Dr GHANIMI Rajae : « Nous devons instaurer la culture de l’efficacité dans le secteur de la santé en Afrique »

Au début de la pandémie de la covid-19, tous les projecteurs se tournaient vers l’Afrique, considérée comme le continent le plus menacé, qui présente les taux de mortalité les plus élevés au monde, où les décès par maladies infectieuses sont encore plus nombreux que ceux par maladies chroniques.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) avait affirmé, le 8 mai 2020, que la pandémie pourrait évoluer sur plusieurs années et que jusqu’à 190 000 Africains pourraient mourir de la Covid-19 durant la première année de sa propagation.

Pourtant, l’Afrique a toujours démontré une forte capacité de résilience face aux catastrophes épidémiologiques, grâce à deux solides remparts : la jeunesse de sa population (60 % de la population est âgée de moins de 24 ans et son expérience dans la lutte contre d’autres pandémies graves. Ces pandémies ont pour noms : VIH-Sida, Grippe aviaire, virus du Chikungunya dans l’océan Indien et l’Afrique de l’Est, fièvre jaune dans les régions tropicales d’Afrique, virus Zika, fièvre de Lassa et virus Ebola en Afrique de l’Ouest. A ces maux s’ajoutent des carences liées à la malnutrition, et d’autres maladies telles que : le paludisme et la tuberculose.

En revanche, même si l’Afrique n’a pas payé un lourd tribut sanitaire à la pandémie de la Covid-19, cela ne veut pas dire, pour autant, que ses systèmes de santé sont plus forts ou capables de faire face à cette réalité épidémique.

Des systèmes de santé « malades »

Inégalités criantes, vétusté des services, manque de personnel … Malgré les réformes en cours, la plupart des systèmes de santé africains souffrent encore d’importants déficits financiers, techniques et humains. Un rapport de l’OMS sur l’état de ce secteur sur le continent avait démontré que l’indice moyen de performance du système dans cette partie du monde s’élève à 0.49%, ce qui signifie que les systèmes sont à la moitié (49%) seulement de leurs niveaux de fonctionnalités possibles, ce qui explique que l’Afrique est encore loin des critères de performance dans « l’industrie de la vie ». Aussi, l’accès aux services essentiels est faible, seuls trois pays (Sao Tomé et Principe, Maurice et les Seychelles) ont un indice d’accès supérieur à 0,50.

En Afrique, la décorrélation entre population et offre de soins est toujours flagrante. Alors que l’Organisation mondiale de la santé préconise un ratio de 7 médecins et 30 lits d’hôpital pour 10 000 habitants, l’Afrique subsaharienne n’en compte qu’un et 10. Dans la même région, les dépenses de santé restent dix fois inférieures à la moyenne mondiale. L’espérance de vie est inférieure de 14 ans à la moyenne. Un Africain a deux fois plus de chance de mourir à la naissance qu’un autre habitant du monde.

Des budgets d’investissement faibles et mal orientés

Plusieurs pays de l’Afrique continuent à orienter 60 % (en moyenne) de leurs dépenses de santé dans des investissements tangibles (personnels de santé, infrastructures sanitaires et produits médicaux) au détriment des investissements intangibles, notamment, les médicaments et produits médicaux (39% des dépenses publiques). L’hôpital en Afrique dévoile le niveau de précarité, des patients mal soignés faute de médicaments, des soignants débordés et démotivés, un état délabré des infrastructures, et un « tourisme médical » (se faire soigner à l’étranger) en augmentation.

Selon une enquête de l’institut de sondage panafricain Afrobarometer réalisée avant la pandémie de la Covid-19, presque la moitié (49%) d’Africains indiquent qu’eux-mêmes ou un membre de leur famille ont dû vivre sans médicaments au moins une fois au cours de l’année précédant l’enquête.

Le constat n’est pas généralisable, il y cependant des « zones de lumières »: certains pays africains à l’image du Botswana, du Burkina Faso ou du Niger consacrent une plus grande part de leur budget au secteur de la santé. Cela est vrai pour ce qui concerne ces dernières années.

La pandémie du coronavirus laisse entrevoir des signes de changement : certains États sont en train de placer la santé au cœur des priorités nationales. Car celle-ci reste une locomotive pour le développement socio-économique.

La perversion et la corruption

La corruption est certes un phénomène général, mais l’Afrique reste toujours, dans ce classement mondial, comme l’un des continents les plus affectés par cette réalité. Un rapport publié par l’ONG de lutte contre la corruption Transparency International l’avait classée à la 32e sur une échelle allant de 0 à 100.

Un constat confirmé également par l’Afrobaromètre, 14 % en moyenne des répondants ont affirmé avoir dû «offrir un pot-de-vin, donner un cadeau, ou faire une faveur» au moins une fois avant de recevoir les services dont ils avaient besoin.

La corruption dans le domaine de la santé est de plus en plus grave : ses conséquences sont à la fois morales, légales et culturelles. Elle est, aussi, un frein important d’accès aux soins et un facteur de démotivation du personnel médical honnête et une arme de destruction du service médical public. Dans certains pays, la corruption dans l’hôpital prend différentes formes avec appellations diverses pour désigner ce mal : le xalam, le wiiri-wiiri, le xar matt…

La guerre des médecines

En Afrique, l’expression «médecine traditionnelle» est vraiment un « foure-tout ». Elle procède d’une peudo-médecine non-protocolisée, basée non seulement sur des remèdes à base de plantes, mais aussi sur des considérations d’ordre spirituel ou confrériques, voire même de puissances occultes. La médecine moderne bute encore sur plusieurs obstacles, tels que, l’analphabétisme, la « fuite » des médecins à l’étranger, la pauvreté, le manque de couverture médicale, les faux médicaments. De ce point de vue, les exemples sont multiples pour nous démontrer que la médecine 2.0 (la médecine digitalisée) a encore du chemin à parcourir, pour trouver sa place dans le continent le plus pauvre et le plus riche – un vrai paradoxe – en termes de ressources naturelles.

Les NTIC et l’IA : une opportunité à saisir

Les problèmes de base, évoqués plus haut, positionnent le numérique et l’intelligence artificielle comme étant la dernière solution dans la check-list des corrections à apporter au secteur de la santé en Afrique. La pandémie de la Covid-19 a démontré que l’Afrique est aussi capable de changer son statut d’« utilisatrice de la technologie importée » et de devenir le lieu des solutions numériques « autochtones » efficaces et peu onéreuses pour lutter contre les problèmes de santé prioritaires et les disparités d’accès aux soins médicaux.

C’est en ce sens qu’un changement de paradigme s’impose, l’Afrique n’a qu’à parier sur son capital humain – population jeune et motivée – afin de l’orienter, l’encadrer pour en faire les leaders de demain. Une manière de faire émerger une nouvelle société capable de placer l’humain et l’intelligence connective au centre de l’innovation.

Dr GHANIMI Rajae
Médecin spécialiste en médecine de travail Ecrivaine

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