Dans cet entretien accordé à CIO Mag, Elisabeth Moreno, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, revient sur son engagement en faveur de l’inclusion des communautés à travers l’éducation, la santé et le renforcement de la coopération entre l’Afrique et la France. Passionnée de digital, un milieu qu’elle connait très bien, Madame Moreno partage ses convictions en faveur d’un nouveau new deal qui valorise la double appartenance.
Interview réalisée par Mohamadou DIALLO
Cio Mag : Est-ce que la France mesure le poids réel et la chance de sa diaspora à sa juste valeur ?
Elisabeth Moreno : D’abord je souhaiterais préciser que la France n’a pas qu’une diaspora mais des diasporas. Je retrouve cette diversité à travers les pays qui composent le Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest. Et je veux m’adresser à chacune d’entre elles.
Plutôt que de me demander si nous en faisons assez, je préfère me demander, chaque jour, ce que nous pouvons faire de plus pour nos compatriotes françaises et français de l’étranger. En plus des actions pour améliorer leur quotidien, je porterais trois engagements forts pour eux à l’Assemblée nationale.
D’abord sur l’éducation, je sais que les frais de scolarité des Françaises et Français de l’étranger sont importants. Il est éminemment important de garantir un excellent niveau d’éducation à un coût accessible. Pour cela, je souhaite développer et favoriser des partenariats publics-privés et permettre aux entreprises de participer aux frais de scolarité tout en recourant à des financements innovants.
Ensuite sur la santé, je veux simplifier et élargir la grille de remboursement des dépenses de santé et ainsi permettre à toutes les personnes d’accéder à une santé de qualité, quel que soit leur niveau de revenu.
Enfin, à travers la mise en place d’une diplomatie économique je souhaite favoriser les partenariats et l’entrepreneuriat. Je travaillerai en étroite collaboration avec Bpifrance et le groupement du patronat francophone pour aider les entrepreneurs français de l’étranger qui passent trop souvent sous le radar des aides publiques.
Ainsi, je souhaite m’assurer que les Françaises et Français de l’étranger se sentent comme des citoyens à part entière et non de seconde zone.
Les diasporas jouent un rôle central dans le rayonnement des économies des pays, y compris la France. Le renforcement des liens économiques et culturels est un puissant rempart à l’exclusion sociale et économique, et je n’ai aucun doute sur le fait que notre pays prenne la juste mesure des opportunités réelles que représentent les diasporas.
Pensez-vous que le digital est une chance pour gommer ces différences ?
Vous le savez, j’ai travaillé dans le secteur de la tech pendant 20 ans et je suis intimement convaincue que le numérique peut permettre au continent de s’inscrire pleinement dans la 4ème révolution industrielle qui se déroule devant nos yeux.
Le numérique est partout dans notre quotidien : dans la santé, l’éducation, l’agriculture, les technologies de l’information et de la communication. De façon très pragmatique, il permet déjà de connecter, d’un pays à l’autre, des populations, des cultures et des intérêts communs et complémentaires. Il est aussi, et surtout, au cœur des actions pour favoriser l’intégration professionnelle, à travers les nouveaux métiers du numérique et les talents venus d’ailleurs, pour répondre aux besoins du marché du travail.
Le digital offre des leviers de croissances inclusives dont les Etats doivent se saisir. Je pense en particulier à Digital Africa qui doit renforcer la capacité des entrepreneurs numériques africains à concevoir et déployer à grande échelle des innovations de rupture au service de l’économie réelle. Mais aussi à Smart Africa porté par Lacina Koné qui accompagne le rayonnement du numérique en Afrique.
Le digital est donc véritablement une chance, non pas pour gommer les différences, mais pour construire une société plus inclusive où chacun aura sa chance.
Avant d’être une femme politique, vous êtes d’abord issue de la diaspora donc de la diversité, un thème qui vous est particulièrement cher. Où en est la France aujourd’hui sur la diversité ?
Je suis ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances. C’est la première fois que dans notre pays il y a un ministère en charge de la diversité. Le fait que cela soit intégré directement à un portefeuille ministériel montre l’importance que le Président porte à ce sujet. C’est important pour notre politique d’égalité des chances, notre cohésion nationale et notre capacité à grandir ensemble. Ce sont des sujets au cœur des enjeux sociétaux d’aujourd’hui. Je représente moi-même la diversité dans la politique française, et c’est bien plus qu’une grande fierté, c’est une source de motivation.
Les progrès réalisés ces dernières années en matière de diversité et d’inclusion sont très encourageants. Ils démontrent combien, non seulement les politiques publiques mais également l’engagement du secteur privé – souvent accompagné par les associations – peuvent faire bouger les lignes.
Nous avons, par exemple, mis en œuvre une plateforme anti-discrimination portée par le Défenseur des Droits pour être aux côtés de toutes celles et ceux qui en sont victimes. Nous avons également engagé une grande réforme du service public afin de diversifier les recrutements, et avons instauré l’Index de la diversité et de l’inclusion pour accélérer le mouvement au sein des entreprises.
Une enquête réalisée pour le Conseil Présidentiel pour l’Afrique en février 2021 a d’ailleurs révélé que 73% des Français d’origine étrangère considéraient leur intégration comme dysfonctionnel.
J’ai, cependant, bien conscience de l’ampleur des défis qu’il reste à relever collectivement, afin de ne laisser personne de côté. À travers les différentes rencontres que j’ai eu la chance de faire, je suis encore moi-même témoin du véritable « malaise » que vivent certains Français d’origine étrangère. Une enquête réalisée pour le Conseil Présidentiel pour l’Afrique en février 2021 a d’ailleurs révélé que 73% des Français d’origine étrangère considéraient leur intégration comme dysfonctionnel.
La France est l’un des pays qui a l’arsenal juridique le plus complet pour lutter contre les discriminations, il faut collectivement travailler pour que celui-ci fonctionne dans l’intérêt de tous.
Dans un contexte politique international complexe, comment encourager et connecter la nouvelle génération d’entrepreneurs africains et français en privilégiant la diaspora ?
Je suis bien placée pour savoir combien l’entreprenariat peut être émancipateur que ce soit pour les jeunes ou pour les femmes. Par conséquent il ne s’agit pas uniquement de privilégier les diasporas, mais de faire savoir qu’elles ont un rôle majeur à jouer pour tirer profit de l’ensemble des opportunités qui existent entre les deux rives de la Méditerranée.
Les diasporas de par leur double culture, leur capacité d’adaptation et de résilience sont de véritables atouts et ambassadeurs tant pour le rayonnement de l’Afrique en France que de la France en Afrique.
Le milieu entrepreneurial et des affaires doit ainsi comprendre l’importance de cultiver cette richesse, à travers notamment, la multiplication des programmes de mobilité et d’échanges universitaires.
Parmi les initiatives portées par le Président de la République, nous avons renforcé les campus franco-africains, comme le campus franco-sénégalais. Nous avons observé que les grandes écoles françaises s’implantent également de plus en plus au Maghreb comme l’ESSEC ou HEC. Il n’y a pas meilleure illustration de l’excellence de nos formations ! Je souhaite d’ailleurs féliciter l’engagement de Madame Benkerroum, conseillère des Français de l’étranger, qui a créé la première école européenne de Fès. Toutes ces initiatives participent au rayonnement de la France de par le monde.
L’État a naturellement sa part à jouer pour permettre aux diasporas de développer leurs potentiels. C’est pourquoi je souhaiterais aussi saluer le travail de l’AFD, de Bpifrance, de Business France, d’Expertise France qui sont mobilisées pour encourager ces échanges, à travers les programmes Meet Africa 2, le Pass Africa ou encore nos VIE et nos VIA. Nous devons nous appuyer sur le groupement du patronat francophone et le MEDEF international pour amplifier les réussites de nos entreprises à l’étranger. Je souhaite également saluer et accompagner les initiatives des Françaises et Français de l’étranger qui se fédèrent autour de cercles d’affaires.