et la mise en place de structures organisationnelles; la législation, la règlementation et l’harmonisation; les infrastructures et la sécurité; le développement des capacités, la sensibilisation et le développement des compétences. Un cloud africain de souveraineté ne se fera pas seul : il faut prévoir le type de partenariat et la coopération nécessaire pour atteindre cet objectif. » 

Michaël Tchokpodo

Michaël Tchokpodo est journaliste communiquant, grand observateur des mutations relatives aux technologies numériques et au développement durable. Correspondant au Bénin pour CIO Mag.

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