Dorine Hounkpè, Directrice des Systèmes d’Information du Ministère du Numérique et de la Digitalisation
Plusieurs théories annoncent la ‘’fin’’ de la fonction DSI. Notamment en raison des influences technologiques qu’elle connaît. Dorine Hounkpè, Directrice des Systèmes d’Information du Ministère du Numérique et de la Digitalisation (DSI – MND) n’est pas du même avis. Alors qu’elle veille à ce que les technologies de l’information soutiennent pleinement la stratégie et les priorités du ministère, la DSI estime plutôt que la fonction connaîtra une ‘’évolution’’. Dans cette interview accordée à Cio Mag, Dorine Hounkpè fait un tour d’horizon du sujet.
Dorine Hounkpè est la seule femme DSI dans l’administration publique béninoise. Avant d’aborder le sujet, il convient de lever un coin de voile sur son parcours qui force respect et admiration. Elle est tout d’abord une ancienne enfant de troupe du Lycée Militaire de Jeunes Filles Général Mathieu KEREKOU (LMJF – GMK) et également officier de l’armée au grade de Capitaine-Major.
Après l’obtention de son diplôme d’ingénieur Réseaux et Télécommunications à l’Ecole Polytechnique d’Abomey-Calavi (EPAC), elle a suivi une formation initiale d’officier. A l’issue de celle-ci, elle a été conseillère IT à la Direction des Systèmes d’Information et de la Communication des Armées, puis gestionnaire du système d’information de l’Etat-Major de la Force de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA).
Dorine Hounkpè a ensuite servi en tant que responsable d’une unité de télécommunications au Bataillon des Transmissions de l’Etat-Major de l’Armée de Terre avant d’être nommée Directrice des Systèmes d’Information du Ministère du Numérique et de la Digitalisation. Interview.
Cio Mag : Comment l’IA influence-t-elle votre fonction et quels changements majeurs observez-vous dans les systèmes d’information ?
Dorine Hounkpè : L’intelligence artificielle transforme profondément le rôle des Directeurs des Systèmes d’Information. Aujourd’hui, le rôle des DSI ne se limite plus à garantir la disponibilité des systèmes ou gérer les infrastructures, mais il implique de piloter la stratégie numérique de l’organisation. L’IA nous oblige à penser différemment : comment la donnée, l’automatisation et les technologies intelligentes peuvent réellement créer de la valeur et soutenir les objectifs métier.
En d’autres termes, le DSI devient un acteur clé de l’innovation. Il doit savoir identifier les cas d’usage pertinents de l’IA, s’assurer que les systèmes sont capables de les intégrer, et surtout, garantir que tout cela se fait dans un cadre éthique et sécurisé. La gouvernance de la donnée et la confiance numérique sont devenues des priorités.
Mais il s’agit également d’une transformation humaine. Le DSI doit accompagner les collaborateurs et usagers dans cette transition, développer de nouvelles compétences au sein des équipes et installer une vraie culture de l’innovation et de la collaboration entre les métiers et les équipes techniques.
En résumé, l’IA repositionne le DSI comme un leader stratégique et humain, capable de connecter la technologie, la donnée et les personnes pour construire une organisation plus agile et plus intelligente.
Quelles compétences deviennent indispensables et comment le leadership technologique évolue-t-il ?
Le DSI d’aujourd’hui est un leader stratégique et humain, capable de conjuguer vision technologique, compréhension des enjeux métiers et sens des responsabilités dans un monde de plus en plus guidé par la donnée et l’intelligence artificielle. En tant que DSI, et à l’ère des technologies émergentes, notamment de l’IA, maîtriser la technologie ne suffit plus. Il devient indispensable de savoir orienter la stratégie numérique de l’organisation.
Le DSI doit d’abord développer une vision stratégique et business : comprendre comment l’IA peut créer de la valeur, améliorer les processus, ou soutenir la prise de décision. Cela demande une vraie culture data, une bonne lecture des modèles économiques et la capacité de prioriser les bons investissements technologiques.
Sur le plan technique, il doit évidemment maîtriser les nouveaux environnements — cloud, gouvernance des données, cybersécurité intelligente — mais sans se limiter à l’aspect opérationnel. Il doit surtout être capable de transformer ces technologies en solutions concrètes au service des métiers.
La dimension humaine et managériale constitue un autre axe essentiel. L’IA bouscule les habitudes et peut susciter des craintes. Le DSI doit donc devenir un accompagnateur du changement, capable de former, d’expliquer, et d’instaurer une culture de confiance autour de l’IA, ainsi qu’une culture d’innovation et de collaboration.
Enfin, cette évolution appelle de nouvelles formes de leadership : un leadership plus collaboratif, plus agile et plus éthique. Le DSI doit fédérer autour d’une vision commune, inspirer la confiance, et promouvoir une utilisation responsable et durable de la technologie.
Quel est votre rôle dans la gouvernance de l’IA et comment abordez-vous les questions d’éthique et de sécurité ?
Le DSI aujourd’hui joue un rôle central dans la gouvernance de l’IA. Il veille à ce que les projets soient alignés avec les objectifs stratégiques de l’entreprise, tout en garantissant l’éthique, la transparence et la qualité des données. Pour cela, il est essentiel de mettre en place des règles et des processus pour encadrer l’usage des algorithmes. Un second aspect consiste à superviser les risques liés aux décisions automatisées, et coordonner les parties prenantes métiers et techniques.
Sur le plan éthique, le DSI doit anticiper les biais possibles des algorithmes, garantir la transparence des décisions prises par l’IA et veiller à ce que les données utilisées soient protégées et traitées de manière responsable. Il s’agit aussi d’instaurer des cadres internes, comme des chartes ou des comités de pilotage, pour encadrer l’usage de l’IA et éviter toute dérive.
En ce qui concerne la cybersécurité, l’enjeu est double. D’une part, le DSI doit protéger l’infrastructure et les données sensibles contre les risques accrus liés à l’IA, comme les fuites de données massives. D’autre part, il doit former et sensibiliser les équipes aux bonnes pratiques de sécurité et aux risques spécifiques aux systèmes d’IA.
En résumé, le DSI est aujourd’hui à la croisée de la stratégie, de l’éthique et de la sécurité. Il ne suffit plus de gérer les systèmes : il s’agit de piloter l’innovation technologique de manière responsable et sécurisée, tout en gardant une vision claire des impacts sur l’organisation et sur ses partenaires.
Comment imaginez-vous la fonction DSI dans 5 à 10 ans ?
Dans 5 à 10 ans, la fonction de DSI sera beaucoup plus stratégique et transversale qu’elle ne l’est déjà aujourd’hui. Le DSI ne sera plus seulement un gestionnaire de systèmes, mais un véritable orchestrateur de l’innovation technologique, capable de traduire des technologies comme l’IA, le cloud ou la cybersécurité en valeur pour l’entreprise. Il jouera aussi un rôle clé dans la gouvernance éthique de l’IA, en veillant à la transparence des algorithmes, à la protection des données et à la conformité réglementaire.
Aux futurs DSI, je dirai qu’il devient indispensable de développer à la fois des compétences techniques (notamment l’IA et la cybersécurité), et des compétences stratégiques et humaines : leadership, communication, vision business. Il faut aussi savoir anticiper les risques, piloter l’innovation de manière responsable et créer des ponts entre les équipes métiers et tech.
Pour terminer, on a beaucoup théorisé la fin de la fonction DSI. Partagez-vous cette analyse ?
En effet, on entend beaucoup parler de la “fin” de la fonction DSI. Je pense plutôt que nous ferons face (et faisons déjà face) plus à une transformation profonde qu’à une disparition. Comme nous l’avons abordé dans les analyses, la fonction est en train de passer d’un garant des infrastructures et des systèmes à un véritable catalyseur de valeur.
Donc non, la fonction DSI ne meurt pas, elle évolue : au lieu de superviser des serveurs, le DSI devient un leader qui oriente la stratégie technologique, anime les talents, sécurise les données, crée des ponts entre métiers et technologie, et s’assure que l’IA, la cybersécurité et la gouvernance se traduisent en valeur pour l’organisation.





