Ibrahim Nour Eddine Diagne : « La transformation digitale va impulser l’inclusion financière, socle du développement durable »

  • Par CIO MAG
  • 26 septembre 2022
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Président du comité scientifique du forum du numérique, Ibrahima Nour Eddine Diagne, est l’un des fins connaisseurs du monde du numérique. Dans cet entretien accordé à Cio Mag, l’Administrateur général de Gainde 2000 évoque les enjeux de la transformation digitale et bien d’autres questions de l’heure.

Propos recueillis par : Mamadou DIOP

Cio Mag : La transformation digitale au service de l’inclusion financière et du développement durable. Que vous inspire ce thème du Forum du numérique édition 2022 ?

Ibrahim Nour Eddine Diagne : La transformation digitale au service de l’inclusion financière et du développement durable est un thème avec un double intérêt. D’abord, aujourd’hui, il est clair que le volet de l’inclusion digitale qui a plus d’impacts au niveau des populations, a vraiment reconfiguré la dynamique sociale et même économique. C’est bien tout ce qui a trait à la Fintech, qui est donc le lien entre la finance et le digital. Et le fait que ce soit naturellement le secteur qui a le plus profité et qui a également mis à niveau les compétences des utilisateurs sur les moyens digitaux. C’est un fait important qu’il faut relever.

Alors, sans nul doute, il contribue énormément à l’inclusion financière puisque toutes les populations de toutes catégories et de toutes localités ont accès à ces moyens qui peuvent être à la fois des moyens de paiement, de survie et de solidarité économique pour exercer une activité. Donc réellement, on a quelque chose qui s’est dessiné et qui englobe toutefois un caractère parfois informel. D’où la pertinence du choix d’en avoir fait le thème du forum national du numérique à venir. Et la notion de développement durable est aujourd’hui à la mode, mais pas que. C’est une notion qui nous interpelle car nous sommes dans un monde où les interdépendances aujourd’hui impactent le climat de façon tout à fait notable. On peut le constater. Et donc, avoir un outil puissant qui pénètre toutes les catégories de population dans toutes les localités et fédérer cet outil avec la notion de développement durable est pour moi une association très heureuse.

Il y a un lien entre l’activité économique et le développement durable.

Il y a un lien entre l’activité économique et le développement durable. Faire la combinaison de ces deux dimensions, celle qui est en pleine maturité et une dimension qui est naissante, est pour moi un parallèle tout à fait brillant. Le thème est d’actualité et j’espère qu’on arrivera à apporter le message fort aujourd’hui, au delà de l’inclusion financière, le message fort du développement durable. Il n’y a pas de pays qui, par rapport à son stade de développement, a des obligations inférieures. Ne pas considérer cela comme une responsabilité à travers le monde, mais nous mêmes il y a une économie du développement durable. Il faut savoir en tirer profit et surtout aussi savoir que ces efforts sont destinés à garantir une viabilité aux générations futures.

Sur quels leviers devrait s’appuyer cette transformation digitale ?

La transformation digitale devrait s’appuyer d’abord sur les dynamiques insistantes parce que quoi qu’on dise, l’inclusion financière a trouvé sa voie à travers le digital. Et je pense que les Fintech que nous avons aujourd’hui dépassent de loin l’imagination que nous en avions au moment de cette mise en œuvre. Alors aujourd’hui il y a des défis sur la Finetch et également sur tout ce qui concerne l’inclusion financière. Il y a des enjeux de traçabilité, donc c’est tout ce qui concerne le QYC et également la vérification des transactions qui ne sont pas contraires aux lois et règlements. C’est un premier défi aujourd’hui. Le deuxième défi est une sorte de formalisation pour éviter qu’une économie informelle se développe très fortement à travers la facilité à la fois des réseaux sociaux et des moyens d’inclusion financière, et que cela se fasse au détriment de la capacité des Etats à mobiliser la fiscalité. Laquelle fiscalité permet de pouvoir faire les investissements publics et de répondre aux obligations de l’Etat.

Alors ces deux sujets sont à surveiller pour ne surtout pas casser la dynamique parce qu’il y a quand même de la valeur ajoutée exponentielle à travers l’explosion de la Fintech et ce en quoi elle concourt à l’inclusion financière. Mais attention, soyons vigilants. Déjà, le régulateur qui est la Banque Centrale apporte beaucoup de contraintes pour faire en sorte que le système ne dérive pas. Et il faut qu’au-delà de cela également, sur le volet fiscal notamment, qu’on puisse avoir une autre perception de cela. Donc je pense qu’il y a des défis qui relèvent autant des régulateurs de l’Etat à travers son administration fiscale mais également des opérateurs qui sont pleinement engagés dans ce travail.

Les SFD et les sociétés de téléphonie étaient attendus au tournant dans la promotion de l’inclusion financière. Pensez-vous qu’ils aient joué leurs rôles pleinement ?

Vu sous l’angle de la capacité des citoyens à porter des moyens leur permettant de recevoir de l’argent et également la capacité d’en dépenser, les SFD et les opérateurs mobiles, dans des rôles d’ailleurs assez différents, ont vraiment contribué à exploser le taux de bancarisation. Maintenant, pourquoi faut-il bancariser ? C’est souvent de l’épargne et de l’investissement. C’est à cela que concourt aujourd’hui un système financier.

C’est un système qui collecte de l’épargne et distribue du crédit.

C’est un système qui collecte de l’épargne et distribue du crédit. A ce niveau, nous n’avons pas de néo-banques dans nos pays. Cela veut dire que l’accès au crédit est un accès qui n’est pas aujourd’hui favorisé par l’explosion du digital. Mais également les épargnes ne sont pas rémunérés. Vous pouvez garder de l’argent dans un compte ou dans un wallet de n’importe quel opérateur pendant une durée assez longue sans pour autant être rémunéré puisque cette institution n’a pas vocation à redistribuer sous forme de crédit votre argent.

Il y a donc un potentiel pour l’économie, il y a de l’argent qui flotte dans le temps. Et cet argent qui flotte aujourd’hui n’est pas rémunéré parce qu’il n’est pas destiné à alimenter un système de crédit. J’imagine que toute l’organisation des banques qui sont derrière la plupart des opérateurs, des émetteurs de Money électronique, travaillent sans doute quelques jours avec les dates de valeur et l’exigibilité de ces fonds. Les mutuelles de crédit par contre sont dans un rôle de collecte d’épargnes et de distribution de crédits. Aujourd’hui, la difficulté, c’est parfois les conditions d’accès. Puisque c’est aussi des garanties qui doivent être mises en opposition des crédits mais également des taux d’intérêt très élevés car les micro-finances également s’alimentent sur des marchés pour lesquels les taux ne sont pas hyperconcessionnels.

Il y a un travail à faire. Un mécanisme digital qui permet l’accès équitable sur le territoire et sur les classes sociales à un moyen qui permet de pouvoir faire une activité économique et financière. Et de l’autre côté des institutions si on prend les opérateurs mobiles qui n’ont pas vocation à faire de la collecte d’épargnes et de la distribution de crédits mais qui peuvent le faire en mettant en place des néo-banques. Peut-être qu’à ce niveau, le régulateur devrait penser à une régulation spécifique pour les néo-banques. Il y a quand même un chantier assez intéressant parce qu’il y’a beaucoup d’argent qui ne sont pas rémunérés, qui ne servent pas non plus à financer l’économie et qui ne font que circuler pour être consommés. Parfois, cet argent peut dormir assez longtemps sans être rémunéré, ni distribué. Voilà donc des réflexions qui sont devant nous et qui exigeront beaucoup d’imaginations et d’audaces pour pouvoir en faire un levier encore plus actif de développement économique et social.

Quels mécanismes d’inclusion pour capter le secteur informel ?

J’ai toujours un petit sourire en coin lorsqu’on me parle de capter le secteur informel. Il n’y a pas plus pragmatique que le secteur informel.

Il n’y a pas plus pragmatique que le secteur informel.

C’est un secteur qui regarde les règles telles qu’elles sont, observent les opportunités telles qu’elles sont et arrivent à se mouvoir pour créer de la valeur ajoutée en essayant de ne pas subir la contrainte des règles et en profitant au maximum des opportunités. Le secteur informel est un secteur qui n’a réellement pas besoin d’être propulsé parce qu’il sait se mouvoir dans un environnement où il y a des opportunités et des contraintes. En revanche, c’est un secteur qu’il faut encadrer pour plusieurs raisons. La première, c’est une raison que j’ai évoquée préalablement et qui est liée à la capacité de l’Etat à faire ses recettes fiscales, mais également à plus ou moins faire respecter l’ordre et la sécurité au nom des personnes et des biens.

Mais le deuxième, c’est un secteur qui est destiné à avoir une croissance et à pouvoir se transformer. La transformation d’une logique dite informelle qui a pour vocation de travailler et créer des richesses mais de ne pas forcément les investir, car l’investissement c’est une autre forme d’entrepreneuriat et ça demande vraiment des qualités qui sont différentes. Mais ces fonds qui existent qui peuvent être rémunérés et servir de fonds pour des investissements doivent retenir notre intérêt. Il faut mobiliser le secteur informel ou le secteur dit informel autour de deux axes. Un premier axe, c’est d’être un investisseur vraiment de très grande portée. Et le deuxième axe, c’est d’être des acteurs qui vont initier de nouvelles logiques industrielles ou de nouvelles logiques entrepreneuriales en conformité avec les besoins et les réalités du pays.

Actuellement, nous subissons les contrechocs externes liés à une inflation d’un niveau jamais quasi-atteint de mémoire de personne de ma génération. Et aujourd’hui, on se rend compte à quel point nous sommes dépendants par la fragilité de notre tissu industriel, de tout ce qui vient de l’étranger. Voilà des axes de réflexion et de concertation pour des résultats structurants à moyen et long terme de sorte à faire du secteur informel, à la fois un levier de stabilité sociale parce que beaucoup d’emplois et de revenus sont générés par le secteur informel, mais également un moteur de développement économique. Cela demande de bonnes réflexions, une logique de confiance et aussi une impulsion très forte que l’Etat peut porter avec le secteur privé.

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