5 questions à Dr Qemal Affagnon : « l’Afrique est la deuxième région la plus touchée au monde par les blocages du réseau Internet »

(Cio Mag) – La problématique de régulation des contenus digitaux a fait l’objet d’une rencontre initiée par la Fondation pour la protection des valeurs nationales ce 20 janvier en Allemagne. Invité à cette table-ronde, Dr Qemal Affagnon, responsable pour l’Afrique de l’Ouest au sein d’Internet Sans frontières a exposé les contraintes liées à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux en Afrique. Il en fait un résumé à CIO-MAG.

Propos recueillis par : Michaël Tchokpodo

CIO-MAG : Vous étiez invité à la table-ronde sur la liberté d’expression à l’ère des réseaux sociaux organisée en Allemagne. Quel point de vue avez-vous défendu en cette occasion ?

Qemal Affagnon : Le 20 janvier  2020, j’ai effectivement pris part à la table-ronde sur la liberté d’expression à l’ère des réseaux sociaux qui s’est tenu à Berlin. Dans ce cadre, mon propos a porté sur l’impact économique des coupures d’Internet en Afrique. En me basant sur le nombre total de coupures d’Internet qui ont eu lieu sur le continent Africain, je suis parvenu au constat que ces actions témoignent d’une atteinte directe à la liberté d’expression. Au cours de mon intervention, j’ai par ailleurs insisté sur le fait que l’Afrique est aujourd’hui la deuxième région la plus touchée au monde par les blocages du réseau Internet.

Malheureusement, de tels actes continuent à se produire comme on a pu le voir récemment au Togo où, les installations de l’opérateur Togocom ont connu de sérieuses perturbations durant 22 heures. D’après Netblocks, une organisation avec qui nous collaborons dans le cadre de nos activités, une journée de coupure  d’Internet fait perdre près de 158 millions de francs Cfa à un pays tel que le Togo. De plus, je tiens à rajouter que durant la table-ronde, j’ai mis l’accent sur le fait que de tels actes mettent en danger la liberté d’expression et témoignent d’un échec de gouvernance politique.

Face aux coupures périodiques d’internet, à l’instabilité de la connexion internet et à la cherté du coût d’accès à internet, les internautes africains jouissent-ils réellement de leur liberté d’expression via les réseaux sociaux ?

Au regard de toutes ces pratiques, il y a lieu de s’alarmer car aussi bien l’instabilité de la connexion internet, les coupures périodiques d’internet que  la cherté du coût d’accès à internet empêchent les internautes africains de jouir réellement de la liberté d’expression sur les réseaux sociaux. A la mi-janvier par exemple,  on a pu noter une instabilité sur les câbles de fibre optique sous-marins West African Communication System qui relient 14 pays d’Afrique de l’Ouest et South Africa Transit 3 qui connecte une dizaine de pays de la région. Sur la côte ouest de l’Afrique, ces câbles  fonctionnent malheureusement à 20% de leur capacité ou moins.

Au-delà des pannes répétées que connaissent ces installations, les internautes ne  bénéficient pas pleinement des avantages que devraient leur procurer les câbles de fibre optique. De plus, dans de nombreux pays, les internautes ne sont pas toujours  à même  de s’exprimer librement sur Internet, même si l’utilisation des technologies numériques pour diffuser des commentaires le permet. Ces derniers temps au Bénin par exemple, on assiste également à une situation préoccupante qui se caractérise par  une série d’interpellations à l’encontre des journalistes.

Les fake news et les vols de données à caractère personnel constituent d’autres freins à cette liberté. Comment y faire face ?

Au cours de la table-ronde, plusieurs interventions ont dénoncé le fait que sur les réseaux sociaux, les données privées sont parfois utilisées à mauvais escient à travers les  fake news par exemple. Il faut dire que la  data est aujourd’hui l’une des plus importantes vaches à lait d’Internet, dont les géants des réseaux sociaux tirent déjà largement profit en l’exploitant et en la revendant à des annonceurs. C’est pour cette raison que j’estime que les questions liées à la régulation des réseaux sociaux en Afrique sont dorénavant d’une importance capitale.

Qu’est-ce qui garantit l’accès équitable et la liberté d’expression des internautes sur les réseaux sociaux ?

En république du Bénin, le second livre  du Code du numérique intitulé « Outils et écrits électroniques », porte sur la valeur juridique des actes électroniques tels que : les écrits, signatures, cachets, horodatages et archivages électroniques de même que sur l’authentification de sites Internet. En dehors du Code du numérique, le pouvoir Constituant contient également des dispositions qui  garantissent la liberté d’expression.

Cette liberté, définie et garantie par le droit est également présente  dans  plusieurs textes internationaux  tels que : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966  et la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 27 juin 1981.

Quelles sont les limites à cette forme de liberté d’expression ?

Malgré les mécanismes mis en place pour garantir la liberté d’expression en Afrique, certains pays imposent dorénavant  des taxes  sur l’utilisation des réseaux sociaux sous couvert de vouloir augmenter les recettes de l’État. Toutefois, dans de nombreux cas, ces taxes entravent l’exercice du droit à la liberté d’expression des internautes sur Internet. En dehors des taxes, les arrestations arbitraires de praticiens des médias et les interférences politiques injustifiées dans la presse caractérisent aussi les limites à la liberté d’expression sur les réseaux sociaux.

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