Quand Cloudflare tombe, le web vacille : comprendre l’incident qui a figé Internet mondial

Image par Gerd Altmann de Pixabay.

Une panne majeure chez le géant de l’infrastructure Cloudflare a récemment mis à l’arrêt près d’un quart du web mondial, touchant aussi bien X que ChatGPT, sans oublier des services publics critiques. Cet incident, loin d’être anodin, a révélé à la fois la centralité et la vulnérabilité systémique d’un acteur devenu le pivot silencieux de l’internet moderne. L’analyse des causes et des conséquences souligne l’urgence d’une stratégie de résilience numérique pour les entreprises et les États. Voici le décryptage.

(CIO Mag) – Pour comprendre l’impact d’une telle panne, il faut d’abord mesurer le rôle colossal que joue Cloudflare dans l’architecture du web. Nadim Elsakaan, enseignant-chercheur en sécurité des infrastructures et Cloud à l’Efrei, fournit des statistiques éclairantes : «Cloudflare compte aujourd’hui plus de 330 datacenters répartis dans plus de 120 pays. À lui seul, il accélère et protège plusieurs millions de sites web à travers le monde, dont près de 25% du trafic Internet mondial transite par ses infrastructures.»

Nadim Elsakaan

Selon lui, chaque seconde, le réseau traite plus de 80 millions de requêtes HTTP, agissant ainsi comme un intermédiaire incontournable. Sa solidité financière reflète son importance : «En 2025, Cloudflare a réalisé un chiffre d’affaires d’environ 2,1 milliards de dollars, soit une moyenne de 333 000 dollars par heure ; un indicateur frappant de sa position stratégique et de l’impact financier direct d’une interruption de ses services, même de courte durée.»

Envergure stratégique dans l’architecture du web mondial

Dans l’écosystème de l’internet mondial, Cloudflare n’est pas qu’un simple hébergeur : il est le gardien et l’accélérateur d’une vaste partie du réseau, offrant une multitude de services critiques. Nadim Elsakaan cite notamment le CDN (Content Delivery Network), qui rapproche les contenus des utilisateurs pour optimiser la latence ; les services DNS, dont le populaire DNS public 1.1.1.1, essentiel à la résolution des noms de domaine ; ainsi que des services de protection anti-DDoS et de pare-feu applicatif (WAF) pour bloquer les cyberattaques. Par ailleurs, au niveau Cloud et réseau avancé, des solutions Zero Trust et Bot Management complètent l’offre.

Pour l’enseignant-chercheur de l’Efrei, cette intégration profonde de services critiques, souvent agissant comme un «reverse proxy» (passerelle) entre l’internaute et le serveur final, explique pourquoi une défaillance chez Cloudflare se traduit par une indisponibilité pour ses millions de clients, indépendamment de l’état de leurs propres serveurs.

Raisons techniques de l’interruption des services chez Cloudflare

La panne du 18 novembre 2025, qui a duré entre trois et quatre heures, n’était pas due à une attaque extérieure, mais à une erreur humaine interne. «L’origine technique est une erreur interne : un changement de permissions sur une base de données Cloudflare a généré un fichier de configuration (« fichier de fonctionnalités ») pour son système de gestion des bots, qui a doublé de taille par rapport à la limite définie dans le logiciel», explique Nadim Elsakaan.

Il ajoute que ce fichier surdimensionné, distribué automatiquement à l’ensemble des plus de 330 datacenters du réseau, a provoqué un crash du logiciel de Bot Management. Le blocage de ce système critique a ainsi stoppé le traitement des requêtes HTTP, entraînant des erreurs 500 massives sur des millions de sites à travers le monde.

L’effet domino : du bug au chaos global

Selon l’analyste, l’erreur technique interne a déclenché un véritable effet domino à l’échelle mondiale : le système de Bot Management est en effet au cœur du dispositif de Cloudflare, filtrant le trafic pour distinguer les utilisateurs légitimes des menaces.

«Comme Cloudflare est intégré en mode “reverse proxy” pour des millions de services, une panne locale chez Cloudflare se traduit par une interruption globale pour tous leurs clients», décrypte l’enseignant-chercheur de l’Efrei.

Parmi les victimes de cet effet de cascade figurent des plateformes d’IA comme ChatGPT et Claude, les géants des réseaux sociaux (X), de nombreux médias et sites e-commerce, mais aussi, de manière plus préoccupante, des services publics et industriels (comme la billetterie ferroviaire de la SNCF, mentionnée par la presse). Ainsi, cet événement a mis en lumière la vulnérabilité systémique liée à la concentration des infrastructures clés entre les mains d’un nombre très limité d’acteurs.

Pertes économiques et érosion de la confiance

Poursuivant son analyse, Nadim Elsakaan souligne que les conséquences de la panne se mesurent autant en pertes économiques qu’en érosion de la confiance. Sur le plan financier, l’interruption a causé « des pertes financières importantes : des dizaines de millions d’euros globalement, générés par les clients, et 333 000 $/heure pour Cloudflare », précise-t-il.

Au-delà des chiffres, la panne a révélé une vulnérabilité critique pour les entreprises et les services publics. Pour ces derniers, prévient l’enseignant-chercheur en sécurité informatique, l’incident est un signal d’alarme : «Les services publics et industriels ont vu leur fonctionnement impacté, ce qui montre la nécessité d’architectures redondantes, de multi-CDN et de stratégies de diversification pour réduire les risques», insiste-t-il.

Pour les utilisateurs, les coupures et interruptions d’accès à des services désormais essentiels (notamment l’écosystème de l’IA générative) soulignent une dépendance numérique toujours plus forte.

Leçons de rapidité et de transparence

Face à la crise, la rapidité et la transparence de Cloudflare ont constitué des éléments clés de la gestion de l’incident. Nadim Elsakaan révèle qu’après un diagnostic complexe (avec un premier faux diagnostic de DDoS), l’entreprise a déclenché la restauration des paramètres de la base de données et la suppression du fichier incriminé.

La reprise, progressive, a pris plusieurs heures en raison de l’ampleur mondiale de la panne. Cette situation constitue une occasion pour souligner l’engagement post-incident : «La réponse a été accompagnée de communiqués continus, avec une transparence sur l’origine et les moyens mis en œuvre pour sécuriser l’avenir (validation renforcée des configurations, segmentation du réseau, mécanismes automatiques de rollback).»

Pour notre informaticien, si la panne Cloudflare fut un événement rare, elle doit servir de catalyseur pour repenser la résilience. La dépendance à des acteurs hyper-centralisés est une réalité du web moderne, nécessitant de la part des responsables IT l’adoption urgente de plans de continuité (PCA) et de reprise d’activité (PRA) robustes, basés sur la diversification et la redondance des infrastructures critiques, conclut-il.

Anselme AKEKO

Responsable éditorial Cio Mag
Correspondant en Côte d'Ivoire
Journaliste économie numérique
2e Prix du Meilleur Journaliste Fintech
Afrique francophone 2022
AMA Academy Awards.
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