Jocelyn Karakula (Orange MEA) : « Les telcos en Afrique bénéficient des avancées technologiques dans plusieurs domaines »

Jocelyn Karakula, CTIO d’Orange MEA

D’après les prévisions, le secteur des télécommunications en Afrique devrait afficher une croissance de 2,24 milliards de dollars au cours de la période 2020-2024. Une projection qui donne la preuve de la croissance et des bonnes promesses des telcos en Afrique. En Afrique, Orange a sa démarche pour s’aligner sur les avancées du secteur et aider le continent à relever les défis cruciaux qui s’imposent à elle. Le CTIO d’Orange MEA, Jocelyn Karakula opine dans cette interview sur l’impact de l’intelligence artificielle chez Orange.

Cio Mag : Comment percevez-vous l’impact de l’IA sur les telcos en Afrique ?

Jocelyn Karakula : Même si nous ne sommes qu’au début de l’histoire de l’intelligence artificielle (IA), le secteur des télécommunications en Afrique en tire déjà de nombreux bénéfices. L’IA joue un rôle de plus en plus important dans la Gestion optimisée des réseaux à travers la planification, l’optimisation, l’exploitation des réseaux des opérateurs. Dans ces domaines, les cas d’usages jouent sur la rationalisation des investissements, les gains de performance techniques et énergétiques, l’optimisation du design des réseaux, ainsi que sur leur sécurisation.

Comme dans beaucoup de secteurs de l’économie et de l’industrie, l’IA révolutionne également la relation client en offrant des interactions de plus en plus personnalisées et pertinentes. Elle permet une meilleure anticipation des besoins des clients, rendant les échanges plus efficaces et inclusifs.. L’IA est également un accélérateur pour le développement de solutions créatrices de valeur.

Les équipes de développeurs africains, quels que soient leurs pays d’origine, bénéficient déjà des facilités de l’IA, soit pour créer du code, soit pour intégrer l’IA dans le code ou des applicatifs qu’ils développent. Ces trois exemples illustrent la part grandissante de l’IA dans le secteur des télécommunications en Afrique, et la tendance ne fait que s’accentuer vers une technicité et des usages toujours plus sophistiqués.

Quelle gestion Orange fait-il à l’ère de l’IA ?

L’IA constitue un enjeu stratégique à part entière pour Orange, de par la capacité de ces technologies pour accélérer la création de valeur et augmenter la performance dans de multiples domaines.

Sur le plan des réseaux, essentiellement mobiles en Afrique, nous sommes amenés à gérer des technologies multiples et de plus en plus complexe (2G, 3G, 4G et aujourd’hui 5G), dans des contextes énergétiques tendus dans beaucoup de pays. Afin de garantir un fonctionnement optimal de ces réseaux, l’IA apporte des possibilités complémentaires qui permettent de garantir la qualité de service et d’expérience de nos clients.

L’IA est de plus en plus au cœur de la gestion des réseaux mobiles en Afrique

Dans le même ordre d’idée, l’IA s’impose comme un outil indispensable pour anticiper les comportements et les demandes des usagers sur les différentes parties du réseau. Elle permet de prévoir la densification, les consommations et les débits, influençant ainsi les décisions d’investissement en technologies de densification de manière beaucoup plus fine.

L’IA offre également une gestion en temps réel des différentes composantes du réseau. Par exemple, dans un contexte où l’énergie solaire est de plus en plus sollicitée pour alimenter nos équipements et nos sites, la gestion prédictive de l’énergie disponible en fonction de l’ensoleillement à venir, et des profils de trafic attendus est un cas d’usage que l’IA nous permet de développer de manière plus optimale ; nous pouvons ainsi générer des prises de décisions automatiques sur nos réseaux d’accès.

Plus globalement, l’IA est de plus en plus au cœur de la gestion des réseaux mobiles en Afrique, et contribue directement au développement des usages digitaux, aux choix d’investissement et à l’équation énergétique.

Quelle spécificité peut-on attribuer à Orange MEA ?

Orange intègre naturellement l’IA dans la dynamique créée il y a plusieurs années autour des usages de la data en Afrique, à la fois dans le domaine des réseaux (investissements « smart capex, automatisation dans l’exploitation, …) et de la connaissance fine et personnalisée des usages de ses clients.

Ainsi, les Data Squads d’Orange MEA, créées il y a maintenant 4 ans, délivrent de plus en plus de cas d’usage, avec l’ambition d’en créer 1000 de plus dans les années à venir, et un apport progressif des technologies de l’IA pour une partie d’entre eux.

Concernant l’exploitation des réseaux, nous sommes également dans un usage croissant de l’IA pour aller vers plus d’automatisation (gestion des alarmes, auto-diagnostic des incidents, auto-réparation/reboot d’équipements, …) qui nous amène plus de performance, de qualité et de disponibilité de nos services.

Nous pouvons aussi citer le domaine de l’optimisation des configurations des réseaux d’accès radio, pour lequel l’IA vient apporter des possibilités d’analyse et de décision en boucle courte, permettant une gestion dynamique des paramétrages en fonction des variations de densité de population et d’usage.

Nous menons également un travail spécifique avec nos partenaires techniques pour intégrer l’IA au coeur des outils qui permettent de tenir compte des spécificités de nos environnements, tels que celle de l’énergie.

Bien entendu, cette dynamique est amenée à s’amplifier, les usages de l’IA répondant à beaucoup d’attentes en termes de digitalisation, de performance de services et d’inclusion (populations rurales, langages locaux, …)

OMEA construit cette dynamique en ancrant les activités et les compétences sur le continent africain, tout en bénéficiant de l’expertise développée au sein du Groupe Orange.

Comment Orange peut-il développer des compétences en IA chez les jeunes africains afin de maintenir la compétitivité des Etats africains ?

Chez OMEA, qui compte 18 000 employés, l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) est une priorité. L’entreprise a mis en place un portail (Dinootoo) proposant plusieurs modèles d’IA générative connus sur le marché, permettant à tous les employés d’accéder aux outils d’IA, facilitant ainsi leur utilisation au quotidien. Ce dispositif vise à améliorer la performance en automatisant les tâches répétitives et en générant des gains de temps. Pour accompagner cette transition, OMEA a déployé un vaste programme de formation à l’échelle de l’entreprise.

L’ancrage local est essentiel pour OMEA. Le réseau des Orange Digital Centers qui sont des structures physiques et gratuites de formation et d’accompagnement des entrepreneurs, présents dans 16 de nos pays, offrent aux jeunes de développer des compétences nécessaires aux métiers d’avenir ou un soutien à la création de start-up.

OMEA s’engage à promouvoir l’IA et la formation en Afrique

Récemment, OMEA a intégré divers outils d’IA, directement ou via des partenaires cloud tels que Google et AWS. Ces outils sont mis gratuitement à disposition des développeurs africains pour leur permettre d’acquérir des compétences en IA. L’objectif est de renforcer la jeunesse tech africaine et de créer de la valeur sur les territoires où Orange opère.

En somme, OMEA s’engage à promouvoir l’IA et la formation en Afrique, créant ainsi des partenariats solides et soutenant le développement technologique local.

Quel regard portez-vous sur l’impact de l’IA sur les émissions de carbone ?

Sur cette question fondamentale, il faut regarder les deux côtés d’une même pièce. D’un côté, nous regardons ce que peuvent apporter les usages de l’IA sur l’efficacité énergétique de nos réseaux. Je donne l’exemple de la gestion en temps réel de nos réseaux en fonction de l’énergie résiduelle sur nos sites. Nous déployons de plus en plus de sites 100% solaire, l’IA doit nous amener des augmentations de performance significatives sur ces technologies, et plus globalement dans la maitrise énergétique et d’émission carbone.

 Nous travaillons également à des cas d’usage permettant de réduire significativement la fréquence d’interventions sur nos sites, qui représentent un impact non négligeable en matière d’émissions.

De l’autre côté, l’IA nécessite des puissances de calcul considérables, ce qui pose des défis en termes d’empreinte énergétique. Aujourd’hui ces besoins d’infrastructures considérables sont concentrés sur les acteurs mondiaux de l’IA, très peu ou pas présents dans nos géographies, ce qui peut générer des redimensionnements significatifs de nos réseaux de transports de données.

Pour les années à venir, l’équation devra tenir compte du positionnement de ces infrastructures dans plus de pays, et de l’évolution de répartition des composants techniques IA entre terminaux (fixes et mobiles), infrastructures de type « edge computing » et data centers régionaux.

Orange est particulièrement attentif à ce passage à l’échelle, en modélisant les impacts sur les investissements, les réseaux et l’empreinte énergétique. L’entreprise se situe sur une ligne fine entre les bénéfices de l’IA pour l’optimisation énergétique et les contraintes énergétiques que cela représente. Une grande clairvoyance et une approche raisonnable et responsable sont nécessaires sur ces enjeux.

Biographie

Jocelyn Karakula, CTO d’Orange MEA qui couvre 17 pays dont des entités spécifiques qui ne couvrent pas forcément tous les pays. Depuis 2013, il a 11 années d’expériences sur le monde technique de cette même zone d’Orange, mais pas en tant que CTO. Il a également un passé Télécom sur les grands projets de transformation de transmission internationale, de rationalisation du secteur spatial et un passage également sur le business process lié à l’ensemble des opérateurs mondiaux. Il s’est occupé de ces différents aspects avec l’ensemble des filiales du groupe Orange pendant quelques années avant de passer chez Orange MEA sur la partie technique.

Michaël Tchokpodo

Michaël Tchokpodo est journaliste communiquant, grand observateur des mutations relatives aux technologies numériques et au développement durable. Correspondant au Bénin pour CIO Mag.

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