C’est à la question : « Quels mécanismes de financement pour l’innovation africaine ? » que les intervenants du panel 5 organisé le 26 novembre, au cours de la deuxième journée des Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA), ont répondu, chacun selon son approche. Compte-rendu.
Michaël Tchokpodo
(CIO Mag) – Selon une enquête de Google publiée en 2019, 82% des startups africaines avouent être confrontées à des difficultés d’accès au financement. L’accès à un vaste marché unique étant essentiel, le Nigéria avec ses 200 millions d’habitants se positionne comme le plus grand marché unique d’Afrique et la première destination d’investissement du continent. Mais avec la crise de la Covid-19, 40 à 50% des startups risquent la banqueroute et 90% des startups ont besoin de capital pour continuer à exister.
Des chiffres qui ne militent pas en faveur d’un financement conséquent de l’innovation en Afrique, mais le sujet reste à l’ordre du jour des débats, mérite réflexion et suscite des pistes de solution. « L’Afrique, c’est 5 grandes zones économiques et la 6ème région, c’est la diaspora qui compte pas moins de 170 millions de personnes. Ce qui est extrêmement important aujourd’hui, c’est le défi du changement de paradigme économique avec les corolaires. L’innovation est un fabuleux levier pour accélérer ce changement vers le paradigme économique », informe Fetah Ouzzani, Senior Advisor développement et marketing EY Maghreb/Afrique et modérateur dudit panel.
Ce que font déjà les structures financières
Ce 5ème panel a réuni les acteurs du monde de la finance pour réfléchir sur les mécanismes nécessaires pour investir dans l’innovation africaine. Paris EuroPlace regroupe en son sein des banques, investisseurs, compagnies d’assurance, associations professionnelles, entreprises de marché, etc. Depuis une dizaine d’années, elle a mis en place un Cluster financier pour accompagner le développement des fintech et l’innovation à travers la digitalisation du secteur financier. Résultat : 600 porteurs de projets identifiés pour une levée de fonds de près d’1 milliard d’euros.
La Société Financière Internationale (IFC), un membre du groupe de la Banque mondiale, accompagne le développement des pays émergents par le financement du secteur privé. IFC propose également des services de conseil et d’assistance technique pour la création de marchés et d’opportunités d’investissement, notamment dans les pays les plus fragiles. Enfin, à travers des initiatives telles que TechEmerge, IFC connecte les entreprises innovantes à travers le monde pour tester et adopter de nouvelles solutions, afin de répondre aux besoins des pays émergents.
L’Agence française de développement (AFD) et la Banque africaine de développement (BAD) adoptent des approches atypiques. Le secteur de l’énergie étant le deuxième en matière de levée de fonds après les fintech, l’Afd œuvre à accompagner les pays sur les trajectoires de décarbonation à travers des investissements dans les énergies renouvelables en Afrique. La Bad quant à elle travaille à la mise en place de projets globaux pouvant aborder toutes les questions de sorte à aider sur le long terme, à la mise en place de fonds d’appui à l’innovation ou aux startups.
« Des solutions de financement »
A en croire Ousseynou Nakoulima, Directeur Europe de l’Ouest de l’IFC, « bien que l’économie informelle représente de nombreux défis pour les Etats, elle peut également être considérée comme une opportunité – les nouvelles technologies peuvent par exemple permettre aux travailleurs informels de devenir visibles et d’avoir des données à leur nom, afin de leur permettre d’obtenir des financements, développer leur entreprise, et ainsi accroitre la productivité et l’efficacité dans les chaines d’approvisionnement. »
Karim Zine-Eddine, Directeur des Etudes chez Paris Europlace, analyse autrement la situation : « Après la crise du Covid19, les Etats africains et beaucoup d’autres seront très endettés. Il va falloir inventer de nouvelles solutions de financement et notamment se retourner vers le secteur privé pour financer à la fois les infrastructures, l’innovation et l’entrepreneuriat. » A cet effet, l’institution qu’il dirige mise sur la mobilisation de la diaspora africaine pour organiser par exemple des crowdfunding au profit des porteurs de projets.
De façon plus concrète, l’Afd procède à des investissements par le biais de son initiative Digital Africa. Au total, 130 millions d’euros ont été débloqués en faveur de l’innovation et des startups au stade du pré-amorçage ou d’amorçage. Au niveau de la Bad, l’ambition est toute autre : « Mettre en place et déployer les infrastructures nécessaires pour qu’il y ait un marché mature afin que l’innovation puisse rencontrer les besoins et les financements, cela nécessite des actions qui s’inscrivent dans la durée. Pourquoi ne pas faire en sorte qu’on puisse tirer avantage des fonds de service universel non pas seulement dans des projets d’investissement et d’appui au développement de la collectivité mais aussi à l’appui à l’innovation et à l’entrepreneuriat digital ? », se demande Omar Elmi Samatar.
Besoins et projets de financement
Alors que le financement pour propulser l’innovation africaine s’amenuise, les startupeurs sont confrontés à des problèmes de diverses natures. Pour Hamid Bakli, Président du Réseau algérien des incubateurs et des acteurs de l’innovation (RAILAI), les entrepreneurs africains ont beaucoup d’attentes vis-à-vis des investisseurs. « Avant tout, il faut pouvoir repérer les talents. Pour les repérer, il faut bâtir un écosystème favorable et pour bâtir un écosystème favorable, il faut élaborer le maping de l’existant. A partir de là, tout devient possible. Le modèle de financement doit être clairement recensé. C’est ce que nous nous attelons à faire à travers l’assistance que nous proposons pour la création des points focaux dans chaque région algérienne par le truchement des incubateurs, accélérateurs, des campagnes de sensibilisation pour l’organisation de rencontres et de startup challenges », fait-il savoir.
En mettant en place l’initiative Digital Africa, l’Afd veut soutenir les startups africaines menacées par la Covid19 grâce à un fonds. L’institution souhaite également développer le financement d’amorçage qui constitue un véritable goulot d’étranglement pour les start-ups. « Notre principal objectif est de mobiliser l’écosystème. On a deux temps forts par an : financement de projets d’infrastructures via le crowdfunding et les fonds d’investissements régions », confie Karim Zine-Eddine.
Ce qui paraît plus plausible selon Omar Elmi Samatar, c’est comment arriver aider les Etats à utiliser leurs propres ressources pour financer l’innovation. Pour lui, il y a beaucoup de pays dans lesquels les fonds de service universel sont utilisés. Ainsi, les Etats pourraient en tirer le meilleur usage et ne pas simplement les mettre dans des infrastructures digitales rurales.