
Entrepreneur tech de renom, Karim Sy a fondé Jokkolabs qui travaille à améliorer l’entrepreneuriat et l’innovation en Afrique. Fort de cette expérience, il siège au sein du jury de la deuxième édition des African Cio Awards prévu pour se tenir les 14 et 15 avril à Marrakech. Il nous parle de l’événement et ce qu’il pense de l’Open Innovation, thème retenu pour cette édition.
Cio Mag : En quoi l’Open Innovation, au cœur des African CIO Awards 2025, s’aligne sur votre trajectoire professionnelle et quel rôle comptez-vous jouer au sein de ce jury ?
Karim Sy : L’Open Innovation est au coeur de mon parcours professionnel. Depuis la création de Jokkolabs en 2010, j’ai œuvré pour développer des espaces où l’intelligence collective peut s’exprimer et où l’innovation ouverte devient un levier de transformation sociale et économique. Nous aimerions voir émerger un réseau panafricain de communautés apprenantes qui incarne cette vision d’un savoir partagé comme bien commun, accessible à tous.
Cette approche des biens communs constitue le socle de notre philosophie. Nous considérons que les connaissances, les technologies et les méthodologies doivent être partagées pour maximiser leur impact social. Par ailleurs, dans ma contribution récente au livre collectif sur l’entrepreneuriat dirigé par Jean-François Etienne, j’ai particulièrement développé le concept d’entrepreneuriat frugal comme approche adaptée aux réalités africaines.
Mon rôle au sein de ce jury sera d’identifier et de valoriser les initiatives […] qui créent des ponts entre différents écosystèmes et qui génèrent un impact tangible sur nos sociétés
Ma participation au jury des African CIO Awards 2025 s’inscrit dans la continuité de cet engagement. Je souhaite y apporter une perspective qui dépasse la simple dimension technologique pour embrasser une vision holistique de l’innovation. L’Afrique a besoin d’approches qui intègrent les réalités locales tout en s’ouvrant aux dynamiques globales. Mon rôle au sein de ce jury sera d’identifier et de valoriser les initiatives qui incarnent cette intelligence collective, qui créent des ponts entre différents écosystèmes et qui génèrent un impact tangible sur nos sociétés.
Comment l’Open Innovation peut façonner la transformation digitale des entreprises ?
L’Open Innovation représente un changement de paradigme dans la manière dont les entreprises abordent l’innovation et leur transformation digitale. Elle permet de transcender les frontières organisationnelles pour puiser dans un réservoir mondial de talents et d’idées. Dans un contexte africain, cette approche revêt une importance particulière car elle permet de contourner certaines limitations structurelles et d’accélérer l’adoption de solutions innovantes.
Notre expérience avec le Lab Innovation de la Société Générale en Afrique illustre parfaitement cette dynamique. En hébergeant et en accompagnant cette initiative au sein du hub Jokkolabs de Dakar, nous avons pu créer un espace où les collaborateurs de la banque interagissaient directement avec des entrepreneurs, des développeurs et des designers. Cette confrontation fertile a permis l’émergence de solutions financières adaptées aux réalités locales, charge à l’entreprise de capitaliser dessus ou pas selon sa stratégie. Au sein de Jokkolabs nous sommes d’ailleurs en train de construire une réponse pour la formalisation du secteur informel avec l’initiative Access PME qui se nourrit d’une partie de ces travaux.
De même dans notre parcours d’innovation ouverte, l’initiative DaanCovid représente un exemple emblématique de mobilisation collective face à une crise sanitaire majeure. Lancée spontanément au plus fort de la pandémie, cette plateforme a réuni développeurs, entrepreneurs, chercheurs, professionnels de santé et citoyens experts dans une démarche collaborative sans précédent. L’Alliance Daan Covid 19 a rapidement fédéré une communauté inédite de plus de 450 acteurs volontaires, incluant opérateurs de télécommunications, entreprises de services numériques, startups, consultants indépendants, ONG et partenaires nationaux et internationaux.
En créant un espace numérique où les ressources étaient partagées comme un bien commun, où les compétences diverses pouvaient s’exprimer et se compléter, nous avons démontré la puissance de l’intelligence collective face aux défis de santé publique. Cette initiative a permis de développer des solutions concrètes comme le déploiement de plateformes de suivi informatisé de l’hospitalisation, la recherche automatisée des cas contacts, et la mise en place d’un système de communication directe entre médecins et patients. S’inspirant des travaux d’Elinor Ostrom et de David Bollier sur les communs, DaanCovid illustre parfaitement comment l’Open Innovation peut transcender les silos traditionnels pour apporter des solutions adaptées au contexte local, posant ainsi les jalons d’un nouveau modèle de collaboration entre secteur public, secteur privé et société civile que nous pourrions qualifier de “Partenariat Public-Commun”.
La transformation digitale ne peut plus être envisagée comme un processus interne et isolé. Les défis actuels exigent une approche collaborative où les entreprises s’ouvrent à leur écosystème – startups, universités, communautés de développeurs, utilisateurs finaux. Cette démarche d’ouverture permet non seulement d’accélérer l’innovation mais aussi de l’ancrer dans les réalités locales.
Quel est votre conseil pour une Open Innovation réussie ?
Pour réussir dans l’Open Innovation, il est essentiel d’adopter une posture d’humilité et d’apprentissage continu. L’innovation ne peut émerger que dans un environnement où l’échange de connaissances est valorisé et où chaque contribution est reconnue à sa juste valeur. Mon conseil principal serait de créer des “infrastructures invisibles” – ces espaces physiques et virtuels où les idées peuvent circuler librement, où les talents peuvent se rencontrer et collaborer sans barrières. Il s’agit de cultiver un écosystème où l’innovation n’est pas perçue comme la propriété exclusive d’une organisation mais comme un bien commun.
L’Open Innovation doit donc s’ancrer dans une compréhension profonde des contextes locaux tout en s’inspirant des meilleures pratiques globales
C’est cette philosophie qui a guidé notre approche lorsque nous avons conçu Digital Africa à ses débuts. Notre ambition était de créer des dynamiques positives entre les écosystèmes franco-européens et africains, en favorisant les échanges de connaissances, les collaborations technologiques et les partenariats d’affaires. Nous avons délibérément adopté une approche de plateforme ouverte, où les ressources et les opportunités étaient accessibles à tous les acteurs de l’écosystème. Cette démarche écosystémique, au cœur des plateformes numérique, peut paraitre complexe et n’est pas encore bien comprise malheureusement. La révolution numérique est aussi une révolution des organisations et des manières de faire.
La réussite de l’Open Innovation repose également sur la capacité à embrasser les principes de l’entrepreneuriat frugal – cette capacité à faire plus avec moins, à optimiser l’utilisation des ressources disponibles et à développer des solutions adaptées aux contraintes locales dans un monde en crise. Cette approche, que l’Inde ou le Brésil ont intégrée, est particulièrement pertinente pour l’Afrique, où les contraintes peuvent devenir des catalyseurs d’innovation.
Enfin, n’oublions pas que l’innovation la plus pertinente est celle qui répond à des besoins réels. L’Open Innovation doit donc s’ancrer dans une compréhension profonde des contextes locaux tout en s’inspirant des meilleures pratiques globales. J’ai la conviction que c’est cette dialectique entre le local et le global qui permettra à l’Afrique de développer des solutions véritablement transformatives.