
L’accès à Internet est perturbé au Togo depuis plusieurs jours. Cette perturbation intervient dans un contexte de manifestations sociopolitiques contre le pouvoir. Les réseaux sociaux sont particulièrement visés. Exaspérés, les consommateurs dénoncent une atteinte à leur liberté de communiquer. Cette actualité togolaise relance le débat sur une pratique courante en Afrique et qui porte atteinte aux droits humains.
(Cio mag) – La ligue des consommateurs du Togo (LCT) a dénoncé mercredi « une atteinte à la liberté d’expression, un droit fondamental protégé par de nombreuses conventions internationales. » Peu avant les manifestations des 26, 27 et 28 juin contre le pouvoir de Lomé (Togo), des internautes ont noté une vitesse anormale du débit de leurs offres internet. Ce ralentissement s’est accentué durant les manifestations, avec l’accès interrompu ou restreint à certains réseaux sociaux comme TikTok, Facebook et à des plateformes comme Youtube.
Les contestations politiques qui se sont déroulées à Lomé ont connu leur mobilisation sur les réseaux sociaux. Pour la Ligue des consommateurs du Togo qui accuse le gouvernement de restreindre la connectivité, « le gouvernement empêche les consommateurs d’obtenir des informations pertinentes sur les services, les offres spéciales, et les alertes sur des pratiques douteuses. »
« Les réseaux sociaux servent de plateforme pour l’engagement civique et la participation citoyenne. En restreignant leur accès, le gouvernement empêche les consommateurs de s’organiser et de faire entendre leur voix », ajoute la Ligue.
Au-delà d’une atteinte à la liberté de communication et d’expression, les consommateurs dénoncent une atteinte à leur droit économique. Au Togo, Internet est au cœur de la majorité des activités économiques et commerciales. « Les réseaux sociaux sont devenus des outils indispensables pour une part significative de l’activité économique, notamment pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME), les artisans, les commerçants et les prestataires de services », rappelle l’association des consommateurs dirigée par Dr Emmanuel Sogadji. Elle poursuit en expliquant : « en dépendant des réseaux sociaux pour leur marketing, la communication client, la gestion des commandes et les ventes, ces acteurs ont vu leurs activités brutalement interrompues, entraînant des pertes de revenus considérables et paralysant le tissu économique local. De même, les professionnels du web, les créateurs de contenu et les travailleurs indépendants ont vu leurs opportunités professionnelles et leurs sources de revenus gravement affectées, exacerbant leur précarité. »
Des pratiques courantes en Afrique…
La Déclaration des Principes sur la Liberté d’Expression et l’Accès à l’Information en Afrique a été adoptée par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Déclaration de l’UA) en 2002 et mise à jour en 2019 pour inclure les droits numériques. Elle stipule que « l’accès universel, équitable, abordable et significatif à l’internet est nécessaire à la réalisation de la liberté d’expression, de l’accès à l’information et de l’exercice d’autres droits de l’homme ». Cette déclaration recommande que les Etats « ne doivent pas interférer avec le droit des individus de rechercher, de recevoir et de communiquer des informations … par la suppression, le blocage ou le filtrage de contenus (Internet).»
Dans l’une de ses séries de publications intitulées “Les droits digitaux sont des droits humains, une introduction sur les circonstances et les défis en Afrique“, Hendrik Bussiek analysait, en avril 2022, l’interférence des gouvernants sur l’accès à Internet. Selon lui, « les gouvernements autoritaires d’un certain nombre de pays africains ont bloqué ou filtré l’accès des citoyens à Internet pendant diverses périodes et pour des raisons très similaires, généralement la protection de la “sécurité nationale”, soi-disant : leur propre séjour sécurisé au pouvoir – en tant que seuls garants de la “sécurité nationale”, bien sûr.» Il poursuit en ajoutant que « l’interprétation erronée trop courante de la sécurité nationale comme étant synonyme de sécurité de l’État ou de sécurité du régime pose des problèmes pour la pratique sans entrave de la liberté d’expression en ligne et hors ligne. Cependant, cela semble particulièrement utile comme excuse pour couper toute une gamme de canaux d’information et de communication d’un seul coup, rapidement et efficacement.»
Hendrik Bussiek, expert en gouvernance numérique et spécialiste des médias, rappelle notamment des cas comme en Tanzanie en 2020 lors des élections, en Ouganda en 2021 lors des élections, entre 2021 et 2022 au Nigéria avec la suspension de Twitter (aujourd’hui X). Similitudes entre ces différents cas : des décisions prises par les gouvernements « sans aucune décision de justice. » La liste des pays qui coupent internet sur le continent pour des raisons sociopolitiques est longue. De quoi amener l’expert à conclure que « les gouvernements (pas seulement) en Afrique bloquent ou restreignent l’accès à Internet pendant les élections, les manifestations, avant les manifestations prévues, dans le cas de coups d’État militaires – chaque fois que les choses deviennent difficiles et qu’ils cherchent à réprimer la critique et l’opposition. En règle générale, moins un gouvernement est démocratique, plus il est susceptible d’ordonner une perturbation d’Internet. »
La décision de couper internet est généralement prise de manière unilatérale par les gouvernants. Ces derniers ne laissent souvent aucun choix aux opérateurs. « Techniquement, c’est relativement facile à faire pour les gouvernements : non pas en appuyant sur leur propre bouton “stop”, mais en ordonnant aux Fournisseurs de Services Internet (FSI) de suspendre la connectivité Internet dans son ensemble ou de bloquer certains sites Web ou applications. Les FSI sont des entreprises dépendantes des licences gouvernementales et se conformeront généralement à ces ordres par crainte de représailles ou de poursuites judiciaires. En 2019, par exemple, le gouvernement zimbabwéen a ordonné à la plus grande entreprise de télécommunications du pays de fermer tous les services Internet », analyse Hendrik Bussiek dans sa publication éditée par Friedrich-Ebert-Stiftung fesmedia Africa.
Pour dissuader, le spécialiste des médias et de la gouvernance numérique encourage les actions en justice. Il s’agit, selon lui, d’attaquer ces décisions unilatérales des décideurs devant des tribunaux et d’en publier les décisions. Aussi recommande-t-il, pour relever les défis d’un accès à Internet sans entrave, que « ces questions soient largement et publiquement débattues par la société civile, la communauté des utilisateurs, les experts juridiques et numériques et les gouvernements pour trouver des solutions qui seront soutenues par tous.»
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