Re-skilling et formation express pour relever le défi du capital humain

Alors que la cybercriminalité atteint des niveaux alarmants en Afrique, le continent se trouve face à des défis uniques en matière de cybersécurité. La numérisation rapide des économies africaines les expose à de nouvelles vulnérabilités, et le manque de professionnels formés en cybersécurité compromet la capacité des entreprises et des gouvernements à se protéger efficacement. Comment surmonter ce déficit de compétences et quelles stratégies adopter pour former et retenir les talents indispensables à la sécurité numérique du continent ? Éclairages. 

L’Afrique est de loin le continent le plus ciblé par la cybercriminalité. Le nombre d’extorsions y a progressé de 70 % en 2023, d’après le dernier rapport Security Navigator d’Orange Cyberdefense, avec une perte estimée à 10 % du PIB continental. 

Yousef Agoumi, directeur général de Formind Africa & Middle East

L’augmentation rapide de la cybercriminalité en Afrique est due principalement à l’accélération de la numérisation du continent. Les pays africains réalisent des sauts technologiques majeurs pour rattraper leur retard, créant ainsi de nouvelles vulnérabilités. « En Afrique, on a eu par le passé un retard technologique par rapport à nos voisins européens. Certes, ce retard est de plus en plus rattrapé mais cela engendre des vulnérabilités potentiellement plus importantes », atteste Yousef Agoumi, directeur général de Formind Africa & Middle East, cabinet de conseil en sécurité. 

Selon lui, les cybercriminels exploitent ces failles, profitant de la transition rapide vers des technologies avancées sans une préparation adéquate. « On a tout de suite passé un gap technologique sans être formé et préparé aux enjeux cyber des technologies passées », analyse-t-il. Cela signifie que les systèmes nouvellement mis en place peuvent être plus facilement pénétrés par des attaques ciblant des failles humaines et technologiques. 

L’expert relève surtout l’incohérence de la logique d’investissement dans le secteur de la cybersécurité. « Il faut savoir que dans la cybersécurité, on a 80 % des investissements qui sont de l’ordre technique, technologique, et seulement 20 % sont orientés vers l’humain. Or, 80 % des cyberattaques profitent de failles humaines et à peine 20 % des attaques exploitent des failles technologiques. » D’où la nécessité pour les organisations africaines d’orienter leurs investissements dans la sensibilisation et la formation des ressources à même de faire face aux défis de la cybersécurité. 

Pénurie des talents ! 

Face à l’explosion des cybermenaces, la pénurie de talents qualifiés devient un problème mondial, touchant particulièrement l’Afrique. Cette situation est particulièrement préoccupante car elle compromet la capacité des entreprises et des institutions à se protéger efficacement contre les cybermenaces. L’une des principales causes de cette pénurie est l’explosion de la cybermenace. « La menace a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Et donc les entreprises sont de plus en plus exposées au risque cyber », explique Youssef Agoumi. Cette augmentation exponentielle des menaces nécessite un nombre croissant de professionnels qualifiés pour gérer et sécuriser les systèmes d’information. 

Par ailleurs, le rythme rapide de l’évolution technologique dépasse souvent les capacités des systèmes de formation traditionnels à produire des experts suffisamment vite. « Ça va tellement vite que l’écosystème de formation n’a pas eu le temps d’aller aussi vite que l’évolution de la cybermenace. Il y a de plus en plus de formations qui naissent à l’échelle mondiale mais aussi au Maroc et en Afrique pour répondre à cet enjeu. Mais qui dit formation dit cycle assez long », déplore-t-il. Les formations en cybersécurité, bien qu’en augmentation, nécessitent souvent plusieurs années avant de produire des professionnels pleinement opérationnels. « Les plus courts vont être de deux ou trois ans. Mais en général, c’est dans la majeure partie des cas des ingénieurs. Donc, il faut attendre cinq ans ». Ce délai crée un fossé temporaire où les entreprises doivent gérer un risque accru sans suffisamment de talents disponibles. 

Re-skilling et formation express 

Pour faire face à la pénurie de talents en cybersécurité, les entreprises et les gouvernements africains doivent adopter des stratégies innovantes et multifacettes. Ces stratégies doivent non seulement attirer de nouveaux talents mais aussi maximiser le potentiel des ressources humaines existantes. 

Une approche essentielle est la formation continue et le re-skilling. « Il y a beaucoup d’entreprises qui commencent à pousser leurs équipes SI vers les métiers de la cybersécurité », explique Youssef Agoumi. Ils font appel à de la formation classique avec des cours sur plusieurs thématiques, ainsi que des formats plus ludiques comme des laboratoires et des simulations d’attaques. » Ces méthodes permettent aux employés de développer de nouvelles compétences en cybersécurité, réduisant ainsi le temps et les coûts nécessaires pour former des experts. 

Les entreprises doivent également investir dans des académies internes de cybersécurité. « La plupart des entreprises aujourd’hui ont monté des académies internes avec un parcours de formation selon les appétences des ingénieurs pour aller s’orienter vers des métiers de gouvernance ou des métiers techniques comme l’éthique hacking », ajoute Youssef Agoumi. Ces académies permettent de former des talents sur le terrain, en les immergeant directement dans des projets réels sous la supervision de professionnels expérimentés. 

Parallèlement, il est crucial de créer des partenariats avec des institutions éducatives pour développer des programmes de formation adaptés aux besoins du marché. Les universités et les écoles d’ingénieurs doivent collaborer avec les entreprises pour offrir des cursus en cybersécurité qui incluent des stages et des projets pratiques. Cela permet aux étudiants de se familiariser avec les défis réels de la cybersécurité et de développer des compétences opérationnelles avant même d’entrer sur le marché du travail. 

La sensibilisation à la cybersécurité dès le plus jeune âge est également une stratégie clé. « Il est crucial de sensibiliser et de préparer le citoyen africain aux risques cyber », insiste notre interlocuteur. Les initiatives scolaires et les campagnes de sensibilisation peuvent aider à inculquer une culture de la cybersécurité, en encourageant les jeunes à considérer les carrières dans ce domaine. 

Enfin, il est important de reconnaître et de valoriser les talents locaux pour éviter la fuite des cerveaux. Pour ce faire, les entreprises africaines doivent leur offrir des conditions de travail attractives, des opportunités de carrière et un environnement de travail stimulant.  

La rétention des talents 

La rétention des talents en cybersécurité est un défi majeur pour de nombreuses entreprises africaines. La fuite des cerveaux, où les professionnels qualifiés quittent leur pays pour chercher des opportunités à l’étranger, complique davantage cette problématique. Cependant, des stratégies efficaces peuvent être mises en place pour encourager les talents à rester et à contribuer au développement local.  

« On remarque une légère diminution de la fuite des talents post-formation même si elle est toujours là, atteste Youssef Agoumi. En revanche, la nouveauté que je constate depuis deux ou trois ans au Maroc c’est le retour des talents marocains formés à l’étranger. » Cette observation positive montre que le Maroc et d’autres pays africains peuvent inverser la tendance en améliorant les conditions locales. Une des stratégies clés pour retenir les talents est de garantir des opportunités de carrière intéressantes et stimulantes. Les professionnels de la cybersécurité cherchent des environnements où ils peuvent continuer à apprendre et à évoluer. « Les entreprises doivent offrir des conditions de travail attractives, des opportunités de carrière et un environnement de travail stimulant », recommande l’expert. Cela inclut des possibilités de formation continue, de participation à des projets innovants et de progression professionnelle. 

Il est également crucial de reconnaître que les motivations financières ne sont pas les seules à influencer la décision des talents. « Je pense que les motivations financières ce n’est plus du tout un argument. On a ce qu’il faut au Maroc et de toute façon même si on gagne plus d’argent ailleurs, on se retrouve à dépenser plus qu’ici et on perd en termes de qualité de vie », explique Youssef Agoumi. La réintégration des talents formés à l’étranger est une autre dimension importante.  

Enfin, les gouvernements ont un rôle clé à jouer dans la création d’un écosystème favorable à la rétention des talents. Cela inclut la mise en place de politiques incitatives, de soutien aux entreprises technologiques, ainsi que l’amélioration des infrastructures et des conditions de vie. Une économie stable et en croissance, soutenue par des investissements dans l’éducation et la recherche, peut créer un environnement attrayant pour les talents. 

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