Pour le commissaire général du Cyber Africa Forum (CAF), l’Afrique risque d’accroître sa dépendance au reste du monde et d’être à la merci des cyber-attaquants si elle ne réagit pas de manière proactive et concertée face aux nouvelles menaces numériques alimentées par l’intelligence artificielle (IA).
(Cio Mag) – « L’heure est grave et notre action est plus que jamais cruciale. Si nous ne réagissons pas de manière proactive et concertée, nous risquons d’accroître notre relation de dépendance avec le reste du monde et d’être à la merci des cyber-attaquants et de la chance », a déclaré Franck Kié, au Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire, où s’est tenu la quatrième édition du Cyber Africa Forum (CAF2024) organisée par Kaydan Groupe du 15 au16 avril. Face aux officiels et professionnels IT, le cri d’alarme du fondateur du CAF faisait écho aux dangers éventuels plus ou moins prévisibles qui guettent le continent dans cette ère de l’IA où la data prolifère dans tous les secteurs d’activité.
IA et transformation digitale
Ensemble de théories et de techniques visant à réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle est dans notre quotidien et on ne peut plus faire sans. Selon l’étude Fortune Business Insights, 2020, le marché de l’IA, estimé à 27 milliards de dollars en 2019, devrait se multiplier par dix à l’horizon 2027 pour atteindre les 267 milliards de dollars.
Si l’IA prend une telle proportion, c’est parce qu’elle se développe sous toutes ses formes. D’abord sous la forme d’IA prédictive : collecte d’informations, analyse et prédiction d’événements pouvant survenir. Mais surtout sous la forme d’IA Générative : création d’informations et de contenu : chansons, vidéos, textes, etc.
Une tendance confirmée par des chiffres. A l’échelle mondiale, 62 % des clients sont ouverts au partage des données avec des solutions alimentées par l’IA, notamment les chatbots pour une meilleure expérience client (Salesforce, 2019). Une autre étude de Boston Consulting Group, 2019, menée auprès de 97 pays révèle que 9 dirigeants sur 10 considèrent l’IA comme une opportunité business pour leur entreprise. Par ailleurs, 54 % des entreprises ont relevé une augmentation de la productivité suite à l’utilisation de solutions d’IA (PWC, 2018). Selon le rapport NewVantage 2020, plus de 91 % des entreprises leaders réalisent des investissements massifs dans l’IA. Enfin, 15 % des interactions sur les services clients, au niveau mondial, sont opérées et gérées avec l’IA (Gartner, 2019).
Risques cybernétiques
Si l’IA entre dans les leads et que les solutions issues de cette discipline se multiplient, côté africain, les investissements en stratégies de cyberdéfense tardent à suivre alors que le continent a également vu ses données croître avec la révolution de la téléphonie mobile. Actuellement, moins de 2 % des données mondiales sont hébergées sur le continent. Autrement dit, la totalité des données générées par les plateformes digitales utilisées par les 1,4 milliard d’Africains sont stockées sur des centres de données situés en dehors de l’Afrique. Dans ce contexte, le continent a-t-il vraiment son mot à dire sur l’utilisation qui est faite de son Big data ?
Qui plus est, l’Afrique doit lever les freins à la réglementation, aux infrastructures, aux compétences et au coût élevé de la digitalisation. Et comme si cela ne suffisait pas, les solutions à base d’IA telles que le chatbot basé sur GPT-3.5 offrent de nouvelles possibilités aux attaquants, devenus plus affûtés et sophistiqués. De quoi menacer les infrastructures critiques comme les centres de santé et susciter l’inquiétude des entreprises africaines. En plus, le coût de la cybercriminalité n’est plus à démontrer. Avec 1 983 attaques en moyenne, l’Afrique a enregistré le plus grand nombre de cyberattaques hebdomadaires par entreprise au premier trimestre 2023, rapporte le confrère Global Security Mag.
Franck Kié ajoute que le nombre de cyberattaques a plus que doublé au cours des cinq dernières années tandis que les coûts liés à la cybercriminalité sont également en hausse, avec des estimations qui s’élèvent à 10 500 milliards de dollars d’ici 2025.
Tournant décisif
« Comment garantir que ces systèmes intelligents respectent nos valeurs fondamentales et nos droits individuels ? Comment éviter les dérives de ce puissant outil ? » s’est interrogé le ministre ivoirien de la Transition numérique et de la Digitalisation, Kalil Konaté, dans son allocution d’ouverture au Cyber Africa Forum 2024.
« Nous sommes à un tournant, une étape décisive ; les risques cybernétiques et les technologies émergentes, notamment l’IA, l’informatique cantique, redéfinissent notre avenir. La question qui nous réunit exige des réflexions concrètes et collectives », a constaté Moustapha Ben Barka, vice-président chargé des Financements et Investissements de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD). Il a soutenu que la cybersécurité dépasse largement le cadre technologique ; « elle contribue et façonne notre résilience économique, notre cohésion sociale et notre indépendance ». Et le vice-président de poursuivre en ces termes : « Elle (la cybersécurité) concourt à la protection des actifs numériques tangibles et intangibles des Etats et des organisations avec un objectif de disponibilité et d’intégrité. »
Certes, la mise en œuvre de mesures en matière de cybersécurité peut paraître particulièrement difficile, aujourd’hui, tant les hackers redoublent d’ingéniosité. Mais, pour Moustapha Ben Barka, celle-ci reste possible grâce à l’engagement de tous en matière d’investissement dans les infrastructures, le développement de compétences et d’expertises. Selon lui, le montant alloué par la BOAD au secteur numérique est passé de 15 milliards en 2022 à plus de 50 milliards en 2023, et devrait connaître une forte croissance au cours des prochaines années.
Pour Jessica Davis Ba, Ambassadeur des Etats-Unis en Côte d’Ivoire, l’investissement dans le capital humain, le renforcement de la coopération et la création d’un écosystème digital résilient permettront aux décideurs de partager les défis qui sont communs, faire ressortir les opportunités et créer des solutions innovantes.
Face aux enjeux, le CAF se présente comme une opportunité pour repenser ensemble les politiques cybers et renforcer la collaboration entre les parties prenantes. Cette année, le cœur des échanges a tourné autour des stratégies de défense face aux nouvelles menaces et risques cybernétiques liés à l’intelligence artificielle. L’occasion de faire dialoguer les acteurs publics, les acteurs privés et le grand public, et de favoriser l’accès à l’information en proposant des challenges, des sessions d’acculturation et la mise en lumière des ressources mises à disposition par le CAF et son écosystème de partenaires : Varonis, ABM, Rawbank, Olea, Deloitte, Orange, Kaspersky ou encore Wallix.