Financer le secteur privé reste un défi pour la souveraineté numérique des pays en développement. Réunis vendredi dernier en Côte d’Ivoire dans le cadre du Salon international des professionnels de l’économie numérique de la zone Uemoa (Sipen-Uemoa), les entreprises et organismes de la région ont passé à la loupe le financement du secteur privé, soulignant les obstacles et la nécessité de garantir la compétitivité des économies locales.
(Cio Mag) – La deuxième édition du Sipen-Uemoa s’est tenue le 29 novembre 2024 à Abidjan sous l’égide du Groupement des opérateurs du secteur des TIC (Gotic), en collaboration avec l’Organisation des professionnels du numérique (OPTIC) du Sénégal et le Regroupement des organisations des professionnels des TIC (Roptic).
La profondeur des débats voulus par le thème portant sur “le financement du secteur privé, un défi majeur pour la souveraineté numérique dans l’espace Uemoa”, afait ressortir la nécessité de faciliter l’accès aux financements des entreprises privées, pour renforcer la compétitivité des économies locales et gagner en souveraineté.
Souveraineté numérique
Elle a été présentée par le directeur de cabinet du ministre de la Transition numérique et de la Digitalisation de Côte d’Ivoire comme un enjeu stratégique qui conditionne le développement économique, l’autonomie et la capacité d’un Etat à participer pleinement à l’économie mondiale du 21e siècle. Narcisse Ekissi a explqué que cette souveraineté implique non seulement le développement de solutions locales répondant aux besoins des populations mais aussi la maîtrise des infrastructures critiques et la gestion autonome des données.
« Pour toutes ces actions, le secteur privé reste un moteur essentiel qui stimule l’innovation technologique, crée des infrastructures numériques et renforce la résilience économique en diversifiant les activités et en réduisant la dépendance aux technologies étrangères. »
Difficultés d’accès aux financements
Levier indispensable pour accélérer la croissance, les entreprises privées assurent que les avantages du numérique profitent également aux économies locales. Elles contribuent aussi à donner une réponse adaptées aux défis modernes liés à la gestion, à la protection et à la gouvernance des données en local. Cependant, elles font face à des obstacles majeurs en termes d’accès au financement.
Selon un rapport de la Banque mondiale cité par le président d’OPTIC, 40% des investisseurs internationaux dans la région estiment que la gouvernance est l’un des principaux freins à l’investissement. « Les investisseurs, qu’ils soient locaux ou étrangers, hésitent souvent à s’engager dans un environnement marqué par l’instabilité politique et des systèmes de gouvernance complexes », a souligné Antoine N’Gom. Pour lui, les banques, qui devraient jouer un rôle central dans le financement de grands projets numériques, restent souvent réticentes. En cause, le manque de garantie de la perception du risque élevé et de l’insuffisance de mécanismes adaptés.
Conséquences, 80% des crédits bancaires de l’Uemoa sont affectés aux secteurs traditionnels de l’économie tandis que les projets numériques n’obtiennent que 5% des financements. Une portion congrue, bien inférieure aux 20% fixés par la Cedeao pour soutenir l’émergence des champions du numérique. On arrive ainsi à une situation où les opérateurs du secteur des TIC passent à côté d’opportunités de croissance, à un moment où les multinationales de l’internet et des télécommunications, elles, continuent de dominer l’écosystème.
Libérer le potentiel de l’Uemoa
A l’unanimité, les participants au Sipen-Uemoa 2024 ont présenté les difficultés d’accès aux financements comme un frein majeur à la compétitivité économique et à la souveraineté numérique dans l’espace. Et ce, malgré l’impact extrêmement positif que les entreprises privées ont sur la vie des pays en développement, en leur apportant tout une panoplie de services innovants à une échelle sans précédent. En sus, une étude de la BAD estime que les TIC en Afrique pourraient générer plus de 180 milliards de dollars de revenu d’ici 2025. Pour libérer ce potentiel et relever les défis économiques actuels, il est impératif que des mécanismes adaptés soient trouvés.
Entre autres solutions proposées par les conférenciers : la création d’un fonds d’investissement dédié aux projets numériques, des partenariats public-privé, des subventions publiques, des programmes de garantie pour le secteur privé ou encore des plateformes de financement participatif. Des initiatives qui pourraient s’appuyer sur des partenariats entre les gouvernements, les institutions financières régionales et internationales, les investisseurs afin de mobiliser les ressources adéquates qui réduisent les risques.
Industrie numérique émergente
En Côte d’Ivoire, des mesures ont été prises pour répondre à ces enjeux. Notamment l’adoption de la loi relative à la promotion des startups numériques en novembre 2023. Cette loi prévoit des mesures fiscales, douanières et administratives adaptées aux réalités des entrepreneurs innovants. En plus des mesures incitatives dédiées aux entreprises du numérique, cette législation offre un cadre qui facilite le financement du secteur privé de façon générale.
Plusieurs initiatives similaires sont mises en œuvre pour accompagner les PME et les startups dans les autres pays de l’Uemoa. Au niveau régional, les entreprises privées du numérique veulent être associées au développement des projets structurants de l’Uemoa dans le cadre du Programme régional de développement de l’économie numérique (PRDEN). Toutes choses qui permettraient de soutenir l’émergence d’une véritable industrie numérique régionale, capable d’exporter ses solutions et de conquérir des marchés internationaux.
Comme l’a indiqué le président du GOTIC, Laurent Gnon, le Sipen de Dakar en 2023 a été une étape importante dans l’unification des initiatives numériques au sein de la région. Le Sipen d’Abidjan quant à lui, a insisté sur la nécessité d’un accompagnement financier adapté aux réalités locales et régionales.
« Les enjeux du financement du secteur privé et de la souveraineté numérique dans l’espace Uemoa appellent une réponse unifiée et concertée. C’est uniquement par une collaboration étroite, de partage d’expériences et la mise en place de politiques harmonisées que nous pourrons lever les obstacles du financement, mobiliser des ressources innovantes et créer un cadre harmonisé pour le développement et la souveraineté numérique au sein de l’espace Uemoa », a soutenu Narcisse Ekissi.