La scène tech africaine attire les convoitises des acteurs privés et publics mondiaux. Dans les deux rives de la Méditerranée, les acteurs de l’écosystème des startups s’activent pour contribuer à leur rayonnement. Parmi eux, le réseau ANIMA dont la réputation ne cesse de s’accroître auprès des acteurs du développement économique et de l’innovation dans une vingtaine de pays. L’objectif : contribuer à la transformation des industries en Afrique du Nord par les start-ups et l’innovation technologique.
La première question qui agite les débats sur l’entrepreneuriat et l’innovation en Afrique du Nord comme partout ailleurs sur le continent est celle de l’accès au financement. Mais un second sujet monte en puissance : le transfert technologique, ou comment connecter le monde de l’entreprise et celui de la recherche. « En Afrique du Nord, les laboratoires et instituts de recherche sont très nombreux, avec des chercheurs d’un niveau international dans plusieurs domaines scientifiques. Mais les entreprises qui ont des besoins R&D ne collaborent pas avec eux, faute de les connaître, ou de trouver un dispositif adéquat », analyse Zoé Luçon, coordinatrice du volet Tech Transfer de l’initiative THE NEXT SOCIETY, lancée par le réseau international ANIMA Investment Network en 2017.
Cette structure, située à Marseille, a conçu avec ses partenaires un parcours d’accélération spécialement dédié aux projets entrepreneuriaux fondés sur de la recherche scientifique. « Nous avons initié THE NEXT SOCIETY, une communauté regroupant des acteurs privés et publics engagés dans l’innovation et le développement économique dans les pays de la région MENA », détaille Zoé Luçon. « Ce mouvement, mis en œuvre avec 30 autres partenaires et grâce au soutien financier de l’Union européenne à hauteur de 7,8 millions d’euros, a notamment permis de mettre en place le programme Tech Booster ». Puis elle poursuit : «Notre objectif est de venir en aide aux start-ups qui utilisent des technologies développées localement et qui répondent à des enjeux de terrain. Ces chercheurs-entrepreneurs ont besoin d’un appui sur mesure pour se former aux aspects business qui leur sont très peu familiers », conclue-t-elle.
Cap sur les innovations technologiques
Le programme Tech Booster a été testé au Liban en 2018 pui en Tunisie en avril 2019. Les chercheurs désireux de créer une start-up à partir d’un projet technologique innovant travaillent avec des experts en entrepreneuriat et transfert technologique et des coachs investisseurs, business angels et industriels pour affiner leur plan d’affaires, leur pitch et leur stratégie de propriété intellectuelle. Le Tech Booster comporte 3 étapes : un bootcamp, puis un programme d’accélération de plusieurs semaines, et enfin une session de pitch suivie de rencontres BtoB avec des industriels et des investisseurs potentiels. Les prochaines actions sont programmées en septembre au Liban et en Egypte, puis d’ici la fin de l’année au Maroc et en Palestine.
Les premiers lauréats du Tech Booster participeront en décembre 2019 à Emerging Valley, un événement créé par Samir Abdelkrim, qui vise à connecter les scènes tech africaine et européenne au cours de deux jours de rencontres sur le territoire d’Aix-Marseille (France). Les startups du Tech Booster auront l’opportunité de collaborer avec des industriels et collectivités lors d’un atelier coorganisé par ANIMA et thecamp sur le thème de la construction de la ville de demain.
«Grâce à nos partenaires, nous accélérerons le développement de ces start-ups technologiques. Les premiers retours d’expérience sont extrêmement positifs. Les experts qui animent les bootcamps décrivent des porteurs de projet qui arrivent avec des compétences entrepreneuriales faibles mais dont les capacités à comprendre et apprendre sont impressionnantes », indique-t-elle avant de poursuivre : «Les investisseurs, business angels et industriels mobilisés pour les sessions de coaching et de mentoring et les rencontres BtoB découvrent des idées de projet excellentes et estiment qu’il y a un vrai potentiel pour étoffer le portefeuille de projets ‘investissables’ en Afrique du Nord» souligne Zoé Luçon.
Godefroy Flament Morgand, Business Development Manager pour le groupe Thales Group en Côte d’Ivoire, tire ainsi un bilan très positif de sa participation au bootcamp qui a permis d’accompagner une quarantaine de projets dont 12 menés par des chercheuses-entrepreneuses en avril 2019 à Tunis : «J’ai été impressionné par la qualité des start-ups et des petites entreprises tech. En dépit de la crise économique, la scène start-up tunisienne est pleine de potentiel et déjà bien développée. Arrivant de Côte d’Ivoire, j’ai eu l’impression de parler à des gens talentueux, n’ayant pas conscience de leur propre potentiel. Le chemin est difficile, mais les ingrédients de la réussite réunis», explique-t-il.
Une ambition beaucoup plus large
Si le réseau ANIMA Investment Network mise sur le potentiel des porteurs de projets scientifiques d’Afrique du Nord, il cherche également à avoir un impact sur le cadre de l’innovation, tout particulièrement en matière de transfert technologique. « Ces success-stories seront le meilleur plaidoyer pour convaincre les acteurs de se mettre autour de la table et de réfléchir à des mesures destinées à faciliter la collaboration entre recherche et industrie », détaille Zoé Luçon. Selon la coordinatrice du programme, c’est aussi le cadre fiscale, juridique ainsi que la formation qui doit également être améliorer pour solidifier encore davantage l’écosystème. «Cela passe par l’adoption de mesures réglementaires et fiscales pour donner aux laboratoires et aux universités les moyens d’entreprendre et proposer aux entreprises les dispositifs de collaboration qui leur font défaut », Puis elle avance : « Il faut aussi former et sensibiliser à tous les niveaux pour que chacun puisse connaître et exploiter au mieux le potentiel de collaboration entre recherche académique et monde de l‘entreprise », explique Zoé Luçon.
A travers l’initiative THE NEXT SOCIETY qui inclut le programme Tech Booster, l’ambition d’ANIMA est de changer le regard porté sur la Méditerranée. Face aux défis immenses de la région, les écosystèmes tech d’Afrique du Nord apportent des solutions concrètes et sont capables d’inventer des technologies plus inclusives pour répondre aux besoins des industries locales. Le moment est propice. Alors que l’urgence de la transition écologique impose de repenser radicalement nos modes de production et de consommation, les acteurs se mobilisent pour lever les obstacles à l’innovation. « La dynamique collaborative entre acteurs privés et publics qui a permis l’adoption du Tunisia Startup Act constitue un exemple. Le Maroc s’engage à son tour sur cette voie avec la création du Moroccan Start-up Ecosystem Catalysts (MSEC). Nous encourageons et soutenons de telles actions à travers le volet de plaidoyer de THE NEXT SOCIETY », énumère Zoé Luçon. Les institutions internationales cherchent aussi à appuyer cette dynamique et consacrent des budgets conséquents au soutien à l’entrepreneuriat et à l’innovation.
Les multinationales prennent quant à elles conscience que le succès des innovations technologiques nées dans les filiales « pays émergents » dépend avant tout d’un « état d’esprit de l’entreprise, qui doit se placer au plus près des besoins des consommateurs et des réalités et contraintes du contexte local », pour reprendre les mots de Bénédicte Faivre-Tavignot, cofondatrice et directrice de la Chaire « Social business » d’HEC, qui intervenait lors d’un atelier organisé par ANIMA. Ces stratégies de ‘reverse innovation’ s’imposent à elles non seulement pour s’implanter avec succès dans les pays émergents, mais probablement aussi pour « conserver leurs parts de marchés dans les pays développés face à la concurrence croissante des ‘géants émergents’, à l’érosion du pouvoir d’achat et à l’appétence des consommateurs pour des offres moins sophistiquées», explique-t-elle. Puis elle ajoute : «Les grands groupes industriels qui opèrent ou s’implantent en Afrique du Nord ont conscience de la nécessité de collaborer avec les entrepreneurs et innovateurs locaux pour comprendre les besoins des populations. Ils sont de plus en plus nombreux à interagir avec les écosystèmes locaux en créant des structures dédiées ou en s’appuyant sur des dispositifs existants », ajoute Zoé Luçon.
Mais selon ANIMA, la mobilisation des acteurs privés comme publics doit se poursuivre avec une ambition accrue. La présence de la scène start-up nord-africaine à travers les média et dans les stratégies des institutions internationales ne doit pas occulter les nombreux obstacles qui perdurent sur le terrain, et qui relèvent de politiques publiques en matière d’éducation, d’infrastructures ou tout simplement de liberté de circulation pour permettre la mobilité des innovateurs entre Europe et Méditerranée.
Rudy Casbi