Web, mobile, social, big data, objets connectés, blockchain… les technologies du digital ont un impact sans précédent sur les entreprises et les sociétés du fait de la vitesse de changement et des nouveaux usages favorisés par les acteurs de l’économie numérique. Le secteur bancaire est l’un des plus touchés par cette vague, mais c’est aussi celui qui a su s’adapter rapidement en accompagnant ces évolutions dès le début.
Que ce soit au Maroc ou ailleurs dans le monde, les banques font face à une mutation rapide, complexe et profonde tirée par les technologies exponentielles et les nouveaux usages. Les banques marocaines s’efforcent de répondre aux attentes de clients de plus en plus exigeants, hyperconnectés, peu fidèles et en recherche permanente de la meilleure expérience client/utilisateur. Face à ces défis, le digital peut apporter, et apporte déjà, de vraies réponses. Mais n’oublions pas qu’au pays du « cash » et du contact humain, le « tout digital » ne doit pas remplacer l’agence bancaire, aujourd’hui en quête d’un nouveau positionnement.
La banque digitale omnicanale est plus que jamais une priorité pour les banques marocaines
Sur les 5 dernières années, les acteurs bancaires marocains se sont dotés d’une vraie vision et d’une stratégie de digitalisation des canaux d’interaction et de distribution des services bancaires dans une logique omnicanale.
Selon l’enquête menée par BearingPoint et l’AUSIM en 2021, la majorité des répondants affirme disposer d’un fort sponsorship de leur direction générale, d’une stratégie de digitalisation des canaux de distribution alignée avec la stratégie de la banque et d’une équipe interne dédiée pour prendre en charge les projets de digitalisation des canaux clients. Sur ces dimensions les répondants affirment être à un niveau avancé, voire leader.
Les points de progression constatés portent sur la communication et le partage de la stratégie de digitalisation avec l’ensemble des collaborateurs et son appropriation par ces derniers. L’aspect conduite du changement reste de ce fait un défi pour la majorité des répondants.
Plus que jamais, l’omnicanal est au cœur de la stratégie de la plupart des banques marocaines. Toutes les banques mettent à disposition de leurs clients une multitude de canaux allant du M-Banking à l’agence bancaire en passant par le e-banking et le CRC (Centre de Relation Client). Les banques s’efforcent de garantir une cohérence d’ensemble cross-canal.
Malgré ces évolutions, le développement d’une vraie culture de pilotage de l’expérience client reste un défi pour les banques marocaines. Sur ce voler, moins de 20% des répondants sont à un niveau très avancé.
Quoique de plus en plus connectés, les Marocains restent attachés à leur agence bancaire
Au Maroc, malgré les évolutions de ces dernières années et l’intensification de l’usage des canaux digitaux, l’agence reste au cœur de la consommation des services bancaires.
Dans une logique omnicanale, les banques se doivent de proposer des expériences client sans couture, tout en garantissant en permanence une cohérence d’ensemble de leur dispositif omnicanal.
Le M-banking reste aujourd’hui le canal digital le plus avancé et le plus utilisé par les clients marocains. Cela va de pair avec le développement fulgurant de l’équipement des Marocains en smartphones sur les 10 dernières années. Canal qui a du succès notamment auprès des jeunes urbains.
Depuis quelques années déjà, la plupart des banques marocaines propose des applications M-banking très riches. S’il n’est pas encore possible de gérer depuis l’application mobile la planification de rendez-vous avec son conseiller ou le dépôt de chèques, le client peut aujourd’hui ouvrir un compte, simuler un crédit, faire des virements, commander un chéquier ou payer ses factures en un clic.
La majorité des répondants propose à ses clients une vraie banque en ligne avec, au-delà des services de base, la possibilité d’ouvrir un compte ou de faire sa demande crédit en ligne. Plus de 60% d’entre eux déclarent être dans un stade avancé voire leader sur ce volet.
Depuis 2020, afin d’encourager le développement des entrées en relation à distance tout en maîtrisant le dispositif de lutte anti-blanchiment, le régulateur marocain a donné la possibilité aux banques d’ouvrir des comptes à distance pour leurs clients en levant l’obligation de l’entretien physique à l’ouverture. Bien entendu, cela va de pair avec un système d’information et des moyens technologiques robustes et fiables.
La complexité des produits, mais également la disponibilité de fonctionnalités avancées dans les canaux digitaux, sont 2 facteurs qui influencent aujourd’hui le canal de souscription des produits financiers. Le M-banking arrive en tête chez les moins de 35 ans, tandis que l’agence rafle la première place auprès des 36-55 ans, en concurrence avec le M-banking/e-banking. Quant aux plus de 56 ans, l’agence est sans nul doute le canal privilégié.
Véritable lieu de commerce et vecteur de la relation client/banquier au Maroc, l’agence bancaire doit néanmoins se réinventer. La réflexion autour du nouveau positionnement de l’agence reste aujourd’hui au stade de la vision et du cadrage, voire de pilote tout au plus.
Bien évidemment, dans ce nouveau modèle d’agence le digital s’invite à plus d’un titre : premièrement, plus d’autonomie des clients grâce aux automates LSB (Libre-Service Bancaire) ; deuxièmement, plus d’efficacité opérationnelle au sein de l’agence pour libérer du temps transactionnel au profit du temps commercial ; et enfin, plus d’expertise et de personnalisation grâce au conseiller augmenté grâce à des outils CRM avancés (par exemple, mise à disposition de scores d’attrition ou d’appétence à un équipement donné) permettant au conseiller d’adapter son effort commercial.
Centricité client et usages au cœur de la transformation technologique des banques appuyés par une architecture SI à deux vitesses
Une vision client unifiée agnostique au canal, passe nécessairement par une architecture et une gouvernance SI optimisées et tirées par l’expérience client. Les banques marocaines précurseurs ont mis en place des architectures SI à deux vitesses : d’une part, un socle technologique fiable avec un cycle d’évolution long et, d’autre part, une couche de solutions digitales agile avec un time-to-market se comptant en semaines, voire en jours, là où, auparavant, on pouvait mettre des mois à livrer de nouvelles fonctionnalités.
L’évolution se constate également dans les modes de travail au sein de la DSI et dans la collaboration avec les métiers avec l’adoption des rituels Agile devenant une norme.
En termes de mise en place d’un socle SI solide doté d’une architecture moderne (core banking permettant la mise en place d’une logique de plateforme et des connecteurs en mode service (API)), plus de 60% des répondants affirment être avancés, voire leaders sur ce volet.
Les banques interrogées affirment également disposer d’une plateforme digitale permettant l’entrée en relation à distance et la souscription de produits financiers.
Le point de progression reste néanmoins la mise en place d’un CRM. En effet, seulement 40% des répondants affirment disposer d’un CRM moderne avec une vraie Customer Engagement Platform flexible et automatisée pour une optimisation du contact client orientée résultats.
Un autre point de progression reste tout de même la digitalisation des points de vente, vitrine de transformation de la banque. Environ 50% des banques interrogées disposent d’équipements digitaux modernes en agence facilitant le self care et améliorant le parcours client.
De plus, seule la moitié des répondants juge être avancée ou leader quant à la mise en place d’un poste de travail agent optimisé et permettant une navigation fluide entre les applications métier pour une meilleure efficacité commerciale/opérationnelle. Ces mêmes répondants jugent leur établissement avancé ou leader quant à la mise à disposition de leur réseau d’outils digitaux facilitant la mobilité à l’intérieur et à l’extérieur de l’agence.
Les banques marocaines font aujourd’hui face à 2 chantiers majeurs : (1) choisir les combats technologiques d’avenir (2) tout en adressant le SI legacy et la dette technique.
Nous pensons que les banques marocaines doivent faire évoluer l’architecture et les plateformes pour une meilleure productivité et un meilleur accès au SI. Elles doivent également faire évoluer la gouvernance avec les métiers et les modèles d’allocation des ressources et accélérer l’adoption des nouvelles technologies en mode expérimental (IA, Blockchain, RPA, etc.), cela en partenariat avec des acteurs bien sélectionnés de leur écosystème.
Prise de conscience générale : la banque de demain est une banque « data driven »
Les banques ont l’avantage de disposer d’importants gisements de données clients. Sur le volet maturité des dispositifs data au Maroc, très peu d’acteurs interrogés ont un niveau de leader. Les marges de progression restent importantes, que ce soit au niveau de la gouvernance ou en termes d’outils technologiques, classiques ou avancés (IA et Analytics par exemple).
Les banques, du fait de leur réseau étendu et de leur large base de clientèle, ont l’avantage de disposer de gisements de données clients très importants. Ces données vont de la signalétique clients à l’usage des canaux et opérations bancaires, en passant par les données d’équipement en produits et services financiers, avec un historique s’étalant sur plusieurs années. L’explosion des canaux digitaux ces dernières années a démultiplié le volume de données dont disposent aujourd’hui les banques.
Ces données doivent être recensées, analysées, mises en qualité et exploitées pour mieux connaître les clients, leur réserver un traitement différencié et leur pousser des offres adaptées.
Sur le volet maturité des dispositifs data au Maroc, très peu d’acteurs interrogés ont un niveau leader. Plus de la moitié des répondants est à un stade avancé de gouvernance, d’analyse et de valorisation du patrimoine de données clients.
Quant à la mise en place de Data Office, moins de la moitié des banques sont à un stade avancé ou leader. Pour le reste, il est soit inexistant soit en projet.
Sur le volet outillage et datamart, les banques s’estiment avancées, mais aucune ne se défini comme leader en la matière. Cela rejoint la réflexion précédente autour du SI et des nouvelles technologies présentant aujourd’hui un vrai défi pour les banques marocaines.
En termes de disponibilité et de protection de la donnée, nous savons que la majorité des acteurs financiers marocains prend cette question très au sérieux, surtout depuis l’entrée en vigueur de la réglementation concernant la protection des données personnelles et la création du CNDP (Commission Nationale de Contrôle de la Protection des Données à Caractère Personnel).
Néanmoins, moins de 20% des répondants s’estiment leaders sur ce volet et 40% se disent avancés.
Plus de 40% estiment tout de même avoir de réelles marges de progression en termes de protection des données clients.
La valorisation de la donnée est la clé d’une relation solide et durable en allant au-devant du client, en anticipant ses besoins, en personnalisant le conseil et en améliorant son expérience.
Les 3 leviers de transformation data que nous voyons sont la gestion des données, « contenu », la mise en place de nouveaux systèmes data, « contenant » et la gouvernance des données pour garantir la cohérence d’ensemble.
Le capital humain, moteur de la transformation, est un vrai défi pour toutes les banques
Le digital nécessite une nouvelle organisation du travail : au-delà de la technologie, il s’agit de transformer les esprits.
Le volet humain reste aujourd’hui un vrai défi pour les banques marocaines. Dans le cadre de l’étude que nous avons mené, très peu se considèrent comme leader sur l’embarquement des collaborateurs dans la transformation, le développement et la rétention des compétences digitales ainsi que dans la mise à disposition d’outillage adéquat et intégré des processus métiers afin de focaliser les collaborateurs sur la valeur ajoutée.
L’équilibre entre expérience client et expérience collaborateur est clé pour créer de la valeur. Un service de qualité pour les clients présuppose un service de qualité pour les collaborateurs. Beaucoup se voient dire que leur métier change, leur rôle face au client change, sans qu’on les accompagne dans la maîtrise de ces rôles nouveaux et non pas seulement dans l’utilisation des outils.
Il ne faut pas oublier que toute promesse faite au client est délivrée par les collaborateurs. Nombreux sont les programmes de transformation ne prévoyant pas de réel accompagnement au changement pour les collaborateurs. Or, s’ils ne comprennent la transformation, ils ne seront pas capables d’en incarner la promesse face au client.
Le digital nécessite une nouvelle organisation du travail : au-delà de la technologie, il s’agit de transformer les esprits. De ce point de vue-là, il existe aujourd’hui 2 enjeux pour les banques : d’une part, mobiliser les salariés dans la transformation de l’organisation, les fédérer autour d’un objectif commun et les faire monter en compétences sur le digital et, d’autre part, favoriser la collaboration et le partage des bonnes pratiques pour faire monter en compétences les collaborateurs par l’usage et l’expérimentation.
Le volet humain reste aujourd’hui un vrai défi pour les banques marocaines. Dans le cadre cette étude, nous avons identifié de nombreux acteurs étant à un stade avancé sur les différents axes. Cependant, très peu se considèrent comme leaders sur l’embarquement des collaborateurs dans la transformation et le développement des compétences digitales mais aussi l’outillage adéquat et intégré des processus métier afin de focaliser les collaborateurs sur la valeur ajoutée.
Par Jean-Michel Huet, associé Afrique de BearingPoint et Badr Bougrine, senior manager de BearingPoint Maroc