
Catalyseur d’intelligence collective et levier d’influence, la Commission Eurotech incarne le moteur numérique, durable et stratégique d’Eurocham, la Chambre de Commerce européenne en Côte d’Ivoire. À la tête de cette dynamique, Delphine Lavaud dévoile ses ambitions et annonce le lancement des travaux. Interview.
CIO Mag : Pourquoi avoir initié la création d’une nouvelle commission dédiée à la transformation numérique?
Delphine Lavaud : En tant que présidente de cette nouvelle Commission Eurotech, cette initiative part d’un constat clair que je pose après plus de 25 ans d’expérience dans les domaines de la technologie, de la communication, de l’information et du conseil stratégique pour les entreprises et les grands groupes.
Après avoir dirigé la Commission RSE d’Eurocham pendant 4 ans, il m’est apparu évident que les enjeux numériques sont désormais au cœur de toutes les transformations majeures à venir. L’accélération sans précédent des technologies, notamment l’émergence de l’intelligence artificielle générative, va bouleverser nos modèles économiques, nos chaînes de valeur, nos organisations internes et nos rapports humains.
Or, les dirigeants sont souvent démunis face à cette vitesse de transformation, par manque de lisibilité, de ressources ou d’acculturation suffisante. Il était donc urgent de créer un collectif structuré, composé de grandes entreprises membres d’Eurocham, pour anticiper ensemble, diagnostiquer les besoins sectoriels, initier des solutions, favoriser la montée en compétence, et créer des synergies avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème.
Notre Commission entamera ses travaux dès septembre, en collaboration active avec l’écosystème ivoirien, sous-régional et européen.
Notre objectif est de co-construire une feuille de route, avec des groupes de travail concrets, des formats agiles et une vision durable, inclusive et stratégique.

Quels sont les principaux défis auxquels les entreprises membres d’Eurocham font face en Côte d’Ivoire dans leur transition numérique, notamment face à l’IA?
Le défi numéro un, c’est la compréhension stratégique. Beaucoup de dirigeants sont conscients de l’urgence, mais ne savent pas par où commencer, ni comment orchestrer cette transformation dans leur structure. Le manque de lisibilité sur les opportunités réelles qu’offre l’intelligence artificielle, les risques en cybersécurité, l’absence de compétences internes, ou encore l’adaptation des systèmes d’information, sont des freins majeurs.
C’est pourquoi la commission Eurotech commence ses travaux dès septembre 2025 par une grande écoute active. Nous allons rencontrer les dirigeants, secteur par secteur, pour identifier leurs attentes, leurs besoins réels et les freins concrets qu’ils rencontrent. Cela nous permettra ensuite de bâtir des cellules spécifiques, en mode agile, avec des experts métiers, des partenaires tech, des représentants de l’État et des acteurs de la formation.
Vous identifiez la fracture numérique intergénérationnelle comme un frein à la transformation. Comment la Commission entend-elle réduire cet écart entre dirigeants traditionnels et jeunes talents nés dans le digital ?
La fracture intergénérationnelle est bien réelle. D’un côté, des dirigeants expérimentés qui ont construit leur carrière avant la révolution digitale. De l’autre, une nouvelle génération de talents, digital natives, qui perçoivent autrement l’entreprise, l’innovation et le leadership.
Pour répondre à cela, nous allons développer des programmes de mentorat croisé, inter ou intra-entreprise, en collaboration avec des académies ou fondations d’entreprise membres.
Ce dialogue générationnel sera la clé pour favoriser une compréhension mutuelle et un transfert de compétences dans les deux sens.
Nous plaçons la formation et l’information au cœur de nos priorités. L’objectif, construire des ponts, pas des murs. Redonner confiance aux dirigeants tout en responsabilisant les jeunes talents pour co-construire l’entreprise de demain.
Vous évoquez aussi un écosystème riche. Comment ces partenariats renforcent l’innovation et le partage d’expérience au sein d’Eurocham ?
Nous avons la chance, en Côte d’Ivoire, de bénéficier d’un écosystème très dynamique. La Commission Eurotech ne se conçoit pas comme un silo, mais comme un pont stratégique entre les grandes entreprises d’Eurocham (une quinzaine de membres fondateurs engagés), les start-up et les incubateurs, les institutions publiques comme le Ministère du Numérique, les réseaux féminins, les organisations professionnelles, les chambres de commerce, les partenaires internationaux, en particulier européens.
Ce maillage permet d’échanger les expertises, de faire remonter des problématiques réelles du terrain, de créer des connexions inédites, de favoriser l’innovation ouverte et de dépasser les approches isolées. Ensemble, nous construisons une vision partagée et durable de la transformation numérique en Afrique francophone.
Pouvez-vous donner des exemples concrets d’actions qui résulteront des travaux de la Commission ?
Oui, dès la rentrée de septembre, nous lancerons plusieurs formats opérationnels conçus pour connecter les entreprises membres à des solutions concrètes issues de l’écosystème tech local, régional et international.
Le premier exemple est le format SpeedTech, que nous avons spécifiquement imaginé pour favoriser des passerelles efficaces entre grandes entreprises et start-up. Concrètement, une entreprise présente ses enjeux ; en face, des start-up pitchent pendant une minute devant les équipes métiers, afin d’identifier des matchings et solutions d’amélioration numérique ou technologique.
Nous organiserons également des visites immersives dans des Tech Labs, incubateurs ou fab labs ; des diagnostics sectoriels réalisés avec des experts membres ; des groupes de travail thématiques. Nous travaillerons main dans la main avec le Ministère du Numérique et participerons à l’implémentation de la stratégie nationale IA, via le Comité dédié. Enfin, nous porterons des plaidoyers structurés auprès du gouvernement, sur les sujets liés à la digitalisation, à l’innovation, à la souveraineté numérique ou à l’impact environnemental et sociétal des technologies.
La finance de l’innovation est un levier clé. Quels dispositifs allez-vous promouvoir en la matière ?
Nous allons travailler avec les équipes de l’Union européenne sur le programme Global Gateway, avec la GIZ, Bpifrance, et d’autres bailleurs ou fonds africains. L’objectif est de cartographier tous les dispositifs existants (subventions, accompagnements, incubations, prêts, cofinancements) et de les rendre lisibles pour nos membres.
Nous organiserons aussi des masterclass sur la levée de fonds, les critères ESG, l’intégration de l’IA dans les dossiers d’innovation, ou encore le montage de projets collaboratifs entre entreprises et start-up.
La commission se veut un pôle stratégique sur les enjeux durables et technologiques. Comment comptez-vous agir sur la GreenTech et l’AgroTech ?
Nous pensons que l’innovation ne doit pas être déconnectée des réalités écologiques et agricoles. L’AgroTech, la GreenTech ou la CleanTech sont des terrains de convergence entre la durabilité, la performance et la souveraineté.
Nous allons identifier des champions locaux dans ces domaines, les mettre en réseau avec les membres Eurocham, et accompagner les entreprises dans leurs stratégies de transition (traçabilité, réduction carbone, agriculture intelligente, digitalisation des filières).
En tant que présidente, quelle est votre vision pour faire de cette commission un catalyseur d’intelligence collective et d’influence ?
Ma vision est claire : faire de la Commission Eurotech un levier de transformation, de cohésion et de rayonnement pour les entreprises membres et leur écosystème.
Nous sommes dans un moment charnière. L’Afrique doit non seulement rattraper certains retards, mais aussi prendre une longueur d’avance sur des enjeux structurants comme l’IA, les données, la cybersécurité, la souveraineté technologique ou la durabilité.
Cela passera par une approche collective visant à rassembler les grandes entreprises, les experts, les jeunes talents ; concrète proposant des solutions applicables et adaptables ; et stratégique, ancrée dans les réalités locales tout en gardant une ouverture régionale et internationale.
Je crois profondément en la force du réseau, de la transmission et de la coopération.
Et encore une fois, je remercie chaleureusement le Président d’Eurocham pour sa vision et son soutien à cette Commission, qui est là pour penser et bâtir l’avenir technologique de nos entreprises, avec ambition, responsabilité et cohérence.