L’évolution de la coopération internationale : un moment charnière

Face à la réduction drastique des budgets d’aide au développement et à la montée des mouvements populistes remettant en question son bien-fondé, la coopération internationale traverse une période charnière. Jean Van Wetter, directeur général d’Enabel, l’Agence belge de développement, revient sur ces défis et expose la stratégie de l’agence pour y faire face : diversification des financements, renforcement des partenariats avec le secteur privé et nécessité de mieux communiquer sur l’impact concret des actions menées. Entre résistance et réinvention, il dessine les contours d’une coopération plus agile, plus inclusive et mieux ancrée dans les réalités du terrain.

Cio Mag : Quels sont les changements majeurs et les défis actuels de la coopération internationale ?

Jean Van Wetter : Nous traversons un moment clé. La coopération internationale est confrontée à une réduction drastique des budgets alloués par les pays donateurs. Les États-Unis ont réduit leur aide de 90 %, la Belgique de 25 %, le Royaume-Uni de 40 % et la France de 32 %. L’Allemagne devrait suivre cette tendance. Cette contraction budgétaire alimente une crise de confiance et remet en question le bien-fondé de la coopération au développement.

Enabel : une stratégie proactive face aux défis

Jean Van Wetter : Nous avons anticipé cette évolution il y a plusieurs années en lançant la stratégie « Act for Impact ». Son objectif est de diversifier nos sources de financement et nos partenaires, ce que j’appelle « résister et se réinventer »R&R.

  • Résister, c’est défendre sans relâche l’importance de la coopération internationale, qui est essentielle au dialogue, à la stabilité et à la paix.
  • Se réinventer, c’est repenser nos approches pour répondre aux défis actuels, en renforçant les synergies entre les acteurs du développement et en optimisant nos modes de collaboration.

Nous avons ainsi renforcé nos collaborations avec le secteur privé, en nouant des partenariats stratégiques avec des entreprises comme Rio Tinto, Colruyt et Puratos. Ce virage répond à un constat clair : le modèle classique de la coopération doit évoluer pour rester efficace.

Cio Mag : Comment ces partenariats avec le secteur privé se traduisent-ils concrètement ?

Jean Van Wetter : Un bon exemple est notre collaboration avec Colruyt pour un approvisionnement durable en matières premières agricoles en Afrique. L’objectif est d’améliorer les pratiques agricoles des petits producteurs et de leur garantir un revenu stable.

Mais ces partenariats ne se font pas à l’aveugle : nous réalisons des études approfondies des pratiques des entreprises, et nous mettons en place des mécanismes rigoureux de suivi et d’évaluation pour nous assurer que l’impact est positif pour les populations locales.

Cio Mag : La réduction des budgets d’aide au développement remet-elle en cause l’objectif de 0,7 % du PIB recommandé par l’OCDE ?

Jean Van Wetter : Effectivement. L’objectif fixé par l’OCDE est que chaque pays donateur consacre 0,7 % de son PIB à l’aide au développement. Mais dans la réalité, peu de pays respectent cette norme.

Prenons la Belgique : autrefois proche de cet objectif, elle s’en éloigne aujourd’hui. Seule la Suède maintient un niveau d’aide dépassant 1 % de son PIB. Il y a dix ans, le 0,7 % était un benchmark ; aujourd’hui, il est devenu une ambition difficile à atteindre.

Cio Mag : Face à cette baisse des financements publics, vous misez donc sur d’autres leviers, notamment le secteur privé ?

Jean Van Wetter : Absolument. Collaborer avec le secteur privé n’est pas nouveau, mais nous voulons aller plus loin. Par le passé, ces collaborations étaient ponctuelles. Désormais, nous cherchons à établir des partenariats stratégiques à long terme avec des entreprises partageant nos valeurs et prêtes à s’engager dans des actions concrètes en faveur du développement durable.

La nécessité de résister et de se réinventer

Cio Mag : Comment vous assurez-vous que ces partenariats ne se limitent pas à des opérations de communication ou de greenwashing ?

Jean Van Wetter : C’est une question essentielle. Nous appliquons plusieurs garde-fous :

  1. Une analyse approfondie des pratiques des entreprises avant tout partenariat, notamment en matière de responsabilité sociale et environnementale.
  2. Une vérification de l’alignement des projets avec les priorités de développement des pays concernés et les besoins réels des populations locales.
  3. Un suivi rigoureux, avec des mécanismes d’évaluation réguliers pour mesurer les impacts et éviter toute dérive.
  4. Une transparence totale, avec des publications régulières sur nos partenariats et leurs résultats.

Cio Mag : Quels sont les leviers pour renforcer le soutien du grand public à la coopération internationale ?

Jean Van Wetter : Il est crucial de mieux communiquer sur les résultats concrets de la coopération. Trop souvent, nous nous concentrons sur les budgets et les chiffres, alors que ce qui convainc, ce sont les histoires humaines : des enfants scolarisés, des agriculteurs qui augmentent leurs revenus, des infrastructures qui transforment des communautés.

Nous devons aussi rappeler que la coopération bénéficie à tous. Elle ne se limite pas à aider les pays en développement : elle stimule l’innovation, crée des emplois, et renforce la stabilité mondiale. Enfin, nous devons impliquer davantage les citoyens, en leur offrant des moyens concrets d’agir : volontariat, soutien à des projets, engagement associatif.

L’avenir de la coopération internationale

Cio Mag : Selon vous, comment la coopération doit-elle évoluer pour rester pertinente ?

Jean Van Wetter : Je suis convaincu que la coopération internationale reste indispensable pour relever les défis mondiaux. Mais elle doit se réinventer.

L’avenir, c’est une coopération plus horizontale, où les pays partenaires ne sont pas de simples bénéficiaires mais des acteurs à part entière du développement. Il faut des modèles plus agiles, connectés aux réalités du terrain et fondés sur des partenariats équilibrés.

C’est ainsi que nous pourrons faire face aux défis de demain et garantir un impact durable.

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