Lami : Jihan Abass, la Kényane qui assure !

Née à Mombasa, Jihan Abass a fondé en 2018 Lami, une compagnie d’assurance digitale au Kenya, après des études académiques et des expériences professionnelles au Royaume-Uni. Son objectif : démocratiser les produits et services d’assurance pour les Kényans à faible revenu. L’entreprise poursuit son ascension, puisqu’après une levée de fonds de 1,8 million de dollars, Lami a acquis en 2021 la Kényane Bluewave Insurance Agency, avec pour objectif d’embaucher et de se développer dans d’autres pays africains. Retour sur le parcours inspirant de sa fondatrice.

Cio Mag : Était-ce un choix de retourner en Afrique pour fonder votre entreprise ?

Jihan Abass : Je suis née et j’ai grandi à Mombasa, au Kenya. Après avoir été diplômée de la Bayes Business School, j’ai effectué mon parcours professionnel dans les services financiers. J’ai notamment travaillé comme trader de matières premières à Londres pendant quelques années, avant de fonder en 2018 Lami. J’ai toujours su que je rentrerai au Kenya à un moment de ma vie, mais c’est arrivé plus tôt que je ne le pensais. Mon travail en entreprise à Londres ne me semblait pas épanouissant à l’époque. Par ailleurs, j’entendais parler des inégalités dans l’écosystème de l’assurance au Kenya et j’ai réalisé que je voulais travailler dans un domaine où j’avais un impact sur mon pays et ses citoyens.

Cio Mag : Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans l’assurance digitale au Kenya ?

J. A : Tout a commencé par une rencontre fortuite. Je suis rentrée au Kenya pour un voyage, et par hasard, j’ai eu une conversation avec un serveur qui m’a dit qu’il n’avait pas d’assurance. Je suis devenue obsédée par cela et j’ai commencé à faire des recherches pour comprendre la force motrice derrière cette problématique. C’est alors que j’ai appris que moins de 3% des personnes avaient accès à des produits d’assurance en Afrique.

Le Kenya compte plus de 50 compagnies d’assurance et environ 8 000 agents et courtiers qui opèrent sur le marché. Cela peut surprendre, compte tenu du niveau de pénétration, qui est actuellement à 2,3 %.  Mais le problème n’est pas un manque de compagnies d’assurance, les niveaux de pénétration sont faibles parce qu’elles n’ont pas les moyens efficaces de vendre des produits aux consommateurs finaux. Ce qu’ont démontré nos études, c’est que le processus de bout en bout est long et frustrant. L’obtention d’un devis peut prendre plusieurs jours et ce modèle de distribution ne répond plus aux besoins des consommateurs. Aussi, la plupart des personnes ne font pas confiance aux compagnies d’assurance.

Nous avons donc créé Lami pour que les clients puissent avoir un délai d’exécution rapide. Par ailleurs, les Kényans sont très tournés vers le numérique, notamment le système de paiement mobile. Ceci nous a permis une transition plus facile vers l’assurance digitale, puisque notre solution repose sur la technologie et les processus en ligne. L’ensemble de ces problématiques rencontrées au Kenya se retrouvent dans d’autres pays africains, ce qui fait qu’avec Lami, nous pouvons avoir accès à d’autres marchés.

“Bien sûr, il y a des femmes dans les entreprises et les postes de direction, mais peu d’entre elles se lancent dans l’aventure de l’entreprise technologique ou financière.

Aujourd’hui, pensez-vous que votre carrière peut inspirer les jeunes femmes africaines ?

Au cours de ma carrière, j’ai été affectée par le fait d’avoir rencontré très peu de femmes à qui parler, et qui rencontraient les mêmes problématiques que moi en voulant lancer une startuo. Bien sûr, il y a des femmes dans les entreprises et les postes de direction, mais peu d’entre elles se lancent dans l’aventure de l’entreprise technologique ou financière.

Les choses ont beaucoup changé ces dernières années. De mon côté, j’ai pu expérimenter et prendre des risques, ce qui m’a beaucoup appris. Je crois que le moment est venu pour que davantage de femmes créent des entreprises et accèdent à cette opportunité.

Avez-vous été soutenue dans votre parcours d’entrepreneure ?

Ma carrière d’entrepreneure n’a pas été si difficile car j’avais la chance d’avoir une famille qui soit une énorme source d’inspiration, notamment mon père et mon grand-père. Je savais que l’entrepreneuriat était fait pour moi. Mais cela reste difficile. Pour celles et ceux qui ont envie de se lancer, je leur suggère de commencer en équilibrant le lancement d’un projet avec un emploi salarié pour ne pas se retrouver dans une situation délicate.

Quelles pistes sont à développer pour que davantage de femmes accèdent à des postes à responsabilité d’une part, et s’intéressent aux métiers de la Tech d’autre part ?

Premièrement, je pense qu’il faut embaucher plus de femmes à des postes de direction, des rôles qui sont encore à prédominance masculin. Par exemple, chez Lami, 60 % de notre équipe de direction est dirigée par des femmes. En tant que femme fondatrice, je leur offre continuellement des opportunités de se former dans le domaine de la technologie. Nous leur donnons les outils et les connaissances dont elles ont besoin pour démarrer ensuite leurs propres startups technologiques.

Les femmes en Afrique sont plus susceptibles d’être créatrices d’entreprises que les hommes. Nous représentons 58 % de la population indépendante du continent. Mais peu d’entre elles accèdent aux financements, notamment parce que les femmes ont plus de chances d’être interrogées sur leur vie personnelle et leur crédibilité de la gestion d’une entreprise est souvent mise en question. Les investisseurs potentiels se concentrent sur le risque d’une entreprise dirigée par une femme, contrairement aux entrepreneurs masculins. Pourtant, les recherches montrent qu’investir dans les femmes fondatrices d’entreprises est extrêmement rentable car elles possèdent plusieurs compétences clés, précieuses pour le financement du capital-risque.

Par ailleurs, il faut aussi encourager l’accession des femmes dans l’industrie des technologies financières, en soutenant les initiatives des étudiants. Nous devons susciter l’intérêt de ces jeunes professionnelles pour l’entrepreneuriat, notamment en leur offrant des conseils, un soutien, des opportunités de travail et en étant à leur disposition par le biais de programmes de mentorat.

Camille Dubruelh

Camille Dubruelh, Journaliste, coordinatrice éditoriale Cio Mag

Journaliste multimédia depuis 2010, Camille Dubruelh s’est spécialisée sur l’actualité du continent, traitant de domaines aussi divers que la politique, l’économie ou encore la culture. Très intéressée par les nouvelles technologies, le monde des start-ups et l’impact du digital sur le processus de développement, elle a rejoint en 2019 Cio Mag, le magazine de référence sur le digital africain, où elle exerce la fonction de coordinatrice éditoriale. Au-delà de ses fonctions au sein du magazine, elle anime régulièrement des conférences, en France et en Afrique, online et en présentiel, sur la thématique de l’économie numérique, de l’innovation et du financement.

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