Dans cet entretien avec CIO MAG, Guillaume Bonnard, directeur des relations gouvernementales chez Thomson Broadcast, membre du comité scientifique des ATDA représentant le Groupe Sipromad, évoque plusieurs aspects. Des enjeux du capital humain aux perspectives de la transformation numérique, il n’élude aucune question. A quelques jours des assises prévues du 19 au 20 mai 2023 à Madagascar, il se réjouit du fait que les leaders africains aient compris la nécessité de créer un environnement favorable à la révolution numérique.
Dans le processus de la transformation numérique, comment le capital humain peut-il permettre à l’Afrique de faire de grands sauts ?
Tout d’abord, mettons en avant quelques indicateurs clés qui donnent une idée claire de la taille du marché et de son potentiel ainsi que des ressources humaines déjà existantes à un moment où les entreprises historiques européennes se retrouvent de plus en plus dans un « océan rouge » :
L’économie numérique africaine est particulièrement prometteuse et dynamique. On estime que dans les trois années à venir, avec la généralisation du haut débit (notamment grâce au téléphone mobile), l’économie numérique africaine pourrait générer 180 milliards de dollars US de chiffre d’affaires d’ici 2025 et 712 milliards de dollars d’ici 2050.
Les secteurs porteurs de cette transformation digitale sont les fintechs, l’e-commerce, le health-tech, l’e-transport et l’e-food, l’ed-tech, les médias et les divertissements. D’un point de vue démographique, la population africaine s’établit à 1,4 milliard d’habitants et doublera d’ici à 2050. L’âge médian y est de 19,7 ans. L’Europe compte 765 millions d’habitants (716 millions en 2050) avec un âge médian de 42,5 ans, et les États-Unis 340 millions d’habitants (435 millions en 2050) avec un âge médian de 38,7 ans.
L’Afrique, c’est également 30 millions de km² (contre 10 millions pour l’Europe et 25 millions pour les USA), plus de 100 villes de plus d’un million d’habitants, environ 150 millions d’utilisateurs actifs de services financiers via leurs mobiles. Plus de 400 pôles technologiques dont les principaux sont situés en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Ghana, au Nigeria, en Égypte, au Kenya ainsi qu’en Afrique du Sud.
En 2022, les startups africaines ont confirmé leur attractivité auprès des investisseurs, en enregistrant une progression de +8 % par rapport aux fonds reçus en 2021, selon le rapport Partech Africa Tech Venture Capital 2022. Avec 6,5 milliards de dollars levés, l’écosystème numérique africain échappe aux circonvolutions mondiales du capital-risque (-35 %). Neuf des vingt pays à plus forte croissance dans le monde sont en Afrique, dont l’économie s’est considérablement développée ces dix dernières années. En effet, la croissance de son PIB moyen est de 4 %, soit deux fois plus qu’en Europe sur la même période (1,7 %). Suite à la crise Covid, le continent africain a fait preuve d’une résilience exemplaire avec une capacité très forte d’adaptation au nouvel écosystème qui s’est créé. Par exemple, l’investissement dans les start-up technologiques a atteint un peu plus de 700 millions de dollars en 2020, contre 492 millions de dollars en 2019.
Le capital humain en Afrique a déjà fait le grand saut dans le numérique. Mais est-ce suffisant ?
Justement, comment le continent africain peut-il rester attractif pour les profils hautement qualifiés ?
Au-delà des chiffres précédemment évoqués et qui devraient aiguiser les appétits de tous les entrepreneurs, il est à noter que cette Afrique, qui n’a jamais manqué ni de ressources ni d’opportunités, commence également à se transformer de l’intérieur. Les populations et les leaders africains ont pris conscience de la nécessité de créer un environnement favorable à la révolution numérique, après avoir manqué les trois révolutions industrielles qui l’ont mise tant en retard. L’exemple du Rwanda parle de lui-même. Dévasté par la guerre et quasiment ruiné il y a encore quelques décennies, le pays a su prendre des initiatives fortes an matière de fiscalité afin d’offrir un cadre favorable aux entreprises du secteur technologique et se positionner de facto comme un hub régional. Les résultats sont là, et son président de la République Paul Kagamé entend capitaliser sur ce succès pour que technologies et innovations soient le « moteur de la transformation du Rwanda ». À noter que selon le dernier rapport de la Banque mondiale, le Rwanda sera le seul pays d’Afrique subsaharienne à dépasser les 6 % de croissance cette année.
Faut-il, pour autant, en conclure que le continent a rattrapé son retard sur le reste du monde ? Dans un récent rapport, le Boston Consulting Group (BCG) apporte un éclairage nuancé à cette question. En effet, dans les faits, le continent a toujours le taux d’utilisation d’Internet le plus bas au monde. Environ 40 % seulement de la population a accès à Internet, contre une moyenne mondiale de 66 %. Ces données impactent aussi les entreprises et, malgré l’élan remarquable observé dans les écosystèmes tech, la plupart des start-up n’ont pas les moyens de passer à l’échelle.
Les experts du BCG pointent particulièrement la formation comme point de blocage, alors qu’elle peut devenir un levier afin que l’Afrique subsaharienne puisse tirer le plus de bénéfice possible du boom du numérique actuel.
D’après leurs calculs, il faudrait former jusqu’à 650 millions d’Africains dans les compétences numériques d’ici à 2030. Pour appuyer cette urgence, des patrons africains ont été interrogés. Résultat : neuf chefs d’entreprise africains sur dix identifient « le développement des compétences numériques comme un domaine prioritaire nécessitant des investissements supplémentaires ».
Aujourd’hui, d’après les experts « sur les 20 pays du monde ayant les compétences numériques les plus faibles, 12 se trouvent en Afrique et seuls 11 % des diplômés de l’enseignement supérieur en Afrique ont une formation numérique officielle », peut-on lire dans le document publié en novembre.
Pour les experts, une meilleure coopération entre les grandes entreprises internationales – comme Citi, IBM ou CISCO –, les incubateurs locaux – il y en existe déjà 600 – et les systèmes éducatifs fera décoller le développement de la formation aux nouvelles technologies. Le secteur privé local est également de plus en plus actif. Il reste que tous ces efforts devront être soutenus par les gouvernements africains, dont beaucoup ont publié des stratégies numériques.
Comment votre entreprise peut-elle contribuer dans cette bataille pour un capital humain de qualité ?
Tout d’abord, il faut bien comprendre que la société Thomson Broadcast appartient à un groupe panafricain familial malgache de dimension internationale REDLAND (holding de Thomson Broadcast – GatesAir et Groupe Sipromad). Cet élément est clé pour la compréhension de notre approche, entre autres, des marchés africains.
Des valeurs très fortes défendues par la Famille Akbaraly qui met au centre de ses réflexions stratégiques l’Humain. Il ne peut y avoir de grandes réussites pérennes sans une équipe soudée autour d’un projet commun et porteur de valeurs fortes. Une conscience de nos responsabilités quant à la transmission du savoir et des expertises.
Une obligation morale à l’égard de tous nos clients. Dans ce contexte, lors de tous nos déploiements d’infrastructures de télévision et radio numérique nous nous engageons à chaque fois à mettre en place des séminaires de formations techniques en France mais aussi dans les pays dans lesquels nous opérons afin que les équipes techniques qui opèrent les réseaux de télévision et de radio puissent être totalement autonomes techniquement et ainsi à leur tour transmettre ce savoir.
Nous avons au cours de l’histoire industrielle de Thomson Broadcast organisé des formations techniques pour des centaines de techniciens venus de tous les pays africains francophones mais aussi anglophones et lusophones, pour ces derniers des formations à la langue française ont aussi été mis en place permettant ainsi à ces hommes et à ces femmes de non seulement acquérir les derniers savoir-faire de l’état de l’art technique mais aussi linguistiques. Nous travaillons actuellement sur la mise en place d’une « Thomson University », qui à travers une collaboration entre des universités et des écoles d’ingénieurs françaises et des écoles africaines nous permettra d’être encore plus impactant auprès de nos partenaires africains.
Comme le dit ce magnifique proverbe africain « Il faut tout un village pour élever un enfant » nous vivons tous dans le même village, ce partage de connaissances et d’expertises est absolument nécessaire, le monde a besoin d’une Afrique forte et compétente.