Encourager l’introduction et la mise à l’échelle de l’IA dans les soins de santé… les dix commandements…

L’IA s’infiltre progressivement dans le domaine médical, certains adeptes de la prospective la considèrent comme une panacée pour le système de santé, d’autres pensent qu’apporter des améliorations technologiques, précises et globales dans un domaine aussi sensible comme la santé n’a jamais été une mission facile.

Certes, la pandémie de la covid-19 a catapulté la transformation numérique et la connectivité de l’écosystème de la santé, afin de mieux répondre aux exigences sanitaires d’une population totalement ou partiellement confinée. Toutefois, la réussite de cette transformation serait tributaire d’un certain nombre de prérequis, notamment :

  1. Une synergie des efforts afin de converger vers une IA de qualité dans les soins de santé « la question de validité »

La notion de qualité est primordiale lorsqu’on parle de la santé, il faut faire attention au moindre détail, en particulier les problèmes liés à l’apprentissage, la qualité des bases de données et leur fiabilité, la qualité et la performance des algorithmes, le mode d’utilisation, la conception et la facilité d’utilisation de l’IA. Afin de stimuler l’accès à la Medtech par les professionnels de santé, il faut absolument développer le processus de validation et de preuves cliniques de qualité et d’efficacité, sinon les conséquences seront redoutables. Par exemple, en 2004 un accident de sur-irradiation est survenu à l’hôpital d’Epinal, à cause d’un problème informatique lié à l’intégrité des données, avait mené à un surdosage des doses d’irradiation entrainant plusieurs cas de décès.

La conception centrée sur l’utilisateur est un autre élément essentiel d’un produit de qualité. Le design doit avoir l’utilisateur final en son cœur. Cela signifie que l’IA doit s’intégrer parfaitement au flux de travail des praticiens et subir des améliorations continues en fonction des attentes des praticiens et des patients.

  1. Repenser le cursus de formation des professionnels de santé

L’IA dans le domaine de la santé nécessitera une révision intégrale du cursus universitaire des métiers de la santé, et une intégration précoce- dès la première année- de modules en sciences biomédicales et en science des données. Il y a eu des initiatives récentes pour former des étudiants ou spécialement des « résidents » en informatique médicale, mais cela reste insuffisant pour pouvoir accompagner ce virage numérique. Plus généralement, des compétences telles que la littératie numérique de base, les principes fondamentaux de la génomique, de l’IA et de l’apprentissage automatique doivent devenir courantes pour tous les futurs praticiens, complétées par des compétences de pensée critique et le développement d’un état d’esprit d’apprentissage continu. Parallèlement à la mise à niveau de la formation clinique, il faut augmenter le volume horaire dédié à la dimension humaine de la médecine, à l’empathie, la communication et bien sûr l’éthique médicale, autrement dit, aux aspects du métier qui ne pourront jamais être remplacés par une machine.

  1. Renforcer la gouvernance, la sécurité et l’interopérabilité 

À mesure que de plus en plus de soins de santé sont fournis à l’aide des nouvelles technologies numériques, les inquiétudes des citoyens quant à la manière dont les données de santé sont utilisées augmentent. Les structures de soins de santé et les praticiens devraient avoir des politiques de partage de données robustes, certifiés, conformes et qui soutiennent les améliorations des soins qu’offre l’IA tout en fournissant les bonnes garanties de sécurité et d’interopérabilité.

  1. Revoir l’architecture des emplois et des compétences dans le secteur de la santé

Les établissements de santé (public/privé) doivent revoir leur politique de gestion des ressources humaines, ils auront à s’ouvrir sur de nouvelles compétences essentielles à l’introduction et à l’adoption réussies de l’IA, tels que les data scientists, les ingénieurs en robotique ou les data ingénieurs. La demande pour de tels profils augmente dans tous les secteurs et la concurrence pour les talents devient de plus en plus féroce. Le secteur de la santé aura à développer des modèles flexibles et agiles pour attirer et retenir les génies de l’IA.

  1. Bien gérer le changement

La gestion du changement tout en introduisant l’IA n’est pas différente de la gestion du changement dans des institutions complexes de manière plus générale, mais pour les soins de santé, le leadership clinique est primordial, et le choix de bon cas d’usage qui accompagnent plutôt qu’antagonisent les praticiens et augmentent vraiment plutôt que remplacent leurs capacités pour offrir les meilleurs soins possibles à leurs patients. Cela pourrait inclure la priorisation des solutions axées sur la réduction du temps que les gens consacrent aux tâches administratives répétitives de routine, plutôt que celles qui cherchent à agir en tant qu’assistants virtuels qui interagissent directement avec les patients. In fine les structures de soins doivent moderniser leurs processus (soins, administratifs…) et capitaliser sur les opportunités que l’IA peut apporter.

  1. Mieux gérer les risques dans le domaine de la sécurité des données

Selon les adeptes de l’IA, dans le domaine de la sécurité des données de santé, il y a trois grands risques à gérer, notamment, la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité.

En fait, Dans le domaine de la santé, contrairement à ce qui circule dans les forums, ce n’est pas la confidentialité, qui est la principale source d’inquiétude, mais c’est plutôt le risque d’intégrité qu’il faut gérer en premier, puisqu’une anomalie de paramétrage ou de programmation pourrait être préjudiciable pour le patient, surtout dans le domaine de la chirurgie robotisée , la radiothérapie, ou la gestion automatique de certains traitements médicamenteux.

Ensuite, vient la question de la disponibilité, surtout dans le secteur hospitalier, ou le système d’information est le moteur de toute l’activité hospitalière.

En 2016, lorsque le système d’information d’un hôpital au sud de la Californie aux USA a été bloqué par un Rançongiciel pendant dix jours,  à des fins de demande de rançon, l’hôpital a été obligé de transférer les malades vers d’autres structures sanitaires, puisqu’il était impossible de les prendre en charge. Bien sûr, la question de confidentialité, est aussi importante. Certes, son impact sur le patient n’est pas aussi direct en comparaison avec les autres risques (intégrité et disponibilité), mais, dans certaines situations (psychiatrie, infection VIH, interruption volontaire de la grossesse….), la confidentialité revient au premier rang.

  1. Travailler à grande échelle et penser au partenariat public-privé (PPP)

Tous les hôpitaux ne pourront pas se permettre d’attirer de nouveaux talents en IA ou d’avoir accès à suffisamment de données pour rendre les algorithmes significatifs. Une ouverture inter-secteurs permettrait aux petites organisations de travailler dans des clusters d’innovation qui rassemblent l’IA, la santé numérique, la recherche biomédicale, recherche translationnelle ou autres domaines pertinents. Les grandes organisations doivent évoluer vers des centres d’excellence qui ouvrent la voie à des collaborations internationales, régionales et nationales (public-privé) pour faire évoluer l’IA dans les soins de santé.

  1. Réglementation

Toute la communauté médicale souligne l’importance de préciser si l’IA sera réglementée en tant que produit ou en tant qu’outil d’aide à la décision, et d’introduire une procédure réglementaire cohérente pour l’IA similaire à celle de l’octroi des autorisations de mise sur le marché (AMM) des médicaments. Un autre aspect doit être règlementé, notamment, l’accès des patients à certaines applications et dispositifs d’IA, faut-il les mettre en vente libre ou les limiter à la prescription ?

  1. La question de la responsabilité… un défi particulier

La sécurité des patients est primordiale, mais les managers des établissements de soins doivent également réfléchir à la responsabilité professionnelle et médico-légale des praticiens, ainsi qu’à la protection de leurs institutions contre les risques de réputation, juridiques ou financiers. La responsabilité des solutions d’IA – à la fois cliniques et techniques – est toujours partagée entre les organisations de santé et leur personnel.

  1. Financement de l’innovation

Le remboursement des actes et des dispositifs médicaux est resté figé depuis des années notamment en Afrique ; plusieurs prestations innovantes demeurent non remboursables, notamment, les algorithmes d’aide au diagnostic, les applications et les dispositifs dotés d’IA et même les actes de télémédecine. La responsabilité des décisions relatives au remboursement d’un acte ou d’un dispositif incombe aux instances de gestion et de régulation, et cette décision couvre généralement ce qui sera remboursé, à quel prix et selon quels conditions. Des critères clairs pour le remboursement des applications d’IA seraient nécessaires pour accélérer le déploiement à grande échelle des innovations dans le domaine de la santé.

Dr GHANIMI Rajae

Médecin spécialiste en médecine du travail
Présidente fondatrice de l’association Hippocrate DS
Ecrivaine et chercheuse, auteur de plusieurs articles sur la transformation digitale en santé.

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