(Cio Mag) – Rencontré à l’Idate Digiworld4Afica 2019, Dr. Hassan Ghazal, responsable de la Société marocaine de télémédecine et eSanté a exposé, à Cio Mag, l’ambition de son association pour la digitalisation de l’hôpital marocain. Hassan Ghazal, président de l’Association, est pour sa part revenu sur cette tendance naissante au Maroc. Et a rendu compte, dans cette interview, des difficultés logistiques et culturelles, ainsi que de la nécessité de sensibiliser les acteurs.
Propos recueillis par Mohamadou Diallo
Cio Mag : Que représente la télémédecine pour le Maroc ?
Hassan Ghazal : Pour le Maroc, la télémédecine est une alternative aux problèmes de santé. Cela concerne tout à la fois l’accès à la santé et sa généralisation, ainsi que la qualité des soins. Dans un contexte de diminution budgétaire, la télémédecine représente une vraie solution. Nul besoin d’attendre un regain de croissance pour mieux toucher les zones vulnérables et reculées. Il en est de même des populations urbaines fragilisées, telles que les personnes âgées. Et des déserts médicaux. La télémédecine est une vraie alternative au manque de médecins. Ils sont 10 000 au Maroc et autant sont partis à l’étranger, notamment aux Etats-Unis. Et cette année, un contingent de 1 000 praticiens s’est de nouveau expatrié.
Le Maroc dispose de nombreux d’atouts pour implémenter la télémédecine. Nous sommes un pays très connecté. C’est le pays d’Afrique où il y a une vraie connectivité. Le débit internet est important et il dessert la quasi-totalité du territoire. Hormis, peut-être, dans les zones reculées, où nous devrions pourtant bénéficier d’une connexion pour nous déployer ! A charge pour les opérateurs télécoms de faire un effort supplémentaire pour développer la 5G, pour envisager l’alternative satellitaire ou une autre technologie. La connectivité représente un vrai atout, une vraie plateforme de départ pour mieux implémenter la télémédecine.
Quid de la télémédecine au Maroc ?
A l’échelle mondiale, l’essor de la télémédecine est relativement récent. En France, par exemple, la télémédecine n’a connu un développement qu’à partir de 2018, suite à la loi sur le remboursement. Il a donc fallu se doter d’un cadre règlementaire. Au Maroc, nous l’avons établi depuis 2015. Mais, le décret d’application ne date que de 2018. Et la réglementation est très rudimentaire. Elle est donc appelée à se développer en parallèle de la pratique de la télémédecine. L’avancée la plus évidente, c’est la Société marocaine de télémédecine. Elle est basée à l’Université Mohamed VI, dans un cadre de partenariat public-privé. Un vaste programme de mise en œuvre d’un plan de télémédecine à été lancé à l’échelle nationale. Il toucherait à priori les zones reculées. Et a d’ores et déjà démarré avec six sites dans les zones montagneuses et désertiques. Il est à la phase de « prouf of concept ». Et sera étendu à 30 sites en 2020. Dans les années à venir, près de 150 sites seront concernés.
Les premières expériences sont très positives. Et les médecins satisfaits. Les problèmes qui peuvent ça et là se poser au moment de l’implémentation sont solutionnés. Dans un village où il n’y a pas de médecin, il faut former l’infirmier à la pratique clinique et à la technique d’implémentation de la télémédecine, dans le sens technique du terme. Il faut également sensibiliser la population. Sur ce plan, nous avons constaté que ce n’était pas facile. Ce sont des défis auxquels nous faisons face. Pour pallier au manque de ressources humaines, nous avons lancé, cette année, un master de télémédecine. Mais, il n’est pas encore opérationnel car il y a peu de candidats. La prise de conscience n’est pas encore au rendez-vous. Nous l’avons constaté en échangeant avec des médecins, qui pensent que la télémédecine n’est pas de la médecine. D’autres craignent que la télémédecine siphonne leur patientèle. Il y a donc un effort considérable à faire au plan social. Et autant pour la pédagogie et la sensibilisation. En outre, nous n’avons pas encore la feuille de route nationale d’implémentation de l’E-santé. La télémédecine n’étant qu’une composante de l’E-santé, elle doit être s’inscrire dans un schéma global pour réussir. C’est ma conviction et c’est le retour d’expérience que nous avons à l’international.
Qu’attendez-vous de l’Agence marocaine du développement digital (ADD) pour accompagner cette solution ?
L’ADD a une certaine expérience dans la digitalisation. Nous attendons que la santé soit sa priorité. Pour l’heure, l’ADD s’occupe de la digitalisation transversale. Cela concerne tous les secteurs et la santé n’est qu’un élément parmi tant d’autres. Au niveau gouvernemental, ce n’est donc pas nécessairement la priorité des acteurs. Mais ça l’est pour nous, acteurs de la santé !
Le gouvernement a pourtant affiché sa priorité pour la santé. Nous l’avons constaté, cette année, avec l’augmentation très sensible de ce budget. J’attends que l’ADD fasse de même. Car la santé, c’est la base. La population doit être en bonne santé et l’accès aux soins doit être démocratisé, notamment dans les zones reculées. C’est une forme de démocratisation, d’égalité des chances. L’égalité à l’accès aux soins est un droit légitime de tout citoyen. Partant de ce constat, on attend de l’ADD qu’elle accompagne, de façon tangible, les hôpitaux et le gouvernement dans la mise en œuvre de cette feuille de route de l’E-santé. Les quelques expériences mises en œuvre, comme la prise de rendez-vous en ligne, ont été couronnées de succès. La plupart des hôpitaux du Maroc n’ayant pas leur propre système d’information, l’idée de centraliser les prises de rendez-vous au niveau de l’ADD a été facilement adoptée. Comme quoi, à quelque chose malheur est bon. Dans un hôpital de Fès, 98% des rendez-vous sont désormais pris en ligne. A telle enseigne qu’on nous a demandé si nous étions plus avancés que la France. Le fait de ne pas être doté d’un système régional et local d’information a permis de tout centraliser. Et a donc facilité l’implémentation. Cela n’a pas nécessité d’investissements en ressources humaines ou en infrastructure. Exit les acteurs locaux ou le technicien. L’adhésion s’en est trouvée facilité. Il a aussi fallu prendre en considération le fait que 50% de la population de cette ville est analphabète. Les acteurs de la santé on donc imaginé une solution très simple en sensibilisant les téléboutiques situées dans l’environnement des hôpitaux. Les patients ont eu deux choix. Attendre deux ou trois heures pour avoir un rendez-vous. Ou aller dans la téléboutique, payer 5 dinars et obtenir un rendez-vous en 5 minutes. Tout le monde a adopté cette solution. D’autres problèmes locaux et de culture subsistent néanmoins. Et seule l’action locale peut les déceler et les régler.
Le Maroc entend-il placer l’humain au cœur du digital ?
Un hôpital digital doit rester humain ! Pour l’heure, on n’a pas totalement abouti dans la digitalisation du secteur hospitalier au Maroc. Il y eu quelques expériences rudimentaires de télémédecine. Nous n’avons donc pas assez de recul pour savoir si le digital va composer avec l’humain. C’est le défi du moment. La médecine, c’est avant toute chose une relation de confiance entre un médecin et un patient. Nous disposons d’un retour d’expérience de l’hôpital de l’université Mohamed VI avec un village de la zone de montagne Atlas. Et avons constaté que certains patients hésitaient à parler de leurs maladies, notamment celles sexuellement transmissibles. Si le médecin est digital, il n’est pas proche. Or, l’infirmier peut être un voisin. La confiance doit s’installer avec le temps. Et si le patient revient, c’est que le médecin télé-consultant a pris le temps de discuter plus longuement pour que la confiance s’installe. Je pense que l’humain doit être là.
Qu’est-ce que la Société marocaine de télémédecine et esanté, et que représente-t-elle aujourd’hui ?
Je suis le président de la société marocaine de télémédecine et esanté. C’est une association qui regroupe des médecins, des chercheurs, des informaticiens, des ingénieurs électronique, etc. Notre rôle consiste à sensibiliser et à promouvoir la recherche scientifique autour de la télésanté. Et à vulgariser l’importance de l’utilisation de la télémédecine dans le secteur de la santé. Le bureau compte huit personnes. Pour le moment, nous atteignons une cinquantaine de personnes. Mais notre impact va au-delà, même si nous avons toujours du mal à convaincre les médecins d’assister à nos événements. Ce problème n’est pas seulement propre au Maroc. Il l’est autant à l’international. En ma qualité de membre du bureau international de la Société internationale des télémédecines et santé, basée en Suisse, j’ai pu constater, lors de nos meetings internationaux, qu’i y avait très peu de médecins et beaucoup plus d’ingénieurs, d’informaticiens, d’économistes… L’adhésion de médecins augmente pourtant progressivement. Dans les derniers meetings, 50% de praticiens ont participé. Le défi consiste donc à sensibiliser les médecins…