
Avril 2025 marque un tournant dans l’ordre économique mondial. Avec le retour de Donald Trump à la Maison Blanche et la mise en place de lourdes taxes douanières sur les importations, notamment un tarif universel de plus de 10 % et des augmentations punitives contre la Chine, le nationalisme économique revient sur le devant de la scène. Mais au-delà des manchettes sur les guerres commerciales et les pertes d’emplois, une question tout aussi fondamentale refait surface : celle de la souveraineté numérique.
Un nouveau visage de la souveraineté
Traditionnellement, la souveraineté désigne la capacité d’un État à se gouverner sans ingérence extérieure. Au XXIe siècle, ce concept dépasse les frontières, la politique et l’économie pour s’étendre au cyberespace. À mesure que les nations resserrent le contrôle sur le commerce, elles prennent conscience de l’importance stratégique de la gestion des flux de données, des infrastructures numériques et des politiques de cybersécurité.
La doctrine économique de Trump en 2025, fondée sur l’idéologie « America First » et une série de restrictions commerciales, s’inscrit dans une tendance mondiale : les États réévaluent leur dépendance numérique. Qu’il s’agisse des technologies 5G chinoises, des services de cybersécurité russes ou des fournisseurs de cloud américains ou européens, l’infrastructure numérique est désormais considérée comme un actif stratégique, tout comme le pétrole ou l’acier autrefois.
La cybersécurité comme bouclier économique
En imposant des tarifs douaniers agressifs et en redéfinissant les relations commerciales internationales, l’administration Trump met indirectement en lumière les vulnérabilités des chaînes d’approvisionnement numériques mondiales. Les entreprises américaines, dépendantes de logiciels étrangers, de composants matériels ou de services cloud externes, s’exposent non seulement à une hausse des coûts, mais aussi à des risques accrus de cyber-espionnage, de sabotage et de fuites de données.
Cette réalité pousse les décideurs et plusieurs parties prenantes à considérer la cybersécurité non seulement comme un enjeu technique, mais comme un pilier de la sécurité nationale. Garantir la souveraineté des données, contrôler l’auditabilité des systèmes et se libérer des « portes dérobées » étrangères deviennent des priorités essentielles. De même, la maîtrise des technologies émergentes comme l’intelligence artificielle et l’informatique quantique, est désormais stratégique.
Le tarif numérique
Alors que les biens matériels font déjà l’objet de lourdes taxes dans le cadre du nouveau programme commercial de Trump, l’économie numérique reste encore relativement libre de droits. Cependant, cette situation pourrait bientôt évoluer. Plusieurs propositions sont à l’étude pour :
- Taxer les services numériques selon l’origine des données ou leur lieu de stockage ;
- Imposer une localisation des datacenters pour les entreprises étrangères opérant aux États-Unis ;
- Contrôler les fournisseurs de logiciels étrangers pour prévenir les menaces à la sécurité, à l’image des mécanismes d’évaluation des investissements étrangers.
Ces mesures esquissent l’émergence d’un véritable « tarif numérique » , non pas sur des octets, mais sur l’accès, la conformité et la confiance.
Le cas africain : entre opportunité et vulnérabilité
Pour les pays africains, cette tendance mondiale vers une souveraineté numérique renforcée représente à la fois une opportunité et une menace. D’une part, les nouvelles fractures commerciales pourraient ouvrir la voie à de nouvelles alliances numériques et à des circuits économiques alternatifs. Mais d’autre part, la grande majorité des États africains restent fortement dépendants des infrastructures numériques étrangères, qu’il s’agisse des télécommunications chinoises, des services cloud européens ou des plateformes américaines.
Cette dépendance expose le continent à des risques accrus : cybermenaces externes, perte de souveraineté des données, surveillance transnationale. Sans investissements solides dans des écosystèmes numériques locaux et des cadres juridiques robustes, l’Afrique pourrait devenir un terrain d’affrontement numérique entre grandes puissances. Cependant, en abordant ce virage stratégique de manière proactive, les pays africains pourraient renforcer leur intégration numérique régionale, adopter des lois modernes sur la protection des données, et affirmer leur autonomie technologique et politique.
Les risques de fragmentation
La souveraineté numérique n’est pas sans danger. Si les États érigent trop de murs numériques, créant ce que certains appellent le « splinternet », l’économie mondiale risque de se fragmenter en blocs isolés. Une telle fragmenation freinerait l’innovation, la compatibilité des systèmes, et la coopération transfrontalière en matière de cybersécurité. Pire, certains régimes pourraient instrumentaliser la cybersécurité pour justifier la censure ou accroître la surveillance de masse.
Le financement renouvelé du programme Common Vulnerabilities and Exposures (CVE) par la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA) met en lumière un aspect fondamental de la souveraineté numérique. La gestion des vulnérabilités logicielles, domaine où la collaboration entre gouvernements, entreprises et experts en cybersécurité est essentielle, soulève des questions sur la souveraineté des données et l’indépendance technologique des nations. Par ce soutien continu au programme, les États-Unis réaffirment leur rôle de leader dans la gouvernance mondiale de la cybersécurité, tout en affrontant des défis liés à cette position.
Les vulnérabilités numériques affectant des systèmes critiques à l’échelle mondiale, la dépendance des pays aux infrastructures numériques étrangères expose leur souveraineté à des risques accrus, notamment en matière de surveillance et de cybermenaces. Le renouvellement du financement pour le programme CVE constitue un moment clé pour renforcer la coopération internationale en cybersécurité, tout en incitant à une réflexion sur la protection des intérêts nationaux dans un cyberespace global de plus en plus fragmenté.
Un avenir souverain et sécurisé ?
Les mesures tarifaires de Trump en 2025 ont peut-être déclenché une reconfiguration du commerce mondial, mais elles mettent aussi en lumière la fragilité numérique des économies modernes. Alors que les États-Unis réaffirment leur indépendance économique, la quête d’indépendance cybernétique s’accélère. Reste à savoir si cette dynamique conduira à des infrastructures plus résilientes ou à un isolement numérique aux conséquences imprévisibles.
En définitive, la souveraineté à l’ère numérique ne se limite pas à protéger des frontières ou à équilibrer des balances commerciales. Elle consiste à reprendre le contrôle de son récit, de sa technologie et de son avenir, dans un monde où les conflits sont de plus en plus virtuels.
Journée pour réfléchir : diplomatie, paix et souveraineté numérique
Le 24 avril, la communauté internationale célèbre « la Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix », une occasion de promouvoir le dialogue, la coopération et la solidarité entre les nations. Dans un contexte où les tensions commerciales s’intensifient et où la souveraineté numérique devient un enjeu stratégique, cette journée revêt une importance particulière.
Elle rappelle que la cybersécurité ne peut être pleinement assurée dans un monde fragmenté, dominé par la méfiance et les logiques unilatérales. Les défis globaux, qu’il s’agisse de cybercriminalité, de désinformation, ou de souveraineté des données, exigent des réponses collectives, inclusives et multilatérales. L’approche actuelle fondée sur la confrontation économique et la compétition technologique, illustrée par les mesures tarifaires de Trump, contraste fortement avec l’esprit de cette journée, qui plaide pour des règles communes, une gouvernance numérique mondiale et des mécanismes de dialogue constructifs pour bâtir une paix durable, y compris dans le cyberespace.
Une contribution de Fadhel GHAJATI, Manager GRC chez Metsys