« A peu près tous les DSI ont mauvaise réputation » : les explications d’un spécialiste

(CIO Mag) – Trente années dans l’informatique. Directeur de système d’information (DSI) pendant quinze ans. Comme manager de transition, Michel Raimondo a géré des départements informatiques dans des sociétés de toutes tailles. Souvent dans des situations difficiles. Une somme d’expérience qu’il traduit dans une nouvelle vision de la fonction DSI comme centre de profit axé sur la Direction, la Stratégie et l’Innovation. Pour tout dire, une DSI 4.0. CIO Mag lui a tendu son micro pour en savoir davantage.

Quel commentaire faites-vous de ceux qui annoncent la mort du DSI à l’ère du “Tout numérique” ?

On entend souvent parler de la disparition du DSI. Il y a dix ans, vingt ans, on l’annonçait déjà. Comment peut-on l’annoncer une fois de plus à l’heure du numérique ? Comment peut-on annoncer la mort du principal responsable de la ressource « données » qui va devenir la principale ressource d’une entreprise. Je continue à m’interroger.

Quelle position défendez-vous ?

Moi je défends la position complétement inverse. Le DSI devient de plus en plus un vrai métier, d’une importance stratégique dans l’entreprise. Aujourd’hui, on ne parle plus de compétition mais de “computition”. Certains disent même que les données  sont devenues le nouveau pétrole de l’entreprise. Sincèrement, il n’a jamais été aussi important et excitant d’être le DSI d’une entreprise tellement qu’il y a des choses à faire, tellement qu’il y a de perspectives à venir en termes d’intérêt dans le boulot mais aussi de projets de carrière. Ça n’a jamais été aussi vivant, aussi palpitant que d’être DSI aujourd’hui et fabriquer le DSI de demain.

A peu près tous les DSI ont mauvaise réputation dans leurs entreprises. Le système d’information a mauvaise réputation.

Quels sont les enjeux auxquels sont confrontés les DSI aujourd’hui ?

Je pense que les enjeux aujourd’hui pour les DSI sont les mêmes que ceux d’hier et que ceux de demain : être ou devenir un DSI orienté business. Tous les directeurs généraux ont dans leurs agendas la nécessité de s’occuper de leurs systèmes d’information mais ils ne savent pas trop comment faire. Et c’est là que le DSI orienté business prend toute sa dimension.

Concrètement, qu’est-ce que cela veut dire?

Le DSI part avec un désavantage énorme. A peu près tous les DSI ont mauvaise réputation dans leurs entreprises. Le système d’information a mauvaise réputation. C’est pourquoi il y a tellement de shadow IT. C’est pour cela que les directions opérationnelles fonctionnelles essaient de développer leurs propres équipes internes. Parce qu’elles ne sont pas contentes des services que la DSI centrale fournit. Voilà le vrai challenge du DSI aujourd’hui : redresser l’image. Premièrement, faire en sorte qu’on ne parle plus de l’informatique. Parce que ça marche. Deuxièmement, créer de la valeur. C’est ça l’idée de la DSI qui devient un centre de profit : ce que la fonction Système d’information apporte dans l’entreprise, ce n’est pas seulement une diminution des coûts, mais également une contribution à la création de valeur. Par exemple, rendre plus efficaces les processus de gestion de l’expérience client, etc.

On ne mesure pas de manière très concrète et palpable la contribution réelle qu’ils ont au succès de l’entreprise…

De quels outils disposent le DSI pour créer de la valeur pour son entreprise ?

C’est fondamental comme question. A mon avis, les outils sont très simples à citer mais un peu plus difficiles et complexes à mettre en œuvre. Pour avoir une bonne vision, il faut bien comprendre la stratégie de l’entreprise. Avant, on disait : l’entreprise a sa stratégie, l’informatique doit suivre. Aujourd’hui, la part des technologies de l’information est de plus en plus importante dans l’influence qu’elles ont sur la manière de définir la stratégie de l’entreprise. Dès lors, il est inconcevable que les DSI ne soient pas impliqués dans la définition de la stratégie de l’entreprise. Donc, il faut absolument réfléchir en termes de : je crée une vision, je définis un modèle économique basé sur telle technologie ; et ça, c’est ce qu’on appelle tout simplement un schéma directeur. Beaucoup réalisent ce genre d’outils mais de manière très incomplète. Deuxième élément : la gouvernance. Il faut mettre en place des systèmes de gouvernance qui assurent une gestion continue, pertinente des investissements informatiques. Une des raisons pour lesquelles les informaticiens ont mauvaise réputation dont je parlais à l’instant, c’est parce qu’à les regarder faire, on ne sait pas trop ce qu’ils font ; on ne mesure pas de manière très concrète et palpable la contribution réelle qu’ils ont au succès de l’entreprise…

… C’est presqu’un mal nécessaire ?

Bien souvent ! J’ai (le Directeur Général) besoin de l’informatique, je sais que si je débranche mon ordinateur, mon entreprise ne marche plus, mais ces types-là je ne sais pas ce qu’ils font ; ils dépensent de l’argent, de plus en plus même, mais je ne suis pas content du résultat. D’où l’importance d’une bonne gouvernance, qui consiste à partager les circuits de décision, définir qui fait quoi, définir la stratégie et mesurer l’impact de nos décisions et l’impact des projets. Voilà des outils palpables et concrets.

Si vous demandez de participer au comité de direction, vous avouez un échec.

Dans cette perspective, que doit faire le DSI pour gagner la confiance de sa hiérarchie ?

Gagner la confiance ! Si vous demandez de participer au comité de direction, vous avouez un échec. Parce que si vous n’y êtes pas encore, c’est que votre Directeur Général ne vous a pas demandé d’y être. Et donc, vous avouez un échec : celui de n’avoir pu convaincre votre Directeur Général d’avoir son DSI en comité de direction. Avoir un siège au comité de direction ne se demande pas. Ça s’obtient. C’est comme la confiance. Ça ne se réclame pas. Et établir la confiance requiert un travail de tous les instants. C’est quelque chose qui se fabrique à tous les moments de la journée ; dans toutes les attitudes qu’on peut avoir ; dans tous les actes qu’on pose comme DSI dans une entreprise ; dans toutes les conversations qu’on a avec les autres dirigeants ; dans tous les argumentaires qu’on utilise pour vendre des projets, des bases de données, des informations, des outils, des méthodes, etc.

C’est l’expérience qui est la vôtre ?

Des fois, quand on débarque quelque part, les gens se posent des questions : mais où veut-il aller ? Au bout d’un moment, ils se rendent compte que je tape toujours sur le même clou. Que je vais toujours dans la même direction. Et les gens se disent : il sait où il va. Et ça, ça crée un effet de motivation et d’entrainement, d’engagement qui donne des résultats extraordinaires. Parce que du coup, les gens s’approprient cette stratégie. La stratégie n’est pas un secret. Dans beaucoup d’entreprises, les conclusions d’un week-end de stratégie sont gardées secrètes entre un certain nombre de dirigeants. Mais comment est-ce qu’on veut que chaque employé puisse s’approprier cette stratégie et inventer sa manière d’y contribuer ? C’est pourquoi il faut absolument la partager, la faire comprendre pour créer ce sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, les employés sont formés, éduqués, motivés tous les matins. Le seul problème : ils sont démotivés quand ils entrent dans l’entreprise ; on les empêche trop souvent de s’épanouir ; et donc il faut cet environnement culturel qui fait que cette motivation ne soit pas détruite.

Les DSI se sont beaucoup occupés des autres mais ne se sont pas beaucoup occupés d’eux-mêmes

Vous annoncez la Direction du système d’information comme centre d’excellence. Que faut-il comprendre ? Est-ce l’avenir de la fonction ?

Ça devrait déjà être un centre d’excellence. La raison pour laquelle j’aime bien aborder les choses par la notion de centre d’excellence, c’est parce que trop de DSI aujourd’hui n’exécutent pas les choses de manière optimale, n’ont pas un modèle d’opération bien défini qui leur permette d’agir correctement sans se fourvoyer dans des voies sans issue. La notion de centre d’excellence, c’est définir clairement qui fait quoi, c’est la gestion des compétences, des méthodes, des processus internes. Au fond, si vous voulez bien réfléchir, les DSI se sont beaucoup occupés des autres mais ne se sont pas beaucoup occupés d’eux-mêmes. S’ils ont réussi parfois à améliorer les processus métier – production, logistique, RH, achats, etc.-, ils restent néanmoins le cordonnier le plus mal chaussé que je connaisse. Encore une fois, la cible, l’idéal final c’est la santé financière de l’entreprise mais les DSI doivent améliorer la qualité de leur fonctionnement interne.

C’est bien pour cela que vous insistez tant sur la notion de catalogue de services ? Que renferme cette notion ?

C’est montrer ce que vous êtes capable de faire, montrer combien ça coûte, montrer combien de temps ça va prendre. Parce que les directeurs généraux fonctionnent comme ça. Ils veulent savoir ce qu’ils achètent, de la même manière que vous quand vous entrez dans un magasin de téléphones portables. C’est exactement comme ça que vous fonctionnez ! Eh bien, que les DSI ne soient pas étonnés que leurs utilisateurs fonctionnent de la même manière ! Ils ne veulent rien d’autres, ils ne demandent pas à devenir des informaticiens, ils veulent simplement que vous fassiez votre boulot convenablement. Et pour ça, il faut mettre en place les structures, les compétences, les process, les outils d’efficacité. Et ça, c’est l’approche centre d’excellence.

Vous évoquez également la notion de DSI 4.0. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Et quelle différence faites-vous avec le DSI 3.0 ?

Le DSI 3.0, c’est celui qui va améliorer, transformer idéalement, faire entrer le digital dans l’entreprise. C’est celui qui va améliorer l’usage du digital dans la stratégie et les opérations, comme les objets connectés, l’impression 3D, l’intelligence artificielle, etc. Les modes de production de l’entreprise seront profondément transformés pour exploiter les qualités et les capacités de ces nouvelles technologies. Ça, pour moi c’est le DSI 3.0. Le DSI 4.0, c’est : Direction, Stratégie et Innovation. Comme le digital va être de plus en plus prégnant par la définition même de la stratégie d’entreprise, le DSI 4.0 sera l’acteur numéro un de la définition de cette stratégie parce qu’elle ne peut plus se faire en dehors des technologies de l’information. Voilà pourquoi le DSI 4.0 sera le DSI de la stratégie et de l’innovation. Et ce n’est qu’en possédant une excellente connaissance des technologies de l’information qu’on pourra innover. On ne va plus innover dans les techniques financières, dans les techniques d’achat ou dans les techniques de logistique, de manière isolée. On innovera dans tous ces domaines-là que grâce aux technologies de l’information. Donc, c’est le DSI qui va être non seulement au cœur mais le moteur de cette innovation.

Pour conclure, quelles sont les recommandations que vous donnerez au DSI pour demeurer dans ce cap?

Travailler, travailler, travailler. Parce que ce sera très dur mais, en même temps, incroyablement palpitant. L’innovation n’est plus dans un domaine. Elle est à l’intersection de plusieurs domaines qu’il faut connaître. Si vous ne connaissez pas les domaines qui peuvent interagir entre eux, si vous n’êtes pas capable de faire se rejoindre ces compétences à un endroit où tout d’un coup une lumière ou une idée innovante va surgir, eh bien vous resterez sur le bord de la route ! Il faut donc travailler pour acquérir des compétences dans des domaines qui ne sont pas les nôtres au départ. Il faudra faire des choix mais il faudra apprendre, beaucoup s’occuper du business et trouver le point d’intersection qui va permettre ces innovations.

Propos recueillis en Tunisie
Par Anselme AKEKO

Anselme AKEKO

Responsable éditorial Cio Mag Online
Correspondant en Côte d'Ivoire
Journaliste économie numérique
2e Prix du Meilleur Journaliste Fintech
Afrique francophone 2022
AMA Academy Awards.
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