Omar Seghrouchni : « évitons bidonvilles digitaux et constructions numériques insalubres »

(Cio Mag) – Il n’est plus à l’ordre du jour d’expliquer l’importance du digital au même titre qu’il n’est plus pertinent d’expliquer, aujourd’hui, l’importance et l’intérêt d’avoir un toit sous lequel il est important de se réfugier. Ceux qui n’étaient pas convaincus, le sont devenus du fait de cette pandémie du Covid-19.

Construire une habitation, un bureau, un supermarché ne répond pas aux seules règles d’efficacité, de rapidité, de fourniture de services, mais aussi à des politiques d’aménagement des territoires, des espaces urbains et ruraux, des littoraux, des espaces verts, des zones industrielles, etc.

Il n’est plus de mise, de nos jours, d’expliquer l’importance d’un permis de construire, d’un permis d’habiter, d’une assurance, etc.

Nous ne sommes pas autorisés à construire ce qu’on veut, comme on veut, quand on veut … Il ne faut pas être dans une « course à l’application », mais dans une stratégie de déploiement responsable des usages.

L’aménagement de nos espaces de vie est un mélange, parfois très savant, d’histoire, de culture, de règles sociales, d’esthétique et de formules d’ingénieurs.

Il en va de même lorsqu’il s’agit de construire notre écosystème numérique. Il faut une convergence positive entre le citoyen, le client, l’architecte, le chef de chantier, le maçon, le spécialiste des espaces verts, le décorateur d’intérieur, etc.

Il peut être parfois handicapant de ne penser une construction qu’en logique de position et situation, de superficie et de plan d’occupation des sols, sans prêter attention aux problématiques de sécurité, de nuisances sonores, de vie privée, etc.

Cette logique et ces principes de bon sens s’imposent que vous soyez spécialiste du béton armé ou du numérique.

Pour le développement de notre écosystème digital, il est important d’éviter les constructions insalubres : une des règles à respecter, mais ce ne sera pas la seule, est la protection des données à caractère personnel qui n’est finalement qu’un des éléments de mise aux normes de notre écosystème numérique. Ni plus, ni moins.

Ce n’est pas parce l’hiver approche et qu’il faut, urgemment, protéger les populations du froid, que nous nous autorisons à construire des logements insalubres. De la même façon, l’urgence ne doit pas nous empêcher de penser notre numérique et d’envisager une digitalisation responsable.

Il ne s’agit pas de construire un bâtiment sans précautions antisismiques, mais, ceci n’empêchera probablement pas un écroulement en cas de tremblement de terre hors norme. Comme il s’agit aussi, de bien concevoir la sécurisation des accès, et ceci n’empêchera pas l’intrusion de malfaiteurs suréquipés.

La question n’est pas d’annuler le risque, mais de le maîtriser au mieux, et ce, concernant aussi bien les bâtisses en béton armé que celles en numérique.

Ainsi, dans le même ordre d’idée, il est question de concevoir un écosystème numérique en mesure de prendre en compte le respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel et l’indépendance informationnelle des Etats et des citoyens.

La protection des données à caractère personnel constitue les fondations d’une bâtisse dont les étages doivent permettre de préserver l’indépendance informationnelle des citoyens et l’autonomie de gouvernance des Etats.

L’intrusion dans la vie privée évolue avec les technologies. L’accès non réglementé à vos données à caractère personnel, au-delà du désagrément de base, peut ouvrir la voie à des manipulations de modes de consommations ou à des influences malsaines des opinions.

Une fois votre bâtiment terminé, il faudra organiser sa décoration intérieure et le meubler. Comme tout bâtiment doté de son mobilier, une application digitale va être « meublée » par des données à caractère personnel. Plus que cela, elle va en consommer et en produire.

La aussi, des règles d’aménagement, pour certaines existantes, pour d’autres à amender ou à créer, s’imposent pour une gestion citoyenne de ces données.

Ce droit de protection des données à caractère personnel, qui prend de plus en plus d’importance dans notre quotidien globalisé, reste malgré tout, sous sa forme actuelle, un droit récent. C’est ce qui fait que nous n’avons pas encore tous les réflexes.

Mais les choses vont tellement vite qu’il ne serait pas optimal de se laisser embarquer dans des constructions numériques que l’on qualifierait, par facilité analogique, d’insalubres.

La protection des données à caractère personnel se trouve face à des défis nouveaux : comment contribuer à réduire les risques de manipulations des modes de consommations ou réduire les propensions d’influences malsaines des opinions, du fait d’un usage non respectueux de données à caractère personnel.

C’est le véritable enjeu au Maroc, en Afrique et dans le Monde. C’est pour cela qu’une politique de digitalisation ne peut être conçue comme une simple transposition dans le monde informatique de mécanismes et de processus existants, récents ou anciens.

Les concepts de bonne gouvernance en matière de responsabilité sociale devront être étendus pour porter cet objectif que doit être la digitalisation responsable.

L’enjeu n’est pas qu’un objectif égoïste de préservation de la vie privée, il y a des enjeux de gouvernance de nos environnements économiques, voire politiques. Nous pouvons aller plus loin en disant que l’enjeu véritable est peut-être moins la donnée en tant que telle, mais plutôt ce que l’on peut faire avec.

Afin que les étages supérieurs de la bâtisse « digitalisation » répondent aux bonnes normes, il peut être utile de construire avec une vision consolidée d’architecte, d’urbaniste, d’entreprise de travaux, de décorateur intérieur et surtout… celle de ceux qui vont la fréquenter.

Le Maroc a cumulé un savoir-faire en ce sens, qu’il se doit de mettre au service de l’Afrique, notre continent, et de ses partenaires partout dans le Monde.

Omar Seghrouchni, Président de la CNDP (Commission Nationale de contrôle de la protection des Données à caractère Personnel) et Président de la CDAI (Commission du Droit d’Accès à l’Information)

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