Huit ministres chargés du numérique et de la transformation digitale ont évoqué, lors de la 12ème édition des ATDA à Madagascar, les stratégies et feuille de route mises en place dans leurs pays pour relever les défis du numérique. Ce qui représentait les grandes lignes de différentes initiatives prises dans diverses régions du continent pour faire du numérique un des leviers de développement. Cet objectif reste le point commun de toutes les actions menées dans ces huit pays et reflète la vision globale du continent pour sa transformation digitale. Retour sur la session ministérielle des ATDA-2023.
(Cio mag) – La session ministérielle tenue aux ATDA-2023 a donné l’occasion à huit pays : le Ghana, le Burundi, l’île Maurice, les Comores, la République Démocratique du Congo (RDC), la Mauritanie, la Zambie et le Madagascar de partager, avec l’écosystème du numérique réuni à Antananarivo, les actions menées par chacun de ces pays dans le secteur du numérique. Cette session a porté sur le thème : « Stratégies et feuilles de route : potentiel, formations, compétences, adéquation, jeunesse, diversité et démographie. Comment engager les Etats pour “disrupter” un système dépassé ? »
A tour de rôle, les ministres chargés du numérique de ces pays ont présenté ce qui constitue les spécificités de leurs stratégies. Ceci, dans le but de permettre à tout l’écosystème numérique, notamment africain, de s’inspirer des succès enregistrés et d’anticiper les défis rencontrés ailleurs.
Le Ghana, le pari du panafricanisme
La stratégie du Ghana pour challenger les défis du numérique est transversale. L’investissement dans les infrastructures, la formation, le partage d’expérience, la promotion des compétences locales, la vulgarisation de la maîtrise des outils informatiques, la cybersécurité… sont au cœur de la stratégie ghanéenne pour la vulgarisation du numérique. La démarche du pays est présentée par son ministre de la Communication et des Technologies, Ursula Owusu-Ekuful. Selon la ministre Owusu-Ekuful, le Ghana est convaincu que « les technologies ont le pouvoir de formaliser nos économies, d’améliorer l’efficacité et de réduire la corruption ». La vision de son pays, c’est de faire en sorte que « tous les pays africains puissent être des acteurs clés et non des spectateurs de l’économie mondiale du savoir », a fait savoir la ministre ghanéenne. Conscient de la capacité des TIC à propulser le développement socio-économique, le pays s’est lancé dans des réformes massives (dans l’éducation et les TIC) pour favoriser l’émergence d’un écosystème digital au service des populations. Résultats : depuis 2017, le numérique a permis de lever des barrières d’accès à l’éducation à environ 2 millions de ghanéens, a témoigné la ministre de la Communication et des Technologies.
Ainsi, le pays s’est décidé de doter les jeunes notamment de compétences avérées dans le digital. Dans cet élan, une place de choix est accordée aux femmes. « Les jeunes ont soif de connaissance », a laissé entendre Ursula Owusu-Ekuful. Au Ghana, un programme annuel permet de former, de région en région, 1000 filles, 100 enseignants par an dans les Tics, avec des écoles dotées de matériels informatiques. Le gouvernement ghanéen s’appuie sur les 200 communautés IT recensées sur son territoire, pour doter les jeunes de compétences. Aussi, les acteurs ghanéens du secteur sont-ils impliqués dans le déploiement de projets d’envergure comme le cloud gouvernemental, la formation, la cybersécurité, l’identification biométrique, la gestion des données etc. Une manière de promouvoir le secteur privé, de favoriser un secteur du numérique créateur d’emplois.
Pour le Ghana, il est impératif de travailler à l’émergence d’un marché africain du numérique et de renforcer la coopération entre les Etats. Ceci, en commençant par la réduction des coûts de communication entre les Etats. « Nous croyons à un résultat sur le long terme. Nous croyons qu’en donnant aux jeunes les compétences dans le numérique, le continent constituera un vivier de compétences pour le monde entier les 10 et 20 prochaines années », a conclu la ministre ghanéenne de la Communication et des Technologies.
Le Burundi, une stratégie à plusieurs axes
Le développement des TIC est au cœur d’une Politique nationale au Burundi. Selon la ministre Léocadie Ndacayisaba chargée de la Communication, des Technologies de l’information et des médias, les dix axes de cette politique nationale convergent pour une transformation digitale intégrale du pays. L’investissement dans les infrastructures ont permis de connecter toutes les provinces du Burundi à la fibre optique, a-t-elle témoigné. Parallèlement, le pays dispose d’un code des communications électroniques et postales, une loi sur la cybersécurité et la cybercriminalité…
La digitalisation de l’Etat a conduit au Burundi à la mise en place de guichets provinciaux permettant aux populations des zones reculées de bénéficier des services de l’Etat. Il s’agit, entre autres, de l’accès aisé aux passeports, aux procédures judiciaires, aux formalités dans le secteur de l’éducation etc… Pour une économie numérique soutenue, le Burundi s’est lancé le pari de démocratiser l’accès à Internet haut débit et déploie un plan directeur afin de « digitaliser tous les services publics pour un ‘’Burundi en ligne’’ », a annoncé la ministre Léocadie Ndacayisaba. Son pays qui vient de sortir de plusieurs crises socio-politiques veut désormais rattraper les retards grâce à la transformation digitale. « Nous allons y arriver avec la conjugaison de nos efforts. Nous comptons sur vous et l’ensemble de nos partenaires », a lancé la ministre burundaise aux ATDA-2023.
L’Île Maurice pour une transformation digitale dans la diversité
« Il est essentiel que nos nations s’adaptent et innovent !» L’appel est lancé par Deepak Balgobin, ministre mauricien de la Technologie, de l’Information, de la Communication et de l’Innovation de l’Île Maurice. Pour son pays, « dans un monde en constante évolution numérique, il faut disrupter les systèmes dépassés et le continent dispose des potentielles immenses pour stimuler une croissance inclusive et durable.» L’Île Maurice recommande que les stratégies et feuilles de route reflètent l’engagement pris par les acteurs publics « à tirer parti de la transformation digitale.»
Le pays veut être l’exemple de la révolution de tous les systèmes traditionnels. Cette volonté s’exprime à travers le développement des infrastructures, notamment la fibre optique. De quoi doter les mauriciens d’une bonne connectivité, la base de la transformation digitale, rappelle Deepak Balgobin. Ainsi, le pays développe des projets comme des plateformes facilitant des échanges de données entre les ministères ; l’identification des usagers des services publics, la digitalisation des paiements, l’accessibilité en ligne de documents comme les actes de naissances etc. L’ensemble de ces projets se mettent en place dans un environnement sécurisé rendu possible par la loi sur la cybersécurité votée en 2021. L’Île a déjà ratifié la convention de Malabo et de Budapest, toujours en vue de rester fidèle à ses engagements pour l’inclusion numérique.
« La jeunesse africaine est la clé de notre succès. Nous devons veiller à ce que cette jeunesse soit dotée des compétences nécessaires pour naviguer dans cet environnement numérique. Nous devons investir dans l’éducation », a laissé entendre Deepak Balgobin. Il a insisté sur une collaboration de toutes les compétences aussi diverses qu’elles soient et où qu’elles soient sur le continent. « La diversité joue un rôle crucial dans toutes les stratégies de transformation digitale. Nous devons tirer le meilleur de cette diversité pour favoriser l’innovation et la créativité », conseille le ministre mauricien de la Technologie.
Les Comores appellent à arrêter la fuite des cerveaux !
Les Comores, comme les autres pays africains, souffre de la fuite des cerveaux. En 2022, 25 jeunes ont été formés en master 2 dans le domaine du numérique, avec l’appui de la banque africaine de développement. Six mois après, à l’heure du bilan, 24 de ces jeunes avaient déjà franchi les frontières pour travailler à l’extérieur. Une expérience douloureuse partagée par le ministre Kamalidini Souef des Postes, des Télécommunications et de l’Economie Numérique. Dès lors, les Comores plaident pour la mise en place de mécanismes avec des normes internationales pour retenir les talents sur le continent.
La transformation digitale est en cours aux Comores; et les compétences numériques sont pour ce pays un facteur incontournable pour l’ensemble du continent. « Il est primordial de réfléchir, en profondeur à l’échelle continentale, sur les voies et moyens pour la disponibilité des compétences qualifiées dans le numérique et surtout pour retenir ces compétences qui sont notre principale matière première dans cet univers du numérique », a insisté le ministre comoriens.
En 2018, les Comores se sont dotées d’un plan de développement. Kamalidini Souef a signalé que le pays se projette à l’horizon 2030 pour atteindre un développement inclusif et durable en s’appuyant sur le digital. Le ‘’Comores émergeant vision 2030’’ est un plan de développement qui tient compte de l’agenda des ODD 2030 des Nations unies et de l’agenda de l’UA 2063 ; en intégrant une stratégie nationale du numérique à l’horizon 2028. Cette stratégie concourt « à faire de la digitalisation un levier du développement socio-économique et faire du pays une véritable société de l’information », a expliqué le ministre Souef.
La jeunesse, catalyseur de l’innovation au Congo
Pour motiver la jeunesse à prendre sa place dans la transformation digitale de la République du Congo, le pays s’est doté d’une ‘’vision digitale 2025’’. Elle vise à faire des Congolais des e-citoyens, à déployer l’e-gouv et à favoriser le e-business. Le ministre des Postes, des télécommunications et de l’Economie numérique, Léon-Just Ibombo, estime qu’« il est de l’intérêt des Etats de porter un regard particulier sur le secteur du numérique promis à un bel avenir.» Dans son pays, le plan de développement 2022-2026 a accordé une part importante à la transformation numérique.
Le Congo est aussi l’un des rares pays du continent à se doter d’une ‘’startup Act’’, afin de labéliser les acteurs de l’innovation de son écosystème. « La ressource humaine, la jeunesse est un grand atout pour le continent. Cette jeunesse est prompt à devenir un catalyseur d’innovation », a rassuré Léon-Just Ibombo. Depuis trois ans, le Congo dispose d’un fonds d’accès aux services universels de communications électroniques. Le but est de faciliter les communications électroniques en zones rurales. Ce qui permet d’améliorer les transactions mobile money. Un hub digital permet également au gouvernement de disposer une meilleure traçabilité de ces transactions. De quoi permettre à l’Etat d’engranger des ressources substantielles, a témoigné le ministre Ibombo. L’éducation, les infrastructures critiques, la cybersécurité, sont entre autres, des axes d’initiatives sur lesquelles le pays travaille pour renforcer son écosystème, sans oublier la législation et les agences mises en place pour interconnecter les différentes actions. Le Congo aussi appelle à travailler ensemble. Sa toute première priorité, le free roaming dans toute la zone CEMAC.
La Mauritanie milite pour une identité numérique authentique
Représentée à la session ministérielle par Moctar Ahmed Yedaly, ministre de la Transformation numérique, de l’innovation et de la modernisation de l’administration, la Mauritanie est focalisée sur la création d’un environnement favorable, des infrastructures et le développement des applications pour tous les secteurs socio-économiques. Elle s’inspire fortement de l’agenda de l’UA 2063 et s’est dotée de son propre agenda du développement numérique 2020-2025. Les objectifs de cet agenda sont notamment l’accès de tous les mauritaniens à un internet haut débit à un coût abordable (64Mbs) où qu’ils soient. De même, le pays encourage la production de contenus nationaux hébergés en local et préconise cette démarche aux autres pays du continent. « Parce que nous avons tendance à oublier que notre contenu est notre identité numérique et il est important que ce contenu soit développé et préservé au niveau national », a rappelé Moctar Ahmed Yedaly.
La Mauritanie nourrit de fortes ambitions. Elle espère d’ici 2024 permettre à l’ensemble de sa population un accès GSM à travers des satellites afin d’atténuer le ralentissement et d’accélérer la transformation numérique.
La Zambie, l’approche en cinq points
Félix Mutati, ministre des Technologies et des Sciences a exposé l’approche de son pays en cinq points. Il s’agit de répondre aux besoins de la connectivité. Pour relever ce défi, l’Etat zambien, conscient de ses moyens limités, a misé sur le financement du secteur privé par la concession de taxes afin d’encourager leurs investissements dans l’amélioration de la connectivité. Le pays s’est fixé un objectif : interconnecter toutes les écoles du secondaire avec l’appui du secteur privé d’ici fin 2024. La Zambie va également se doter d’un data center national. Toujours avec le secteur privé, le pays va déployer une interconnexion à fibre. Le deuxième axe, l’interopérabilité entre les données du pays pour créer une économie intelligente grâce à la force des données. Troisièmement, le pays se doit de mettre en place des projets forts pour sa transformation digitale. Pour cela, la Zambie veut compter sur les expériences ghanéennes notamment. Quatrième point de son axe, la Zambie compte sur un écosystème de confiance et sécurisé. Cinquièmement, il promeut la philosophie ‘’Ubuntu’’ qui vise à répondre aux besoins des populations (l’accessibilité et la disponibilité de service) ; la lutte contre la bureaucratie pour créer davantage d’emplois et d’opportunités.
Madagascar, la terre des opportunités !
C’est le Madagascar qui a accueilli cette 12ème édition des Assises de la Transformation Digitale en Afrique, ATDA-2023. Le pays, hub de services numériques par excellence, « veut montrer le chemin à tout le continent ». Le Madagascar peut se féliciter du leadership de son Président de la République, Andry Rajoelina, venu d’ailleurs ouvrir en personne les ATDA-2023. Car, croit-il, le développement ne peut se faire sans le capital humain, préoccupation au centre des ATDA-2023.
Tahina Michel Razafindramalo, ministre malgache du Développement Numérique, de la Transformation Digitale, des Postes et des Télécommunications s’est félicité de ce leadership qui est le point de départ de tout investissement crédible et durable dans le développement du capital humain. Lors de son intervention, M. Razafindramalo est revenu sur la nécessité de la collaboration entre les Etats, mais aussi avec le secteur privé.
A Madagascar, l’écosystème du numérique a le nécessaire pour être un catalyseur de développement. La densité du réseau avec le backbone en terme de connectivité, le data center de l’Etat, les institutions en charge de la transformation digitale ; celle en charge de la protection des données personnelles et de la cybersécurité ; les programmes de partenariat avec le secteur privé notamment de pré-incubation et d’incubation des startups…sont autant d’atouts qui font de Madagascar la destination privilégiée pour les acteurs du numérique. D’où la forte présence dans le pays de sociétés de services comme les centres d’appel délocalisés, entre autres. Cet investissement permet aussi au pays d’exporter de la compétence.
Des stratégies des différents pays à la session ministérielle, Tahina Michel Razafindramalo remarque que tous ont les fondamentaux nécessaires. Pour lui, il ne reste que trois points essentiels sur lesquels insister. Le premier, le leadership des gouvernants au sommet des Etats comme c’est le cas à Madagascar. « Si nous n’avons pas ce sponsoring au plus haut sommet de l’Etat, nous ne pouvons pas développer les programmes », a-t-il insisté. Le deuxième point, c’est la collaboration au sein de l’Union Africaine pour des échanges sud-sud pour faciliter le partage de savoir-faire dans la communauté Smart Africa. Cela permet de gagner du temps, insiste-il. Le troisième point reste la participation du secteur privé. Telcoms, sociétés de développement, de Conseils offshore…tous sont appelés à se joindre à la dynamique de développement numérique sur le continent. Une synergie avec le secteur public et privé « sans laquelle rien ne peut se faire », a martelé le ministre Tahina Michel Razafindramalo.
Leadership au sommet des Etats, meilleure coopération entre les Etats, partenariat public-privé, investissement aussi bien dans le capital humain par la formation (la jeunesse notamment) que dans les infrastructures ! Les huit pays venus partager leurs expériences ont des points de vue assez convergents sur les enjeux de la transformation digitale en Afrique. Les ATDA-2023 leur a donné l’occasion de pousser davantage les réflexions lors d’un Conseil des ministres tenu en marge des Assises, en complément à la session ministérielle modérée par Ousmane Ndiaye, rédacteur en Chef à Tv5 Monde-Afrique.
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