Eymen Mbarek, Directeur des investissements chez IntilaQ – Tunisie : « Les startups disposent vraiment d’un accès assez facile au financement »

Aymen Mbarek est directeur des investissements chez IntilaQ. Il s’est spécialisé depuis près de 10 ans dans le financement des startups IT en early stage et Mid stage. Avant IntilaQ, il a travaillé pour 2 VCs, SAGES CAPITAL & Alternative Capital Partners (VC franco-tunisien filiale du groupe ACG), où il était affecté aux fonds INTECH’ & PHENICIA SEED FUND, dédiés à l’amorçage des startups.

Par Faouzi Moussa

CIO Mag : Parlez-nous d’Intilaq, de ses fondateurs, de son board et de son champ d’action :

Eymen Mbarek Intilaq : IntilaQ est un HUB d’innovation et d’investissement lancé en Mars 2014 en partenariat avec Qatar Friendship Fund (QFF), Ooredoo Tunisie et Microsoft Tunisie et ayant pour objectif ultime la valorisation et le renforcement des capacités des jeunes tunisiens, et ce en stimulant l’innovation et en encourageant l’entrepreneuriat dans le domaine des TIC. IntilaQ dispose actuellement d’un portefeuille de 26 startups, soit un investissement total de 12 millions de dinars tunisiens (TND), un peu moins de 4 millions d’euros, investis via les deux fonds IntilaQ For Growth & IntilaQ For Excellence.

Vous êtes expert en matière de startups, de fonds d’investissement et de levée de fonds, pourriez-vous nous donner une idée sur l’écosystème des startups en Tunisie ? Sa portée, sa maturité et son poids dans l’économie ?  

Nous avons aujourd’hui un excellent noyau d’écosystème avec des startups principalement B2B qui disposent de produits assez mâtures et super-compétitifs (qualité & pricing) à l’échelle internationale. D’ailleurs, une bonne partie de ces startups tels que Roamsmart, Datavora, Expensya ou encore Symmetryk avaient réussi à pénétrer le marché européen. Sur le segment B2C, le secteur du gaming/VR/AR présente un fort potentiel avec des studios tels que Polysmart, Digitalmania ou encore NewGen qui avaient réussi à séduire des grands publishers et clients internationaux tels que Wargaming, Coca Cola World Wide et bien d’autres.

Quels accompagnements offrent les fonds d’investissements et autres incubateurs aux startups Tunisiennes ?

Cela dépend des phases d’investissement :

En early stage, les incubateurs/accélérateurs de la place tels que Biat Labs ou encore Flat6Labs offrent principalement des petits tickets d’amorçage ainsi que de l’accompagnement/mentoring sur les aspects suivants : project management, product management, business modeling, networking & PR.

En mid stage, les VCs tunisiens qui misent sur les startups tels que IntilaQ, UGFS NA ou CDC gestion mettent à disposition des startups des tickets plus importants allant jusqu’à 1.5 M TND et des prestations de support couvrant aussi bien le volet stratégique (roadmap produit, plan de développement ou d’internationalisation et politique commerciale/marketing) qu’opérationnel (RH, organisation et finance).

Le financement en growth stage est malheureusement le chaînon manquant au paysage d’investissement IT en Tunisie.

Les cadres juridiques et politiques sont-ils présents en Tunisie pour avoir des startups épanouies ?

Les startuppeurs tunisiens, qui avaient travaillé jusqu’à fin 2017 dans des conditions réglementaires peu propices à leur développement, sont extrêmement tenaces. Cet engagement pour « la cause startup » avait permis à ces jeunes entrepreneurs de forcer la main aux autorités en faisant ratifier un texte de loi extrêmement important pour l’avenir de l’écosystème tunisien, le « Startup Act ». Une fois les décrets d’application de cette loi entérinés, ce qui devrait se faire avant fin 2018, la Tunisie deviendra un pays « startup friendly ».

Existe-t-il aujourd’hui en Tunisie des verrous qui bloquent la naissance d’un champion international ?

Le principal verrou était réglementaire et avait sauté avec la ratification du « Startup Act ». Le deuxième petit obstacle à la naissance d’un champion international est le défaut de financement en growth stage. Cela dit, le « Startup Act », qui facilite la création de filiales internationales et la libre circulation des capitaux, pourrait résoudre ce problème grâce à un meilleur accès aux investisseurs internationaux.

Dans quelles conditions les startups tunisiennes accèdent-elles au marché national et également international des capitaux ?

Pour ce qui est de l’accès au financement national, surtout en early et mid stages, je me permets de dire que les startups disposent vraiment d’un accès assez facile au financement avec des termes et des conditions fortement inspirées des standards internationaux. L’accès au marché international de capitaux, par contre, a été longtemps bloqué par le cadre réglementaire tunisien (avant le « Startup Act »). En effet, pour lever des fonds à l’international, il faudrait impérativement créer une filiale ou une holding dans le pays de l’investisseur et transférer la propriété intellectuelle à cette entité étrangère. Ce qui n’était pas du tout évident avec la politique de change conservatrice de la Banque Centrale de Tunisie.

Comment se situe l’écosystème tunisien des startups par rapport aux pays africains tels que le Sénégal, le Nigéria, le Cameroun, le Maroc, etc.

De par la petite taille du marché tunisien, notre écosystème de startups présente une spécificité qui est l’orientation vers l’export, notamment en Europe. En d’autres termes et contrairement aux autres pays africains, les startups tunisiennes adressent des besoins relatifs au marché européen, surtout sur des niches métiers B2B. A titre d’exemple, Datavora, l’une des startups tunisiennes à fort potentiel, avait choisi d’opérer dans le secteur de la Big data appliquée au commerce électronique et compte exclusivement des clients européens et américains.

Les startups africaines ont-elles des caractéristiques particulières par rapport à celles du reste du monde ?

Absolument, hormis la Tunisie ou encore l’Afrique du sud, les startups africaines traitent principalement des besoins locaux. Ce qui est tout à fait naturel, au vu de la multitude de problématiques auxquelles il faudrait apporter des solutions et de la taille assez importante des marchés locaux.

Les levées de fonds dont bénéficient aujourd’hui les startups africaines sont-elles, selon vous, très en dessous de celles pratiquées dans les pays développés ? 

Certainement, et cela est dû principalement à la portée locale et au manque de scalabilité caractérisant les startups africaines.

Pensez-vous que le marché international des capitaux est fermé face aux startups africaines ? Quelle solution pour lever ce blocage ?

Je ne pense pas que le marché international est complètement fermé pour les startups africaines. Cela dit, on ne peut pas parler non plus d’un accès facile aux investisseurs étrangers. A mon avis la solution à cette problématique s’articule autour de trois axes. Le premier axe consiste à changer de philosophie en adressant des besoins plus globaux avec des business scalables. Le deuxième axe est gouvernemental et consiste à construire des ponts avec des pays développés pour fluidifier le transfert du savoir-faire et l’accès au financement étranger. Le pont Israël / Silicon Valley est un parfait exemple de ce qu’il faudrait faire. Le troisième axe n’est autre que le PR. Un effort sur la visibilité internationale des startups africaines est indispensable pour faciliter l’accès aux investisseurs européens et américains.

Parue dans CIO Mag N°54, Septembre/Octobre 2018

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