Bloggeurs depuis sept ans, Réné jackson Nkowa est à la tête de l’association des Blogueurs du Cameroun (ABC). Titulaire d’un master en commerce à l’ESSEC de Douala, il est aussi nanti d’une licence de Droit à l’Université de la même ville. Littéraire de formation, Réné Jackson Nkowa est un passionné de lecture, d’écriture et des nouvelles technologies. Fin observateur des média, il suit depuis avec un intérêt particulier les bouleversements que Internet apporte dans le monde des médias. Lui qui est professionnel de la communication digitale collabore avec une presse internationale. Dans cet entretien, il nous livre sa vision et ses ambitions pour le blogging au Cameroun.
Cio Mag : Hier encore vous faisiez partie du Collectif des Blogueurs du Cameroun, aujourd’hui à la tête de l’ABC, dites-nous ce qui a fondamentalement changé avec ces deux appellations?
René Jackson Nkowa : Le Collectif des Blogueurs Camerounais fut la première association des blogueurs créée au Cameroun. Il a vu le jour en octobre 2013 à Douala. Mais malheureusement, nous nous sommes à l’époque retrouvés devant un écueil que nous n’avons pas pu contourner : celui de la barrière administrative. Nos démarches en vue de la légalisation de cette association-là n’ont pas abouti, avec un parcours de deux ans semé d’embuches. Le fait est que notre procédure était arrivée avec un mauvais timing parce que d’un côté, le Cameroun vivait sous la psychose provoquée par les attaques de Boko Haram et de l’autre, les blogueurs étaient la cible des pouvoirs dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, qui leur attribuaient la responsabilité de l’instabilité que connaissaient ces pays. Eléments qui, je l’imagine, rendaient nos autorités frileuses quant à notre démarche.
Ce qui a fondamentalement changé est qu’avec la nouvelle association, nous adoptons une nouvelle approche dans nos rapports avec à la fois les pouvoirs publics, les blogueurs et les autres acteurs de la société.
Au sein du collectif, qu’est-ce que vous avez fait et qui profite aujourd’hui à l’ABC?
Ce que j’ai appris avec la première association et qui à mon avis est un avantage pour la nouvelle Association des Blogueurs du Cameroun tient en deux mots : légalité et patience.
Mon action en tant que président est de veiller à ce que nos activités respectent les lois de notre pays. Je me suis engagé auprès des blogueurs qui m’ont élu à garder le bateau ABC dans les limites de la loi. Car malgré le changement évoqué plus haut, le blogueur subit encore le regard méfiant de beaucoup dans notre pays et il faut se garder de prêter le flanc à quoi que ce soit. Remémorons-nous la fin de l’année 2016, cette période pendant laquelle un journaliste bien connu a étrillé les blogueurs, nous accusant d’être à l’origine de la désinformation sur la catastrophe d’Eséka. Alors que tous les propos que ce journaliste incriminait étaient propagés par monsieur et madame tout-le-monde sur les réseaux sociaux, qui ne sont pas des blogs.
Ce travail implique de la patience. La patience pour être reconnus, mais aussi il faut sensibiliser le grand public et même les blogueurs, au sujet du cadre dans lequel nous agissons.
Quel est le programme qui est mis en place par le bureau exécutif de l’ABC pour intéresser ceux qui veulent vous rejoindre?
Le bureau exécutif de l’association travaille encore sur le plan d’action pour le mandat en cours et qui sera présenté en ce mois de novembre. Il faut tenir compte du fait que nous sommes le tout premier bureau de l‘association et que notre travail sera de poser de solides fondations afin que soit construit un édifice qui nous survivra. Cela passe par la mobilisation du plus grand nombre de blogueurs, par encore plus de sensibilisation du public et même de nos autorités, par le support apporté aux blogueurs dans leurs initiatives lorsqu’ils connaissent des difficultés sur le plan éditorial ou technique. Les blogueurs sont une autre voie d’éducation, d’information, de création de la valeur. Notre environnement a encore du mal à s’y faire mais les lignes, doucement et sûrement, bougent.
A-t-on un intérêt particulier à adhérer à l’association, si oui quelles sont les conditions?
Le principal intérêt à adhérer à l’association est l’aspect communautaire de notre action. Nous voulons créer un cadre dans lequel les blogueurs se retrouvent, échangent, apprennent, créent, pour enfin devenir des moteurs du progrès social et économique de notre pays. Pour adhérer à l’ABC, c’est très simple : il suffit d’être un blogueur camerounais actif et de verser une cotisation annuelle en plus des frais d’adhésion.
Votre association est-elle étendue sur tout le territoire national?
Oui. Nous avons une visée nationale. Nous avons d’ailleurs l’intention d’organiser des activités un peu partout dans le pays. Non pas seulement à Douala et à Yaoundé, mais aussi dans le septentrion ou dans les régions dites anglophones.
Sur quoi travaillent les membres de l’ABC lors de vos assises?
Les activités professionnelles n’ont pas encore de contours complètement dessinés puisque nous élaborons encore notre feuille de route. Nous sommes cependant pleinement conscients du fait que l’activité du blogging se professionnalise et nous allons bien entendu mettre en place des mécanismes pour accompagner cette professionnalisation.
Que font les structures telles que le ministère des Postes et des Télécommunications, l’ART (le régulateur), les opérateurs de téléphonie mobile, et autres pour permettre à votre association de prospérer et surtout de vulgariser votre action?
Au Cameroun, les blogueurs travaillent depuis de nombreuses années avec les opérateurs de téléphonie mobile qui, bien que satisfait du travail de ces blogueurs, ont toujours émis le souhait d’avoir une entité qui faciliterait les échanges. Ils – les blogueurs – travaillent aussi avec de nombreux acteurs de la vie économique locaux et extérieurs qui ont compris qu’ils sont de parfaits relais permettant à l’information d’atteindre certaines couches de la population. Quant aux autorités publiques, nous avons prévu de les approcher d’abord dans le but de les informer de nos travaux – leur faire par exemple comprendre que nous n’avons pas pour but de « déstabiliser » le pays, l’ABC étant une association apolitique. Et aussi, nous comptons user de nos leviers pour faire un plaidoyer pour l’accès à un internet libre, moins cher ; non seulement pour les blogueurs, mais pour tous les Camerounais.
L’on constate avec beaucoup de déception que les utilisateurs des réseaux sociaux font plus de mal que de bien avec de fausses informations qu’ils véhiculent sur la toile. Que compte faire l’ABC, pour permettre aux internautes de reconnaitre les fake news publiées sur les réseaux sociaux ?
Mon avis personnel est que les fausses informations n’ont pas attendu les réseaux sociaux pour causer du tort. Le bon vieux bouche-à-oreille a toujours été (et reste) un redoutable vecteur de fausses nouvelles. En 2004, une grosse fausse rumeur a parcouru notre pays : l’annonce du décès du président de notre pays. Les réseaux sociaux étaient encore inconnus au Cameroun, pourtant ! Il faut faire un travail d’éducation pour que les gens soient capables d’identifier la vraie information et la fausse, d’où qu’elles proviennent.
L’ABC fera comprendre à tout le monde qu’il faut faire preuve d’intelligence devant les informations qui leur parviennent par les réseaux sociaux, mais aussi par les autres canaux.
Êtes-vous en collaboration avec les autres associations des blogueurs des autres pays, si oui quels sont les échanges les plus pertinents?
La coopération avec les associations des blogueurs des autres pays africains, est, selon nous, capitale. J’ai rencontré il y a quelques semaines à Abidjan les responsables de l’Union Nationale des Blogueurs de Côte d’Ivoire avec lesquels j’ai eu un échange très fructueux. J’ai aussi établi des contacts avec les associations de blogueurs d’autres pays.
Avez-vous un message particulier ?
Le blogging est un symbole de liberté et de liberté d’expression. Le blogueur est une source d’information, qui ne cherche cependant pas à se substituer au journaliste. Le blogging est une activité faisant la promotion du partage et est déjà une activité créatrice de richesses. J’ai foi en son avenir et en tous les bénéfices qu’il peut apporter à la fois à l’individu et à la société dans son ensemble.
Propos recueillis par Jean-Claude Noubissie