Par Charles de Laubier
Au Sénégal, qui s’est doté il y a deux ans d’un plan ambitieux « Sénégal numérique 2016-2025 » (SN 2025), le poids monopolistique de l’opérateur télécoms historique – Sonatel (alias Orange et l’Etat sénégalais) – pose problème en termes de risques d’abus – potentiels ou avérés – de position dominante.
« Le pouvoir de l’opérateur historique Sonatel d’influencer les décisions du régulateur et de repousser indéfiniment, ou minimiser les obligations qui devraient lui être imposées au titre de sa puissance sur l’ensemble des marchés, reste manifeste », constate Katia Duhamel. Aux dires de spécialistes des télécoms sénégalaises, ce secteur est complètement monopolisé par l’opérateur historique qu’est la Sonatel – « Un Etat dans l’Etat », disent certains. Orange, l’opérateur télécoms français, en est l’actionnaire de référence à hauteur de 42,33 % du capital et en a le contrôle du comité stratégique, et est de ce fait très influent auprès du conseil d’administration de Sonatel.
« Au Sénégal, c’est la Sonatel et le désert ! », ironise un observateur. Sonatel, qui s’octroie la part du lion avec plus de 52 % de parts de marché, contre 26 % pour Tigo et 22 % pour Expresso – a vu en 2016 le renouvellement de sa concession pour l’exploitation de ses réseaux au Sénégal pour une durée de dix-sept ans et a acquis des fréquences 4G. Les concurrents mobiles n’ont jamais pu sérieusement rivaliser avec Sonatel. L’un d’entre eux fut Millicom qui opérant sous la marque Tigo, lequel a été cédé il y a un an au spécialiste du transfert d’argent en ligne Wari.
Mais celui-ci se retrouve actuellement dans un imbroglio quant à cette acquisition que Milicom – malgré un contrat de vente signé le 2 février 2017 et un décret présidentiel du 1er août de la même année approuvant la cession à Wari de la licence de téléphonie opérée par Tigo – a finalement dénoncé cet accord pour se tourner vers un consortium acquéreur contrôlé par Yerim Sow, (un riche homme d’affaires sénégalais), Xavier Niel (dirigeant fondateur de Free en France) et de Sofima (groupe Axian de la famille malgache Hiridjee).
Le différend est actuellement devant la justice. L’autre concurrent de Sonatel est le soudanais Sudatel qui opère l’opérateur Expresso, mais qui rencontre des difficultés sur un marché concurrentiel perfectible. Au total, le secteur des télécoms au Sénégal, avec des tarifs plutôt élevés par rapport à la sous-région, une faible connectivité de la population et une couverture du territoire insuffisante. Mais il y a un gros potentiel de développement et d’amélioration au Sénégal. En outre, au pays de la Teranga (hospitalité en wolof), les prix des licences (notamment 4G) et les taxes diverses (au profit de l’Etat) tendent à pénaliser les investissements des concurrents.
Quant aux infrastructures de fibre optique que gère l’Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE) pour ce dernier, elles ne sont pas ouvertes de façon transparente et non discriminatoire au secteur privé alors qu’elles excédent largement les besoins de l’administration. C’est le cas aussi pour celles de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec).
Mais une révision du cadre institutionnel et juridique est en cours, avec en vue un code de télécoms réformé. Pour autant, un observateur déplore : « En Côte d’Ivoire, plusieurs réformes ont été menées et plusieurs lois adoptées. Ce qui n’a pas été le cas au Sénégal où les textes législatifs et réglementaires sont devenus très ‘vieillot’ et souffrent de lacunes très significatives, notamment en matière de régulation des télécoms où les régimes d’autorisations restent très cloisonnés (licences quels que soient les réseaux ouverts au public, même sans qu’il y ait de ressources rares, appels d’offres systématiques, etc.). Tout cela est petit peu dépassé ».
A cela s’ajoutent au Sénégal un manque sur les nouveaux usages de fréquences, comme sur ceux utilisant des fréquences non exclusives tels que l’Internet des objets (IoT), ainsi que l’absence de textes pertinents sur le commerce électronique, la certification/authentification (preuve en ligne), ou encore la cybersécurité. Il y a donc un sérieux « gap » réglementaire en défaveur du Sénégal. La Côte d’Ivoire s’en sort un peu mieux que le Sénégal, même si les contextes respectifs dans ces deux pays sont comparables. « Nous avons plus besoin de renforcer nos synergies d’actions dans le cadre d’une stratégie digitale ouest africaine que de ‘transposabilité’ d’un modèle par rapport à un autre. Le défi est de partager nos recettes dans l’action pour consolider nos écosystèmes numériques régionaux », considère pour sa part le président du GOTIC.
Les deux pays-phare de l’Ouest africain se sont lancés quasiment en même temps – en 1998 et 1999 – dans la privatisation de leur opérateur télécoms historique respectif, Sonatel et Côte d’Ivoire Télécom, et les deux avec Orange comme actionnaire pour l’un et comme propriétaire pour l’autre. Or le résultat concurrentiel est assez différent finalement entre ces deux pays même si la Côte d’Ivoire revient de loin.
Par ailleurs, le Sénégal n’a pas su pleinement tirer profit de son avance sur les autres pays. En 2000, les premiers câbles sous-marins (Atlantis2, SAT3) ont été d’abord lancés au Sénégal. Et tandis que le Sénégal ouvrait progressivement ses premiers accès à la fibre optique, la Côte d’Ivoire sombrait, elle, dans une guerre politico-militaire sans précédent. Malgré, ces années de conflit qui s’en sont suivies, la Côte d’Ivoire a su rebondir et se positionner parmi les leaders de la sous-région.