
Les tours A et B de la Cité administrative du Plateau, le centre des affaires d’Abidjan, Côte d’Ivoire. Crédit photo : Wikipédia
Imaginez une administration publique où chaque département conçoit son système informatique de manière isolée. Pour que ces différents systèmes puissent échanger des informations, il est nécessaire qu’ils communiquent via une plateforme coordonnant l’ensemble. C’est précisément cette vision que concrétise le lancement du projet de mise en place de la plateforme d’interopérabilité de l’administration ivoirienne.
(CIO Mag) — Ce projet a été lancé le jeudi 25 septembre 2025 à Abidjan. Il est piloté par la Société Nationale de Développement Informatique (SNDI), sous la supervision institutionnelle du Ministère de la Transition Numérique et de la Digitalisation (MTND). Avec l’appui du cabinet Digital Nation, la SNDI a retenu la solution UXP développée par l’entreprise estonienne Cybernetica, dit-elle, « en raison de son efficacité, de sa sécurité et de son caractère open source ». La SNDI ajoute que cette plateforme a pour objectif d’assurer un échange décentralisé, sécurisé, normalisé et automatisé des données entre les nombreux systèmes d’information cloisonnés de l’administration publique. Le contrat, d’un montant de 387 350 euros (environ 254 millions FCFA), couvre la mise en place du noyau de la plateforme, le développement de cinq services prioritaires, et un transfert de compétences complet aux équipes de la SNDI.

Paysage actuel des systèmes d’information
Aujourd’hui, les systèmes d’information (SI) de l’administration publique ivoirienne sont fortement fragmentés. Malgré les progrès réalisés ces dernières années pour dématérialiser et digitaliser certains services, la plupart des SI métiers des divers ministères et organismes fonctionnent en silos. Chaque service utilise son propre système, isolé des autres, sans mécanisme automatisé d’échange ou de partage d’informations.
Lors de la présentation du projet, il est apparu que la majorité des systèmes ne disposent ni des moyens techniques ni organisationnels pour communiquer en temps réel de façon sécurisée. Le constat effectué par la SNDI est sans appel : l’absence d’une plateforme centralisée et normalisée d’échange de données entre SI freine la modernisation de l’administration ivoirienne et ralentit sa transformation numérique globale.
Absence de cadre fort et partagé
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Premièrement, chaque ministère conçoit et déploie ses propres systèmes informatiques, adaptés à ses besoins spécifiques, ce qui a engendré une grande diversité de technologies et d’architectures logicielles.
Deuxièmement, il manquait jusqu’à présent un cadre solide et partagé imposant des standards communs d’échange de données. À cela s’ajoute l’absence d’une plateforme technologique unifiée assurant la sécurité, la confidentialité et l’intégrité des échanges. Cette lacune conduit souvent à des démarches administratives longues, nécessitant fréquemment des interactions manuelles entre services.
Enfin, les enjeux liés à la cybersécurité et à la protection des données n’ont pas toujours été suffisamment pris en compte dans la conception des SI, ce qui constitue un risque considérable pour les services administratifs et les usagers.
Démarches administratives fastidieuses
En conséquence, cette fragmentation engendre plusieurs impacts négatifs. Pour les citoyens et les entreprises, elle se traduit par des démarches administratives fastidieuses, parfois coûteuses et peu transparentes. L’absence d’échanges fluides oblige souvent à fournir plusieurs fois les mêmes informations ou à se déplacer physiquement pour obtenir un document. Du côté de l’administration, cela entraîne une duplication des efforts et des ressources, une faible efficacité opérationnelle, ainsi qu’un déficit de fiabilité des données utilisées pour la prise de décision. La digitalisation des services publics reste ainsi limitée et peu intégrée, freinant la mise en place d’une gestion moderne, transparente, axée sur la qualité et la rapidité du service rendu.
Sur le plan de la gouvernance, cette situation affaiblit la volonté gouvernementale de faire de la Côte d’Ivoire un pays majeur en innovation numérique, conformément au Plan Stratégique Côte d’Ivoire 2030.
Pour répondre à ces défis, la Côte d’Ivoire a choisi une solution stratégique : la mise en place de la plateforme d’interopérabilité UXP (Unified Exchange Platform).
UXP, une plateforme d’échanges unifiée
Cette solution, développée par la société Cybernetica — conseil international réputé notamment pour la plateforme X-Road utilisée en Estonie — s’inspire d’une version améliorée et évoluée de l’approche estonienne de gouvernance numérique.
Déjà adoptée par plus de 14 pays, la plateforme UXP va jouer le rôle de chef d’orchestre en assurant l’échange décentralisé, sécurisé, normalisé et automatisé des données entre les systèmes cloisonnés de l’administration publique ivoirienne. Contrairement à une base de données centralisée, UXP permet à chaque organisation de conserver le contrôle total sur ses données, tout en facilitant leur partage dans un cadre réglementé et sécurisé.
Selon la SNDI, son architecture distribuée garantit la disponibilité, l’intégrité et la confidentialité des échanges grâce à des mécanismes robustes d’authentification mutuelle, de signature et d’horodatage des messages. De plus, UXP s’adapte aisément aux besoins spécifiques des différentes administrations et évolue avec les avancées technologiques.
Horizon 2027
Il est important de préciser que la phase pilote du projet a démarré en 2025 avec l’interconnexion de 12 grandes entités publiques, dont plusieurs ministères, la Direction Générale des Impôts, la Poste de Côte d’Ivoire, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, ainsi que d’autres agences clés. L’objectif consiste à étendre progressivement cette couverture à l’ensemble des services publics, y compris les collectivités territoriales, d’ici 2027. La plateforme UXP permettra ainsi de réduire significativement les délais et erreurs administratives, d’améliorer la transparence en luttant contre la fraude, et de faciliter une gouvernance moderne axée sur une prise de décision fondée sur des données fiables et actualisées.