Majda Lahlou Kassi [Ericsson] : « la 5G […] un catalyseur de la transformation numérique inclusive et durable à l’échelle de l’Afrique »

Qu’il s’agisse du niveau de préparation des Etats africains au déploiement de la 5G, du passage progressif de la 2è à la 5è génération ou encore des défis liés à cette technologie, Ericsson, acteur majeur des télécommunications sur le continent, partage son analyse. La parole est donnée dans cette interview par Cio Mag à Majda Lahlou Kassi Vice-Présidente et Directrice d’Ericsson pour l’Afrique Occidentale et Australe.

Cio Mag : Quel est le niveau de préparation des États africains au déploiement de la 5G sur le continent ?

La 5G en Afrique n’en est qu’à ses prémices, mais nous constatons déjà des progrès prometteurs sur plusieurs marchés pionniers, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique australe, où les services se déploient dans les pôles urbains et industriels principaux.

Alors que les abonnements 5G dans le monde ont atteint 27 % des abonnements mobiles à la fin de 2024, l’Afrique subsaharienne n’en est qu’à ses débuts dans le domaine de la 5G. Le continent pose toutefois des jalons d’un avenir numérique en pleine croissance et en pleine transformation.

La 4G demeure aujourd’hui la technologie dominante pour la plupart des connexions des abonnés, ce qui signifie que la transition vers une adoption généralisée de la 5G s’inscrira dans le temps. Selon les projections, la pénétration de la 5G devrait atteindre 14 % à 16 % d’ici 2030. Il est toutefois encourageant de constater que les gouvernements et les régulateurs commencent à donner la priorité à l’attribution de fréquences dans la bande moyenne et à mettre en œuvre des politiques visant à accélérer l’innovation et à améliorer la couverture. Ceci constitue des étapes décisives vers une connectivité de nouvelle génération à plus large échelle.

Il est toutefois encourageant de constater que les gouvernements et les régulateurs commencent à donner la priorité à l’attribution de fréquences dans la bande moyenne et à mettre en œuvre des politiques visant à accélérer l’innovation et à améliorer la couverture. Ceci constitue des étapes décisives vers une connectivité de nouvelle génération à plus large échelle.

Ericsson travaille en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème numérique afin d’accélérer l’adoption de la 5G sur tout le continent. Grâce à des solutions telles que l’accès sans fil fixe (FWA) 5G, nous rendons possible un déploiement rapide du haut débit à grande vitesse dans les zones mal desservies, en évitant le recours à des infrastructures de fibre optique coûteuses.

Notre leadership dans le déploiement de réseaux 5G privés (appelés 5G Private Networks en anglais) ouvre de nouvelles perspectives aux entreprises des secteurs de l’industrie, de l’exploitation minière, des ports et de la logistique. Celles-ci peuvent accroitre leur productivité et renforcer leur sécurité grâce à une connectivité ultra-fiable et à faible latence, adaptée à leurs besoins spécifiques. En collaboration avec nos partenaires, ces efforts préparent les marchés à un avenir où la 5G jouera un rôle central dans la croissance économique de l’Afrique et dans la résolution de certains défis majeurs du continent.

Plusieurs pays n’avaient pas encore achevé le déploiement de la 3G avant de passer à la 4G, qui est encore incomplète sur tout le continent, et maintenant la 5G est en cours d’introduction. Comment combler cet écart ?

Chez Ericsson, nous considérons que l’évolution de la connectivité en Afrique nécessite une approche pragmatique et progressive : renforcer la couverture 4G tout en introduisant stratégiquement la 5G là où elle a le plus grand impact socio-économique. L’accès sans fil fixe (FWA) change la donne à cet égard, en fournissant un accès haut débit rapide, évolutif et rentable dans les régions dépourvues d’infrastructure de fibre optique. Nos projets FWA 5G menés dans des pays tels que l’Angola, l’Afrique du Sud, le Nigeria, le Kenya et le Zimbabwe démontrent comment cette technologie apporte un accès Internet haut débit fiable aux foyers, aux écoles et aux entreprises qui étaient jusqu’alors non connectés.

En complément du FWA, la solution avancée de partage du spectre d’Ericsson « Ericsson Spectrum sharing » permet aux opérateurs de télécommunications d’exploiter simultanément la 4G et la 5G sur les mêmes bandes de fréquences. Cela maximise la valeur des actifs existants et accélère le déploiement de la 5G sans compromettre les services actuels. Aussi, nos services de modernisation des réseaux, y compris le réaménagement dynamique du spectre, permettent aux opérateurs d’optimiser les performances du réseau tout en assurant une migration fluide des utilisateurs.

Parallèlement, les réseaux 5G privés jouent un rôle essentiel en fournissant une connectivité personnalisée et hautement performante aux industries où la mobilité est essentielle. Par exemple, une grue opérant dans un port très fréquenté ou un robot se déplaçant dans une usine de fabrication ne peuvent pas compter sur des connexions fibre optique fixes. Dans de tels environnements, la mobilité, la latence ultra-faible et les capacités haut débit de la 5G deviennent indispensables.

Quels sont les principaux défis techniques, économiques, infrastructurels ou réglementaires rencontrés dans le déploiement de la 5G ?

Le déploiement de la 5G en Afrique s’accompagne d’un ensemble de défis complexes, chacun nécessitant des interventions ciblées et une collaboration solide entre les différentes parties prenantes. Ericsson travaille en étroite collaboration avec l’ensemble de l’écosystème, y compris les opérateurs, les régulateurs, les gouvernements, les universités et les partenaires industriels, afin de relever ces défis :

En matière de compétences et culture numérique, le continent est confronté à une pénurie d’ingénieurs en télécommunications spécialisés dans la conception, le déploiement et la gestion des réseaux 5G. En outre, des lacunes en matière de culture numérique affectent la préparation des utilisateurs. Grâce à des programmes tels qu’Ericsson Educate et à des partenariats avec l’industrie et le monde universitaire, nous contribuons à former un vivier de professionnels qualifiés. Nous menons également des initiatives de formation communautaire afin de renforcer la culture numérique et favoriser une meilleure préparation à l’adoption de services avancés.

Au niveau des considérations économiques, le faible revenu moyen par utilisateur (ARPU) sur de nombreux marchés rend les investissements dans la 5G difficiles, une situation aggravée par des pressions macroéconomiques telles que l’inflation, le poids de la dette et la volatilité des devises. La disponibilité d’appareils 5G abordables reste un frein majeur. Pour y répondre, Ericsson développe des modèles de déploiement rentables, comme par exemple des sites radio alimentés à l’énergie solaire, des stratégies de densification du réseau et l’accès sans fil fixe (FWA) afin d’offrir un haut débit sans avoir à déployer de coûteuses infrastructures de fibre optique. Nous collaborons également avec les principaux constructeurs de téléphones mobiles afin d’accélérer les tests et la certification des appareils, ce qui permet de disposer plus rapidement de téléphones compatibles 5G à des prix abordables.

Pour ce qui est de l’environnement réglementaire, une attribution rapide des fréquences, des redevances équilibrées et des politiques cohérentes sont essentielles pour créer un cadre propice. Pour y parvenir, Ericsson travaille en étroite collaboration avec les régulateurs et des organismes tels que l’Union africaine des télécommunications (UAT) afin de promouvoir des prix abordables pour le spectre, des licences neutres sur le plan technologique et des cadres flexibles qui favorisent une croissance durable et à long terme de la 5G.

Grâce à cette approche intégrée, la 5G peut évoluer depuis son stade actuel de déploiement précoce pour devenir un catalyseur de la transformation numérique inclusive et durable à travers l’Afrique.

Quels sont les cas d’utilisation spécifiques à l’Afrique qui sont à l’étude ou déjà testés avec la 5G ?

La 5G commence à ouvrir la voie à des cas d’utilisation transformateurs dans des secteurs critiques en Afrique, accélérant ainsi le développement socio-économique du continent :

Sur le plan de la santé, la 5G permettra aux cliniques rurales de se connecter aux hôpitaux urbains pour la télémédecine et les diagnostics en temps réel. Des cas d’utilisation avancés tels que les chirurgies à distance et les appareils médicaux connectés deviendront possibles à mesure que les réseaux mûrissent, améliorant ainsi l’accès aux soins de santé et leurs résultats.

Dans l’agriculture, l’agriculture intelligente dopée par la 5G facilitera la surveillance en temps réel des sols et des cultures, l’irrigation de précision et la surveillance par drone. Ces technologies aideront les agriculteurs à augmenter leurs rendements, à réduire les déchets et à renforcer leur résilience face au climat.

En matière d’éducation, la connectivité 5G à haut débit rendra possible l’apprentissage à distance immersif et interactif, permettant l’accès à des ressources basées sur le cloud et à des salles de classe numériques. Cela contribuera à réduire les inégalités en matière d’éducation, en particulier dans les zones rurales.

Dans le domaine de l’industrie, les réseaux 5G privés amélioreront la productivité et la sécurité dans des secteurs tels que l’exploitation minière, la fabrication, les ports et la logistique en permettant l’automatisation, le contrôle à distance des équipements et la surveillance opérationnelle en temps réel. Le partenariat entre Ericsson et COMSOL en Afrique du Sud illustre parfaitement cette transformation.

En ce qui concerne les villes intelligentes, la 5G soutiendra les initiatives qui optimisent la gestion du trafic, la sécurité publique et l’efficacité énergétique grâce à des applications basées sur l’IA, améliorant ainsi la qualité de vie dans les centres urbains en pleine croissance.

Le leadership d’Ericsson dans le déploiement d’infrastructures 5G évolutives, de connectivité FWA et de réseaux privés nous place dans une position unique pour aider à développer ces cas d’usage grâce à des partenariats, permettant ainsi à l’Afrique d’exploiter tout le potentiel de la 5G pour stimuler la croissance économique et relever les défis pressants en matière de développement.

Quelle est la stratégie d’Ericsson pour s’implanter sur le continent ?

Notre mission est de contribuer à l’émergence d’une Afrique durable, inclusive et connectée en mettant en œuvre une stratégie 5G globale axée sur quatre piliers : une couverture 5G à l’échelle nationale, l’innovation et les partenariats, des investissements durables et le développement des talents locaux.

Nous collaborons étroitement avec les opérateurs de télécommunications et les gouvernements pour mettre en place des réseaux 5G performants et rentables, permettant de créer des opportunités numériques pour les communautés et les entreprises. Nos partenariats avec les principaux opérateurs illustrent le rôle de la connectivité comme levier d’autonomisation économique à grande échelle, qu’il s’agisse des services financiers mobiles ou d’initiatives de villes intelligentes.

Les technologies telles que la 5G FWA et les réseaux privés sont au cœur de notre stratégie de connectivité. Elles permettent un déploiement rapide et rentable du haut débit dans les zones urbaines et rurales mal desservies. Associées à l’automatisation des réseaux basée sur l’IA (réseaux d’accès radio intelligents), elles garantissent l’efficacité, la résilience et la durabilité des réseaux.

Dans le même temps, nous encourageons avec conviction l’extension et la modernisation des infrastructures 4G dans les différents pays afin de garantir que personne ne soit exclu pendant la transition. Nos efforts en matière de réglementation se concentrent sur la promotion de politiques neutres sur un plan technologique, de tarifs raisonnables pour le spectre et de cadres permettant une croissance innovante, durable et à long terme de la 5G.

Nos collaborations vont au-delà des opérateurs de télécommunications et des régulateurs. Nous encourageons activement des partenariats ouverts et multiparties, en associant le monde universitaire, les start-ups et les développeurs pour faire émerger de nouvelles applications et accélérer l’innovation. Un excellent exemple à citer est notre participation à Aduna, une co-entreprise mondiale lancée en septembre 2024 par Ericsson et les principaux opérateurs de télécommunications dans le monde afin de fournir des interfaces API réseau communes et standardisées dans le cadre du projet CAMARA porté par la GSMA-Linux Foundation.

Concrètement, Aduna offre aux développeurs un accès unifié à des fonctionnalités telles que l’assurance de service, la prévention de la fraude, la détection des échanges de cartes SIM, la vérification des numéros de téléphone ou encore la localisation des smartphones en temps réel. Cette standardisation élargit ainsi la portée de ces interfaces et facilite la création par les développeurs de services numériques fluides, sécurisés et innovants à l’échelle mondiale.

‘Ericsson Educate’ ainsi que d’autres programmes de développement des compétences contribuent à former une nouvelle génération de talents numériques africains, condition indispensable pour garantir une adoption pérenne et stimuler l’innovation locale sur le continent. Grâce à des technologies telles que les réseaux 5G privés, nous aidons des secteurs tels que l’exploitation minière, l’industrie manufacturière, les ports et la logistique dans leur transition à l’industrie 4.0, renforçant ainsi la compétitivité et la création d’emplois.

Notre approche globale reflète l’engagement d’Ericsson à soutenir des écosystèmes où la 5G n’est pas seulement une technologie, mais un catalyseur de la transformation numérique de l’Afrique.

Michaël Tchokpodo

Michaël Tchokpodo est journaliste communiquant, grand observateur des mutations relatives aux technologies numériques et au développement durable. Correspondant au Bénin pour CIO Mag.

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