Jean-Louis Borloo : « Le numérique est la clef de voûte du système de gestion et de paiement, dans des énergies décentralisées ou cellulaires »

(CIO Mag) – Monsieur Borloo, vous annoncez la création d’une fondation pour l’énergie en Afrique. Qu’est-ce qui a présidé à cette décision ?

Jean-Louis Borloo : Dans moins de 30 ans, l’Afrique passera de un à deux milliards d’habitants. Ce choc démographique est peut-être notre plus grande chance ou notre plus grand drame. L’accès à l’électricité détermine l’accès à l’eau potable, à la santé, aux communications électroniques, à l’agriculture, à l’éducation, donc à la croissance. Or, à ce jour, les deux tiers du continent, soit 600 millions d’africaines et d’africains, n’ont pas d’accès à une prise de courant. D’ici 30 ans, l’Afrique devra nourrir, former, loger, guérir, employer un milliard de nouveaux habitants. A cette date, un quart des actifs de la planète seront Africains. La puissance de cette démographie est un atout formidable, un défi et une course contre la montre. 650 millions d’Africains ont un portable. Ils ont donc l’information. Les grandes migrations sont en marche vers la lumière. La lumière des métropoles africaines et la lumière des pays équipés, en priorité l’Europe. Il faut donc un plan massif, méthodique, organisé, pour que l’Afrique passe de 30 à 90 % d’accès à l’énergie afin de connaître un développement harmonieux sur l’ensemble du continent. Le but de notre combat est d’analyser les principaux points qui expliquent la situation actuelle et de leur apporter les réponses.

Comment va se matérialiser le projet ?

Via une agence unique africaine, d’administration publique, qui sera exclusivement dédiée à l’assistance technique. Elle subventionnera l’ensemble de l’équipement électrique du continent. L’agence sera dotée d’un financement exceptionnel international de 5 milliards d’euros par an, pendant 12 ans, et permettra donc un mixage avec les financements traditionnels par emprunts, que ce soit auprès des bailleurs internationaux ou via des fonds privés.

Quelles complémentarités vont pouvoir s’établir entre l’Afrique et l’Europe pour satisfaire aux besoins énergétiques du continent ?

La complémentarité, c’est l’appui en capacité d’ingénierie publique et technique, et l’apport de financements européens. Mais la vraie complémentarité, c’est de considérer qu’une croissance harmonieuse en Afrique est la meilleure réponse à l’immigration massive qui se dessine. Cette croissance constitue, du reste, le seul grand relais de l’Europe.

Dans quels domaines l’expertise et la technologie française pourront-elles être mobilisées ?

Un grand mouvement d’électrification de l’Afrique entraînera un grand mouvement de croissance avec notamment la création d’infrastructures. Il se trouve que dans les domaines énergétiques, agricoles et forestiers, au plan des infrastructures de transports et des biens de consommation, la France a des compétences toutes particulières. Si ce combat pour l’Afrique n’est pas une opération commerciale spécifique pour notre pays, à l’évidence l’économie française et ses entreprises auront un rôle majeur à jouer.

Quel rôle jouera, en particulier, le numérique dans le processus d’électrification de l’Afrique ?

Le numérique est évidemment la clef de voûte du système de gestion et de paiement, notamment dans des énergies décentralisées ou cellulaires. Le mix énergie et numérique est une évidence absolue. En conclusion, le digital a besoin de l’électricité.

Et dans la transition énergétique ?

La particularité de l’Afrique est d’être le continent qui a la meilleure performance en production d’énergies renouvelables, que ce soit dans le domaine de l’hydraulique, de l’éolien, de la géothermie, de la biomasse ou du solaire. C’est la faible densité du continent qui créé, en revanche, un coût de distribution et de maintenance extrêmement élevé. Les nouvelles technologies cellulaires permettent de le résoudre.

Monsieur Borloo, pourquoi miser sur la croissance de l’Afrique ? Quels sont les ressorts de votre motivation ?

Une étude pilotée par le Cercles des économistes explique que la croissance africaine, qui est actuellement de 5 %, devrait atteindre plus de 10 % dans l’hypothèse où le continent serait raisonnablement électrifié. L’élasticité de proximité permet d’établir une croissance marginale pour l’Europe de l’ordre de 2 à 3 %.

Propos recueillis par Véronique Narame

Interview parue dans CIO Mag N°36 – Avril / Mai 2015

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