Cybercriminalité au Bénin : l’issue à trois fils ?

Alors que la cybercriminalité prend de l’ampleur au Bénin, les acteurs de première ligne de la lutte sont partagés entre répression, révision du Code du numérique et sensibilisation pour parvenir à un cyberespace plus sécurisé.

Depuis 2016, la lutte contre la cybercriminalité a pris une autre tournure au Bénin. Des mesures plus ardues sont prises pour décourager les auteurs de ces actes. Alors Responsable du pôle sécurité numérique de l’Agence des systèmes d’information et du numérique (ASIN), Ouanilo Medegan Fagla confessait : « Nous sommes passés à une phase tactique où ce sont des arrestations en masse qui se font. Mais ce n’est toujours pas la solution, ni la finalité des actions du gouvernement. L’idée est d’arriver à des actions stratégiques qui vont casser la vague en attaquant ce phénomène à la base. »

Ouanilo Medegan Fagla, Responsable du pôle sécurité numérique de l’Agence des systèmes d’information et du numérique (ASIN)

Il renchérit : « Soit les cybercriminels vont être plus ingénieux, ou ils vont plus se cacher ou arrêter et il y aura moins de succès dans nos opérations ; ou la répression va se poursuivre. Les unités qui sont dans la répression ne sont pas partis pour se fatiguer. » Effectivement, une impressionnante vague de quelques milliers d’arrestations dans le rang des cybercriminels a fait la Une des journaux plusieurs mois durant. Et pour la plupart, les peines d’emprisonnement qu’ils écopent sont de nature à dissuader tout nouveau contrevenant.

Si la stratégie gouvernementale passe notamment par la répression, elle s’appuie sur des organes de lutte, à savoir le pôle sécurité numérique de l’ASIN et plus récemment le Centre national d’investigations numériques (CNIN) pour une efficacité plus affichée dans toutes les investigations liées à l’usage des nouvelles technologies. Parmi ses actions, le CNIN a mis en place une chaîne d’informations WhatsApp pour informer l’opinion publique de ses démarches et surtout alerter sur les risques d’arnaque de tout genre. Elle compte plus de 1 500 abonnés.

Sensibilisation en milieu scolaire

En Afrique, la cyber-arnaque est la forme la plus inquiétante de cybercriminalité et représente à elle seule, 90 % des cas de cybercriminalité. L’ampleur que prend le phénomène a inspiré la publication d’un essai du juge Charmant Rovinis Ouidodjitché portant sur le thème “Jeunesse ouest-africaine et cyberarnaque : un dévoiement incoercible ?” Pour l’auteur, juge en fonction au tribunal de première instance de la commune d’Abomey-Calavi (Bénin) depuis novembre 2020, l’objectif en écrivant cet essai, est d’exposer le cyber-arnaque, son fondement, son mode opératoire et ses conséquences. Objectif ? Sensibiliser, conscientiser et poser les bases pour un enrayement durable de ce fléau.

Juge Charmant Rovinis Ouidodjitché

« Cet essai a vu le jour dans un contexte toujours actuel où les valeurs ont laissé place à l’inconduite et l’amour du travail à la recherche du gain facile. Le décorum est ce qui permet une vie harmonieuse des hommes en société. Lorsqu’il n’est plus observé, le vivre ensemble n’est plus du tout aisé. La jeunesse ouest-africaine en général et celle béninoise en particulier semble avoir trouvé depuis plusieurs années son Eldorado dans la cybercriminalité notamment l’escroquerie en ligne », analyse Charmant Rovinis Ouidodjitché.

Il va tout de même nuancer : « En dépit de la forte répression opposée par certains États à cette catégorie de délinquants, l’on ne peut soutenir de manière formelle que le phénomène régresse. Ce n’est pas parce que les cybercriminels ne s’affichent plus comme par le passé qu’il faut conclure à l’enrayement du mal. Nous avons jugé utile d’attirer l’attention sur l’ampleur du phénomène et les risques qu’il comporte sur la base de nos constats et investigations ; compte non tenu de notre qualité de magistrat mais en tant que simple citoyen. »

Ainsi, depuis 2024, il a entamé une campagne de sensibilisation dans les collèges du Bénin en faisant remarquer que parmi les milliers de jeunes qui croupissent derrière les barreaux, il y a une importante proportion qui « ne seront pas exclus de la société demain, au contraire ils compteront pour beaucoup ». A juste titre, François Mitterrand disait : « Si la jeunesse n’a pas toujours raison, la société qui la méconnaît et la frappe a toujours tort. »

« Autant la répression à elle seule est insuffisante pour venir à bout du fléau, autant la sensibilisation l’est. Sensibiliser, éduquer, restaurer les valeurs, dénoncer les intrépides, les sanctionner et les déposséder des ressources générées par la cybercriminalité », propose le magistrat pour espérer à long terme redorer le blason des nombreux pays d’Afrique de l’ouest fichés et reconnus comme pays à forte propension cybercriminelle.

Révision du Code du numérique

Si la démarche de l’Etat va prioritairement dans le sens de la répression et celle du magistrat, de la sensibilisation, Julien Hounkpè, Docteur en droit et spécialiste du numérique, opte pour la révision du Code du numérique. Il énonce des défis persistants tels que l’augmentation constante des cybercrimes, notamment les escroqueries en ligne, le piratage et les atteintes aux données personnelles. En plus, la faible sensibilisation des citoyens et des entreprises aux risques numériques, des lacunes en matière de coopération internationale pour lutter contre les cybermenaces transfrontalières et le manque de ressources techniques et humaines spécialisées pour répondre efficacement aux cyberattaques complexes.

Face à ces défis, le Code du numérique présente des limites qu’il cite : « Certaines infractions numériques émergentes (comme les ransomwares ou l’intelligence artificielle malveillante) ne sont pas explicitement couvertes par le texte, la mise en œuvre des dispositions du code est entravée par un manque de formation des magistrats et des forces de l’ordre, le Code manque de dispositions concrètes favorisant les collaborations avec d’autres juridictions dans les enquêtes transfrontalières et certaines peines prévues ne reflètent pas la gravité des cybercrimes commis. »

Pour Dr Julien Hounkpè, la relecture du Code du numérique s’impose notamment en raison de l’évolution rapide des technologies, du manque de précision de certains articles du Code et du manque de protection accrue des données personnelles et des utilisateurs des plateformes numériques. A cet effet, il propose que soit introduites « des dispositions spécifiques pour les nouvelles formes de cybercriminalité, notamment celles liées aux crypto-monnaies, à l’IA, et aux ransomwares ».

L’aspect formation et équipement des magistrats, des forces de l’ordre et des experts en cybersécurité reste un aspect majeur ajouté à la coopération internationale accrue. A ce sujet, il faudra intégrer des mécanismes juridiques facilitant les enquêtes conjointes avec d’autres pays et appliquer des conventions internationales comme la Convention de Budapest sur la cybercriminalité. De même que l’encadrement des plateformes numériques, la sensibilisation et l’éducation. « Ces propositions, bien qu’elles ne constituent pas une solution universelle, reconnait-il, représentent un pas important vers une lutte plus efficace contre la cybercriminalité. Cependant, pour qu’elles soient pleinement efficaces, elles doivent être accompagnées d’une volonté politique forte, des investissements significatifs dans les infrastructures numériques et d’une mobilisation collective des parties prenantes, y compris les citoyens, les entreprises et les institutions publiques », conclut Dr Julien Hounkpè.

Michaël Tchokpodo

Michaël Tchokpodo est journaliste communiquant, grand observateur des mutations relatives aux technologies numériques et au développement durable. Correspondant au Bénin pour CIO Mag.

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