La première journée du 10è anniversaire des Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA), qui se sont tenu les 25 et 26 novembre au Maroc, a pris fin par un panel sur l’intelligence artificielle. « Quels apports de l’IA pour un gouvernement intelligent et tourné vers l’avenir ? Identité numérique et développement des solutions pour une administration intelligente » : tels sont les points d’intervention des différents panélistes. Organisé par Cio Mag et la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel (CNDP-Maroc), l’événement a connu la participation d’importantes personnalités de l’écosystème numérique africain. L’Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P) de Benguérir et l’Agence de développement du digital (ADD) du Maroc en ont été les sponsors officiels.
(Cio Mag) – L’Intelligence artificielle : mythe ou réalité ? « L’IA en tant que science et technologie existe vraiment. Ce n’est pas un domaine nouveau. Ce qui est nouveau, ce sont les facilités mises à disposition par les Gafam pour démocratiser la technologie », tranche Amal El Fallah Seghrouchni, directrice du Centre international d’IA « AI Movement » de l’UM6P. Selon elle, l’existence de l’IA est si réelle que 1 700 milliards de dollars y ont été investis au profit du secteur de la défense au niveau mondial. A l’origine, l’IA était développée par les militaires et les entreprises capables de faire de la recherche & développement. Mais aujourd’hui, 43 % des startups et PME évoquent des solutions IA alors qu’elles ne font que du développement logiciel relativement classique avec un peu d’optimisation.
« L’usage de l’IA n’est pas développé au niveau du secteur public, compte tenu du fait que ces organisations ne sont pas très data driver », nuance Mohamed Faïçal Nebri, responsable du département stratégie, développement et coopération de l’ADD. Cependant, en fonction de sa progression et son importance, l’IA gagne du terrain et participe à la création d’innovations dont les usages sont multiples. Exemple de l’automatisation des travaux de routine, l’amélioration de l’efficacité des services publics et des interactions avec les citoyens, l’utilisation de la reconnaissance vocale pour les langues les plus complexes, etc. En effet, ces avancées « facilitent le travail des agents de l’Etat, aident à la décision et offrent la possibilité d’identifier des types de profils qui seraient reconnus comme des fraudeurs potentiels », renchérit Mohamed Faïçal Nebri.
Aller ou non vers l’IA…
En Afrique, le Maroc est l’un des pays du nord à avoir pu qualitativement se démarquer par ses prouesses numériques ces vingt dernières années. Pour l’ADD, le pays dispose de l’écosystème d’IA nécessaire à une transformation dans ledit domaine. Il s’agit des infrastructures, l’expérience des Marocains et surtout la jeunesse. « Nous avons des entreprises qui s’intéressent de plus en plus à l’IA, affirme Mohamed Faïçal Nebri. Nous avons la jeunesse et ce qu’il faut. Peut-être qu’il y a aussi des efforts à faire au niveau gouvernemental par rapport aux citoyens. Il est envisagé qu’au niveau mondial, d’ici à 2030, 70 % des entreprises vont s’intéresser à l’IA. »
Faut-il attendre ou pas pour aller vers l’IA ? Amal El Fallah Seghrouchni est presque alarmiste sur la question. « Aujourd’hui, l’IA est largement développée ailleurs. Cela devrait nous interpeller sur ce que nous pouvons faire chez nous. C’est urgent de faire de l’IA au Maroc et en Afrique. Nous avons un fort taux de jeunes et la capacité de les former de façon très pertinente. Nous pouvons donc nous permettre de brûler quelques étapes. »
Exemple à l’appui, la Professeur à Sorbonne Université quantifie l’apport de l’IA dans le domaine de la santé. D’après elle, 80% des médecins se trompent sur les clichés médicaux mais pas l’IA. Les algorithmes de l’IA peuvent détecter des pathologies que des radiologues très avertis ne voient pas dans les clichés. En conclusion, « ce n’est pas l’IA qui n’est pas prête à accompagner les gouvernements, fait-elle remarquer. C’est de notre responsabilité d’upgrader les citoyens afin d’être en mesure d’utiliser ces technologies devenues puissantes aujourd’hui. »
Comment les îles Comores et le Gabon s’y prennent ?
Aux îles Comores, la transformation digitale est un terme encore très nouveau. Il y a seulement trois ans que le pays s’est engagé dans cette directive. En 2018, le chef d’Etat comorien a décidé de faire élaborer une feuille de route pour entamer la digitalisation du pays. Les premiers chantiers concernent l’e-gouvernement, le cadre d’interopérabilité, le cadre règlementaire, etc. « Nous ne sommes pas suffisamment en avance comme nos voisins pour aborder ces questions sous l’angle de l’innovation et de l’IA, reconnaît Chamsoudini Mzaouiyani, directeur général de l’Agence nationale de développement du numérique (ANADEN) des îles Comores. Nous voulons regarder comment intégrer ces innovations dans notre plan de structuration des données. Nous nous autorisons d’écouter et d’être aux côtés des spécialistes pour prendre des éléments pertinents afin de ne pas bâtir des infrastructures obsolètes. »
La tendance est presque la même au Gabon. Pour le directeur général de l’Agence nationale des infrastructures numériques et des fréquences (ANINF), Daniel Christian Rogombe, le Gabon priorise le financement et la mise en place des infrastructures nécessaires à tout projet de digitalisation ou d’IA. Objectif : réduire la fracture numérique et créer de la richesse dans le secteur numérique grâce aux startups. Une volonté politique qui trouve du répondant dans la mise en place de l’écosystème numérique. Elle passe par la création des usages numériques, des innovations et la formation. « Pour l’heure, nous ne pouvons pas encore parler d’IA, avoue Daniel Christian Rogombe. Nous reconnaissons néanmoins les avantages qu’elle peut apporter. L’infrastructure que nous mettons en place doit pouvoir intégrer l’IA. »
Outre la volonté politique et la force de la jeunesse, les îles Comores lancent d’ici à 2024, cinq différentes formations de niveau master. Elles se rapportent à l’IA, la cybersécurité et le big data, en vue de former des compétences locales au sein de la jeunesse. « Nous devons nous positionner sur un point d’équilibre entre rattraper le retard en termes d’infrastructures et la préparation du capital humain, en nous appuyant sur nos atouts tels que la diaspora comorienne », précise Chamsoudini Mzaouiyani.
« Il nous faut une stratégie pour l’IA »
Aussi révolutionnaire qu’elle puisse paraître, l’intelligence artificielle comporte plusieurs sortes de risques. Le plus courant, c’est le vol des données à caractère personnel. Mais elle peut être l’origine de pannes d’électricité généralisée, dues à des perturbations sur les infrastructures. Cela n’inquiète pas l’ADD assurée de ce que le Maroc a déjà mis en place le cadre légal pour se prémunir de toutes éventualités. « L’éthique et la règlementation sont deux choses différentes. L’éthique va encadrer un certain nombre d’usages et de développement de l’intelligence artificielle. Cela couvre tous les cycles de vie, de la conception jusqu’au démantèlement du système », précise Amal El Fallah Seghrouchni.
Elle milite activement pour la mise en place de stratégies IA en Afrique. « Ce n’est pas l’IA en tant que technologie qui n’est pas prête à aider les humains, mais notre capacité à les utiliser. Il est urgentissime d’avoir une stratégie nationale d’IA. Elle est la vision globale d’une potentielle solution qui ne va pas être figée. Il faut mettre les moyens et ne pas simplement prier pour que ça marche. » Cette stratégie doit prendre en compte la formation, maillon essentiel pour assurer la pérennité de son déploiement. « Pour faire de l’IA, il faut avoir des gens bien formés. Et pour avoir des gens bien formés, il faut avoir des universités qui forment suffisamment de masse critique et des entreprises pour les prendre en stage », rappelle Amal El Fallah Seghrouchni.
La vidéo YouTube pour accéder au replay de ce panel. Minutage : de 8:00:00 à 8:54:52