Lancement de la 5G en Côte d’Ivoire : promesses, enjeux et obstacles

La Côte d’Ivoire est à l’aube d’une transformation digitale majeure avec l’arrivée de la 5G. Cette technologie promet de redéfinir la connectivité, d’accélérer l’innovation et d’améliorer la qualité de vie numérique des populations. Cependant, le chemin vers un déploiement à grande échelle est semé d’embûches. En témoignent les discussions en cours entre le régulateur des télécommunications et les opérateurs.

Pour comprendre la 5G, il est essentiel de retracer l’évolution des réseaux cellulaires, qui ont débuté au milieu des années 90 avec la 2G, permettant la voix et les SMS. La 3G, généralisée dans les années 2000, a intégré nativement la data, offrant des débits permettant les emails sur des terminaux mobiles. La 4G a vulgarisé la data de bout en bout avec des réseaux IP, atteignant des débits de plusieurs mégas et permettant l’accès à des services à forte valeur ajoutée et à la vidéo en haut débit.  

La 5G, quant à elle, se présente comme une évolution de la 4G, apportant des fonctionnalités supplémentaires intrinsèques. Jean-Marie Aképo, le directeur général de RAKALL, et trois autres experts, se sont exprimé à ce propos lors d’un panel de l’Ivoire Tech Forum 2025. Jean-Marie Aképo explique que la 5G offre trois performances clés : le très haut débit mobile pour des applications immersives, une très faible latence pour des applications avancées (comme la télémédecine), et la capacité de connecter massivement des objets (IoT). Ce qui est crucial pour des secteurs comme l’agriculture de précision avec des capteurs pour la gestion automatique des plantations. Ces caractéristiques ouvrent également la voie à de nouveaux usages tels que les villes intelligentes, l’industrie 4.0 et l’éducation à distance. De ce point de vue, la 5G est donc appelée à accélérer l’innovation et à renforcer la compétitivité des entreprises. 

Libérer la bande cœur de fréquence 5G 

Partout dans le monde, le déploiement de la 5G repose sur la disponibilité des fréquences. Gabriel Koffi, directeur de la Planification du spectre et des affaires internationales à l’Agence ivoirienne de gestion des fréquences (AIGF), précise qu’au niveau mondial, l’Union internationale des télécommunications (UIT) définit les bandes de fréquences pour les réseaux mobiles. En la matière, il existe trois types de fréquences : celles pour la couverture (700 MHz), celles pour le haut débit ou la capacité (bande de 6 GHz), et les fréquences intermédiaires qui combinent couverture et capacité (bande 3300-3600 MHz).  

Selon lui, l’AIGF a déjà mis à la disposition de l’Autorité de régulation des télécommunications/TIC (ARTCI) les fréquences nécessaires au déploiement de la 5G, notamment la bande cœur 3300-3600 MHz.

Tel que souligné par Daniel Anougba, chef du département Autorisation et Suivi des obligations à l’ARTCI, des mesures sont prises par le régulateur télécoms, relativement à l’attribution de fréquences pour des réseaux pilotes dans des villes comme Abidjan et Yamoussoukro. Mais un défi majeur réside dans la réorganisation de la bande cœur, occupée actuellement par d’autres services.

Conséquence : le déploiement de la 5G en Côte d’Ivoire accuse des retards, malgré les avancées.   

Initialement, la feuille de route 5G adoptée en décembre 2021 prévoyait un déploiement début 2023, notamment pour la période de la CAN (Coupe d’Afrique des Nations de football). Cependant, des discussions prolongées avec les opérateurs n’ont pas permis de tenir les délais. La principale raison évoquée par Daniel Anougba est la mise à disposition des fréquences, en particulier la nécessité d’atteindre une bande de 100 mégawatts minimum pour des performances optimales de la 5G. Les négociations pour s’accorder sur ces modalités ont ainsi repoussé le calendrier, révèle Daniel Anougba. 

Renforcer l’inclusion numérique 

De toutes évidences, l’ARTCI est à pied d’œuvre pour accélérer le déploiement de la 5G en rendant disponibles les fréquences et en définissant les modalités d’assignation. Ainsi, la Côte d’Ivoire, à l’instar de nombreux pays africains, se positionne pour tirer pleinement parti des avancées technologiques offertes par la 5G. Certes, les défis sont de divers ordres, mais l’une des équations majeures consiste à renforcer l’inclusion numérique. 

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a fait du développement des infrastructures numériques une priorité pour améliorer la connectivité et moderniser tous les secteurs. Zacharie Ouattara, coordonnateur du Programme national de connectivité rurale (PNCR), indique que la stratégie nationale de développement numérique s’articule autour de six axes principaux : le développement du haut débit et de la fibre optique (avec un réseau national de 7000 km), le renforcement des réseaux 4G et 5G, la digitalisation des services publics, le renforcement des centres de données pour la souveraineté numérique, l’inclusion numérique & la formation, et la cybersécurité.

Le PNCR, avec un budget de 28 milliards de francs CFA pour 2025, reste un projet ambitieux basé sur un partenariat public-privé de co-investissement dans les infrastructures avec les opérateurs de téléphonie. 

Toutefois, certaines zones rurales, isolées et reculées sont difficiles à couvrir par les opérateurs télécoms parce que les infrastructures terrestres sont absentes ou non viables économiquement.  

Dans ces conditions, l’avenir de la connectivité du pays pourrait bien passer par une combinaison de technologies terrestres et de technologies satellitaires, particulièrement les satellites en orbite basse (LEO), appelés constellations LEO, qui émergent parallèlement à la 5G.   

Combiner 5G et satellites 

Contrairement à une idée de concurrence directe, soutient Jean-Marie Aképo de RAKALL, des partenariats stratégiques se nouent aujourd’hui entre opérateurs télécoms établis et opérateurs de satellites. Objectif, couvrir les zones rurales difficiles d’accès où le coût de déploiement d’une station de base terrestre reste élevé. Un exemple concret est le partenariat entre Orange et Eutelsat Konnect au Botswana pour étendre la couverture réseau. Dans le même ordre d’idée, la technologie “Direct to Cell” de Starlink, permettant aux smartphones 4G (LTE), de recevoir des appels directement depuis le satellite, représente une véritable révolution, avec des tests concluants déjà réalisés.  

Selon Jean-Marie Aképo, ces satellites offrent également une résilience face aux interruptions des réseaux terrestres. Un point crucial après l’incident du 14 mars 2024 où des ruptures de câbles sous-marins ont causé une perte de connexion Internet généralisée. 

Dans ce contexte, les synergies entre la 5G et les satellites en orbite basse peuvent ouvrir la voie vers une combinaison de technologies qui permettront d’adresser le défi persistant de la couverture rurale, où environ 47% de la population ivoirienne vit dans des zones dites blanches, non couvertes par les réseaux classiques.  

Pour Daniel Anougba de l’ARTCI, l’écosystème numérique ivoirien devra se préparer à exploiter pleinement ces technologies à travers des dispositions réglementaires idoines et des collaborations entre acteurs privés et publics. Les enjeux sont multiples : la souveraineté technologique, le développement de nouveaux services, tout en relevant les défis réglementaires, sécuritaires et économiques. 

Anselme AKEKO

Responsable éditorial Cio Mag
Correspondant en Côte d'Ivoire
Journaliste économie numérique
2e Prix du Meilleur Journaliste Fintech
Afrique francophone 2022
AMA Academy Awards.
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