Thierry Barbaut s’est concentré depuis 1998 sur l’impact des nouvelles technologies dans le développement de l’Afrique. Au travers de différents postes et missions au sein d’ONG ou de structures privées, il est persuadé que l’Afrique est désormais le continent de l’innovation mondiale.
CIO Mag : Avez-vous un exemple concret de dynamisme économique et numérique en Afrique ?
Thierry Barbaut : Je pense immédiatement au Rwanda qui m’impressionne avec la spécificité de mettre en avant une synergie entre développement et nouvelles technologies. Un impressionnant savoir-faire dans le secteur du numérique porté par la structure RwandaOnline. Je veux parler bien sûr du RDB pour le Rwanda Development Board avec la plateforme internet Irembo qui est un modèle de service public et de e-administration.
Cette plateforme multilingue est non seulement en ligne mais aussi annexée à différents buildings dans le pays où les démarches administratives, fiscales, foncières ou civiles sont effectuées en moins de 30 minutes. Dans la même logique, j’ai rencontré Arthur Draber, le représentant de Zipline, qui permet aux hôpitaux de livrer du sang en commandant par Whatsapp. J’ai été bluffé par les différentes innovations présentes dans le projet comme le scan du QR code du sang ou des plaquettes avec smartphones. Ajoutez à cela un réseau de transport public avec des bus modernes qui proposent la 4G et vous comprendrez qu’il devient plus que confortable de vivre au Rwanda, d’y développer des affaires, bref d’entreprendre.
CIO Mag : Les jeunes et l’emploi, c’est justement le défi que doit relever l’Afrique. Comment les aider à monter leurs projets ?
T. B. : Des centaines de milliards sont alloués au développement mais un fossé demeure entre les jeunes entrepreneurs et les grands bailleurs. Dès lors, il faut absolument inclure l’accompagnement, la formation et la technique au financement. La problématique pour les grands bailleurs vis-à-vis des entrepreneurs est de “filtrer” les projets viables. Un travail complexe quand il faut toucher des milliers de “petits” projets. La solution est donc d’avoir ces compétences et les ressources humaines qui vont avec. C’est exactement ce qui se passe avec les Hubs qui se développent en Afrique et d’ailleurs aussi en Europe pour et avec l’Afrique, comme Afrobytes (qui se transforme en “marketplace”), IHub au Kenya, Kinshasa Digital en RDC, Co-création Hub au Nigeria. C’est un incroyable vivier de talents.
Ces Hubs pourraient faire des appels à projets en lien avec les thématiques éligibles par les bailleurs, comme le font déjà certains bailleurs. Imaginons un programme de la Banque mondiale sur l’éducation et le numérique au Sénégal sur 15 millions d’euros en 5 ans. Et bien, le Hub peut définir avec les bailleurs des critères d’éligibilité, des budgets par exemple de 150 000 euros par localités et communiquer localement sur un appel à dossiers de 100 projets favorisant l’inclusion numérique dans l’éducation.
Le bailleur pourra bénéficier d’une sélection du Hub en amont des projets répartis sur le territoire et ainsi s’appuyer sur des experts locaux tout en soutenant financièrement la structuration du Hub. C’est un cercle vertueux de compétences, d’accompagnement, d’emploi, de formation adapté localement.
CIO Mag : Avec les concours qui existent déjà, ne serait-ce pas une multiplication d’actions et finalement un manque de cohérence ?
T. B. : Pour moi il y deux mondes qui n’opèrent pas de la même manière et surtout avec les mêmes objectifs, et c’est justement pour cela qu’il faut fédérer des plateformes collaboratives physiques et virtuelles : les Hubs ! Des concours existent par milliers mais ils se transforment plus ou moins en véritables appels à projets comme le Digital Africa de l’Agence française de développement. J’ai, d’ailleurs, proposé un cahier des charges pour labelliser le dispositif avec une plateforme collaborative. Finalement le Digital Africa sera doté de 65 millions d’euros par an.
Les concours proposent souvent de faibles financements comme 5 000 ou 15 000 euros et peu ou pas d’accompagnement. Ce qui fait qu’au bout de deux ans, les mêmes lauréats concourent à d’autres prix et finissent par étouffer par manque de moyens et bien sûr d’accompagnement technique. A l’opposé, des programmes comme l’Agence des Micro Projets axent véritablement le développement des projets pour les communautés avec l’accompagnement de l’entrepreneur en le formant gratuitement.
CIO Mag : Une agence en Hub entre bailleurs et porteurs de projets, qu’ils soient entrepreneurs ou en association ?
T. B. : Oui, les porteurs de projets sont souvent en France et gardent des attaches locales dans les pays d’Afrique avec des communautés telles que des coopératives, des associations, des groupements de paysans qui portent ces projets, tous sont éligibles. Les trois appels à projets de l’agence (portée par l’ONG La Guilde) fonctionnent avec une enveloppe globale de 750 000 euros annuellement. Des financements en forme de dons compris entre 11 000 et 25 000 euros en moyenne par projets, soit 80 projets montés par an.
Un programme qui opère depuis 35 ans et qui permet par exemple de déployer une connexion Internet installée sur une cyber pirogue solaire au Bénin et ainsi que les élèves, de la région lacustre de Ganvié, apprennent les rudiments du web. Un nouveau monde qui s’ouvre dans un système éducatif parfois trop éloigné du numérique. Le slogan “incubateurs d’initiatives solidaires” prend alors tout son sens ! La connexion entre les entrepreneurs solidaires et les bailleurs se fait par le biais d’un opérateur déployant une expertise en instruction de projets.
L’Agence se définit exactement dans ce rôle de “Hub” entre les porteurs de projets, les associations, les entrepreneurs locaux qui expriment les besoins en adéquation avec leurs environnements qu’ils maîtrisent parfaitement et les grands bailleurs qui ont besoin de ces acteurs, ces experts qui filtrent les projets viables et pérennes. Une efficience, à l’échelle de tous les acteurs, portée par le numérique.
CIO Mag : Des structures de ce type pourraient localement proposer d’autres services ?
T. B. : Bien sûr, le Hub en Afrique va probablement être plus que sa définition l’entend: une plateforme de correspondance, une zone d’interface privilégiée par sa position spatiale et ses infrastructures techniques et de communication. Il pourrait être étatique, privé ou issu d’organisations non gouvernementales. Le rôle des différents acteurs du Hub le rendra plus que jamais un concentrateur de projets.
Le numérique est donc plébiscité en levier des thématiques comme l’eau, la santé, l’éducation mais aussi en synergie avec des nouveaux moyens et usages.