Interview avec Omar ALI-YAHIA : «Mettre en place le e-learning, c’est donner la chance à toute personne d’acquérir des compétences»

A l’heure où la pandémie du Coronavirus contraint le monde entier au confinement avec pour corolaire le ralentissement ou la cessation d’activités dans divers secteurs, le digital apparaît comme la panacée. Il l’est encore davantage dans le secteur de l’éducation où l’arrêt des cours a favorisé la formation en ligne dans les Etats déjà préparés et engendre le tâtonnement chez les moins équipés. Omar ALI-YAHIA, Directeur général de Beeform E-learning et fondateur de la première plateforme E-learning 100% algérienne en 2017 analyse pour CIO Mag la situation.

Propos recueillis par : Michaël Tchokpodo, Bénin

CIO-MAG : Le Coronavirus a pris le monde entier de court et touche plusieurs secteurs vitaux dont l’éducation. Peut-on en mesurer l’impact ?

Omar ALI-YAHIA : Les impacts sont de divers ordres. Actuellement, le monde entier est confiné. Il y a des pertes économiques énormes, un crash boursier sans précédent. Toutes les entreprises sont à l’arrêt, la chute du coût du pétrole et les employés au chômage technique. C’est un coup très dur pour l’économie mondiale. Certaines industries comme celles pharmaceutiques et de fabrication de gels hydro-alcooliques trouvent leurs comptes mais les autres elles vivent des difficultés financières étouffantes.

Le digital quant à lui connaît actuellement un grand engouement. En plus de tous les problèmes qu’il résout en temps normal, on se rend compte que le digital constitue une solution incontournable aux mesures de confinement liées au Covid-19, notamment le commerce électronique, le télé travail, la formation en ligne, etc. C’est ce qui reste de l’économie pour sauver le monde entier de l’effondrement total, tout comme les réseaux sociaux qui permettent de maintenir les relations sociales, les plateformes de vidéo streaming et jeux vidéo en ligne pour divertir les personnes confinées.

L’éducation est le premier secteur touché de plein fouet. Les mesures de prévention et de distanciation sociale ont obligé l’arrêt total de toute activité liée à la formation. Vu que les établissements ont interrompu leurs programmes de formation, ils vont enregistrer des pertes. Cela risque de provoquer des retards dans la formation des entreprises qui se voit reportée automatiquement pour l’après-Covid, mais les établissements de formation professionnelle vont connaître un arrêt total d’activité et devront répondre aux coûts de structure. Ce qui les place dans une position financière critique, et pour une durée inconnue.

En Afrique où le e-learning n’est pas encore totalement développé, quel problème pose cette crise face à la formation et au développement des compétences ?

Au lieu de ralentir les activités, la crise les suspend carrément. Dans les pays où le e-learning est bien intégré, les écoles proposent des alternatives intéressantes pour assurer la continuité de leurs programmes de formation. Une entreprise qui a deux cent (200) employés au chômage technique, préfèrera profiter de la période d’arrêt de travail pour développer leurs compétences et progresser dans leurs plans de formation annuelle.

D’autre part, cela permettra aux établissements de proposer des formations et d’assurer une continuité d’activité de l’ordre de 70% à condition d’avoir adopté les solutions technologiques permettant de respecter les mesures de confinement. Par contre, pour les écoles qui ne sont pas équipées, c’est des pertes sèches parce que les charges fixes ne vont pas changer, les formateurs et les coûts de structure seront toujours dus.

Pour sortir de cette crise, la solution de l’Afrique serait-elle d’investir massivement dans le numérique et le développement du E-learning pour éviter que se creuse davantage la fracture numérique ?

Cette pandémie nous a fait prendre conscience que le numérique et les infrastructures sont importants. Aujourd’hui, si nous ne possédons pas d’infrastructures technologiques, on ne peut pas créer un écosystème capable de répondre à nos défis actuels et futurs. Si nous n’avons pas de bande passante suffisante, des infrastructures réseaux pour la transporter, des data center pour héberger notre contenu, le paiement en ligne pour valoriser ce dernier, nous ne pouvons pas faire émerger des champions capables de challenger technologiquement les plus grands de ce monde et l’Afrique restera toujours en marge de cette économie mondiale très profitable.

D’autant plus que le confinement nous met dans une situation inconfortable économiquement, socialement et humainement, cela pèse énormément sur les personnes, tout domaine confondu. C’est pourquoi, il est primordial d’investir dans ces infrastructures afin de permettre au plus grand nombre de communiquer, de se divertir, et d’avoir des activités tout en étant confiné, car le confinement agit négativement sur le moral de toutes les personnes concernées. Et cela place la technologie au cœur des questions de santé publique. Les Etats doivent investir dans les infrastructures, les télécoms, les Datacenter, les différents systèmes de paiement en ligne. Mais c’est aux acteurs économiques d’investir dans les outils comme les ERP, les plateformes collaboratives et de télétravail, les plateformes de E-Learning etc.

Chaque établissement d’enseignement doit investir dans ses outils technologiques pour la création de ses contenus. Les entreprises doivent investir dans tout ce qui est solution de télétravail pour permettre à leurs employés de continuer à travailler à distance. Il faut encourager les start-ups dans le secteur du e-commerce sur tout ce qui est service en ligne afin de permettre aux gens qui sont chez eux de continuer à consommer. Si les citoyens arrêtent de consommer, c’est toute une économie qui s’arrête. C’est un écosystème basé sur deux choses : les infrastructures et la législation. Quand on parle d’infrastructures, on fait allusion à l’internet haut débit, les solutions de paiement en ligne, la carte bancaire, et le data center nécessaires au bon fonctionnement du business, et la législation permet de protéger les parties prenantes.

Quelle solution proposez-vous ?

Nous sommes spécialisés dans le e-learning. Nous faisons un travail pédagogique énorme sur nos clients et partenaires afin de les faire adhérer à ces outils technologiques. Nous vivons dans une époque où les jeunes générations sont complètement averties par rapport aux outils technologiques, ils ont tous des smartphones, ils maîtrisent la technologie et communiquent sur les réseaux sociaux. Donc, les populations sont complètement prêtes à adopter ce genre d’outils qui leur facilitent la vie. Beeform est spécialisée dans l’accompagnement des projets e-learning de bout-en-bout. C’est-à-dire de l’infrastructure informatique jusqu’à la création de contenus en passant par les plateformes pédagogiques.

Notre mission est d’accompagner les écoles à digitaliser leurs services de formations. Nous accompagnons aussi les entreprises sur des projets de formation sur mesure compte tenu des contraintes pendant cette période de Covid-19. Nous avons constaté que nous ne pouvions plus faire venir des formateurs en studio pour produire du contenu afin de les rendre à disponible en  ligne. Nous avons donc mis en place une deuxième plateforme qui est hybride, qui fait de la vidéoformation et propose des classes virtuelles en direct. Cette plateforme est destinée principalement aux écoles afin de les aider dans la diffusion des cours. L’école n’a pas besoin d’avoir du contenu au préalable. C’est une plateforme qui fournit des classes virtuelles en direct et qui permet l’enregistrement des cours afin de les consulter en différé plus tard.

Si les pays occidentaux ont très vite mis à la disposition de leurs apprenants des formations en ligne pour juguler l’arrêt des cours, est-ce qu’on peut dire que l’avenir de l’éducation en Afrique passera par le e-learning ?

Le E-learning est un outil qui permet de former un très grand nombre (ce qui nous rends performants dans la production de compétences), c’est aussi son accessibilité à tout moment et partout dans le monde qui permet de se former de n’importe quelle périphérique connectée dans le monde (aucune contrainte géographique). Mettre en place de pareils systèmes, c’est donner la chance à toute personne de réussir, d’acquérir des compétences. Et généralement, ces compétences sont mises au service du pays. Cela permet également d’investir sur la première ressource d’Afrique qui est l’humain.

Avez-vous un plan de déploiement de Beeform en Afrique ?

Actuellement, nous travaillons sur la Tunisie, le Maroc et la France. Pour l’Afrique subsaharienne, nous serons ravis de collaborer avec les acteurs locaux. Nous manquons actuellement de contact en Afrique. Il est grand temps qu’on puisse unir nos forces pour avancer ensemble, et nous retrouver autour des difficultés qui sont les nôtres. 400 millions d’africains connectés représente un marché énorme. Nous devons envisager des partenariats sud-sud pour développer en Afrique des projets que nous pouvons déployer en Europe ou en Asie. Le digital, c’est l’avenir. Il permettra de résoudre énormément de complications, y compris celles liées à la pandémie du Covid-19, de la performance des entreprises et de la continuité des activités.

 

Pin It on Pinterest