Rachael Orumor est une ingénieure logicielle et entrepreneur basée au Bénin où elle travaille à développer des compétences chez les femmes dans les métiers du numérique. Elle a notamment coachée BeninBot, l’équipe béninoise de robotique, qui s’est classé 1e en Afrique et 7e dans le monde lors du concours mondial de robotique First Global Challenge réservé aux femmes. Nous l’avons rencontré à l’IT Forum Bénin 2018 et interrogé sur l’évènement et l’importance des thématiques qui ont été abordées pour la révolution numérique africaine.
Propos recueillis par Servan Ahougnon
CIO Mag : Quelles étaient vos attentes concernant cet IT Forum Bénin 2018 ?
Rachael Orumor : Ma principale attente concernant cet évènement était que les pouvoirs publics soient présents pour écouter et intégrer aux décisions les solutions et conseils suggérés par les différents panelistes sur les divers sujets évoqués.
Avez-vous des raisons de penser que les différentes suggestions seront prises en compte par les autorités béninoises ?
Je pense que c’est prometteur. Vu le nombre de représentants des parties prenantes de l’écosystème africain du numérique, et surtout les décideurs publics qui ont participé à cet IT Forum Bénin 2018, j’ai bon espoir que les solutions proposées aujourd’hui soient intégrées dans les décisions. Il suffit de voir le nombre de représentants d’institutions béninoises ayant participé au panel pour se rendre compte que les questions numériques sont prises au sérieux par les autorités.
Quel est selon vous l’aspect le plus important lorsqu’on parle d’usages du numérique ?
Pour moi le capital humain est l’aspect le plus important quand on parle de numérique. Quels que soient les usages existants ou futurs des outils numérique, ils ne seront que ce que les hommes en feront. Au final l’économie numérique n’est que l’ensemble des choses que l’homme développera autour du numérique.
Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de cet évènement concernant le capital humain en matière d’économie numérique, qu’est-ce que ce serait ?
C’est le fait d’avoir insisté sur l’importance du rôle des femmes dans l’économie numérique. Déjà dans mon panel, nous avons parlé de l’importance de l’insertion des femmes dans le numérique. Il était important de rappeler aux femmes qu’elles disposent de nombreux outils numériques, en l’occurrence des applications pour rendre plus efficaces leurs activités quels que soient les secteurs.
C’est intéressant que vous évoquiez la femme et le numérique, parce que vous avez accompagné BeninBot, l’équipe béninoise de robotique, à un tournoi mondial, et vous formez depuis plusieurs mois des filles dans le domaine du numérique. Y a-t-il déjà des résultats vos formations ?
Nous formons des femmes mais aussi des hommes au sein du Google Development Group (GDG). Je ne dirai pas, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, que ça se passe mal. Les formations connaissent beaucoup d’affluence et même si les entreprises ont fait part du manque criard de compétences numériques, nos formations sont la preuve que les jeunes s’intéressent au numérique. Avec nos formations, nous disposons, lorsqu’il faudra former des experts avec des compétences dans des domaines pointus, de personnes avec qui travailler et qui ont déjà les bases. Donc pour revenir à votre question, nous n’avons pas encore formé d’experts au Bénin, mais nos formations montrent que beaucoup de jeunes béninois sont intéressés pas le numérique.
Quels sont les domaines dans lesquels le GDG forme au Bénin ?
Je rappelle que le GDG ne s’occupe pas des infrastructures et du réseau. Nous sommes exclusivement concentrés sur les applications. C’est pourquoi nous formons essentiellement au développement d’application et aux domaines qui y sont liés. Malgré tout, un jeune qui suit une de nos formations annuelles peut déjà travailler dans le domaine du numérique. En effet, nous leurs apprenons à se servir des technologies et leurs donnons les ressources qui leur permettent d’approfondir leurs connaissances. Nous prenons également les services numériques connus et étudions les problèmes rencontrés dans leurs utilisation pour tenter de les résoudre. Donc, si les jeunes béninois sont assidus nos formations leurs permettront à coup sûr de s’insérer dans les métiers du numérique.
Avez-vous déjà développé des applications utilisables au sein du GDG ?
Nous avons pas mal d’apprenants qui développent des applications, qui sont même présentes sur le playstore, mais il y a une différence entre programmer des applications et les commercialiser. J’imagine que c’est ce dont vous parler. Nous ne pouvons pas développer et commercialiser les applications au sein de notre communauté. Nous avons besoin de l’aide des incubateurs et même de l’Etat.
Justement en parlant de l’Etat. Avez-vous envisagé au sein du GDG de développer des applications, pour le compte de l’Etat, qui pourraient constituer des e-services publics ?
Je pense que de manière individuelle, les membres de notre communauté y pensent mais nous n’avons pas de directive générale de groupe dans ce sens. Par exemple, je sais que beaucoup de ceux que nous formons participeront au récent concours d’applications lancé par le Bénin dans le domaine du tourisme.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?
Il y a principalement le problème d’accompagnement. Je vais en profiter pour saluer Solidarity, un incubateur situé à l’avenir Steinmetz à Cotonou, qui nous héberge pour nos formations. La salle est très bien équipée mais ne comporte que 60 place alors que nos effectifs peuvent varier entre 160 et 200 béninois qui s’inscrivent. Il y a ensuite l’accès à une bonne connexion internet qui constitue une véritable difficulté. Nous en avons besoin pendant la formation mais également pour que les apprenants puissent faire leurs recherches et dans le processus de développement de leurs projets. Il y a par ailleurs le problème de soutien des membres de la communauté qui ont des idées concrètes de start-up. Aujourd’hui, nous n’avons pas encore les moyens d’aider les membres de notre communauté à faire progresser leurs idées jusqu’aux étapes de produits finis. On ne peut compter que sur nos relations pour essayer de les aider. Il y a, enfin, la disponibilité des informations en français qui pose problème lors des formations. La plupart des documents libres sont très souvent en anglais.
L’un des sujets phares de l’IT Forum 2018 a été la sécurisation des données personnelles. Qu’avez-vous pensé des débats sur cette question ?
C’est une question importante parce que nous utilisons chaque jour des applications dont nous ne connaissons pas les concepteurs pour combler nos besoins. Nous leurs confions nos données et il ne reste plus qu’à espérer que les propriétaires de ces applications soient de bonne foi, ce qui n’est pas toujours le cas. Il y a des précautions à prendre du côté des utilisateurs, mais il faut également que les autorités forment la population pour que celle-ci acquière les bons réflexes et se pose les bonnes questions au moment d’utiliser une application. Il faut qu’elle se demande où vont ses données et aussi qu’elle puisse savoir si une application récupère plus d’information qu’elle ne devrait sur un smartphone. Aussi, il ne suffit pas juste de protéger ses données pour que le problème soit réglé, il faut veiller à ce qu’on installe et ce qu’on télécharge sur le net.
On a beaucoup parlé de la régulation parmi les solutions à ce problème. Pensez-vous que réguler suffit pour protéger les données ?
Je ne peux pas dire que la régulation règle le problème. Il y a une limite dans la capacité à réguler ce que chacun a sur son smartphone. Il faut un travail commun entre l’Etat, les incubateurs et toute la communauté numérique, notamment les développeurs, pour sensibiliser, puis ensemble travailler sur des bases et des standards qui protègent nos données.
A ce propos, il y a beaucoup d’applications étrangères utilisées par les africains. Alors aussi bien au niveau de la sécurité des données qu’au niveau de la révolution numérique en général, l’Afrique peut-elle mener ses combats seule ?
L’Afrique ne peut pas mener sa révolution numérique seule, de façon isolée. Même si on doit créer des contenus locaux, développer des applications pour régler les problèmes de chez nous, nous nous basons sur des technologies étrangères. Pour programmer une application mobile par exemple on doit utiliser le langage d’Android. Après il faut veiller à créer des applications qui résolvent nos problèmes locaux. Je ne vois pas, par exemple, pourquoi on créerait un réseau social pour les africains. On a des problèmes typiquement de chez nous. On a besoin de solutions de eSanté, de eCommerce, des services de paiement électroniques… Notre révolution ne devrait pas consister à se préoccuper de faire des choses de manières isolées, mais plutôt de développer des solutions pour nos problèmes, des solutions que les autres n’ont pas développées et ne développeront pas pour nous, parce qu’on n’a pas les mêmes problèmes.
Pour vous, pour réussir la révolution numérique de l’Afrique, quel est le problème à régler au plus vite ?
C’est sans aucun doute celui de la connexion internet. Sans une bonne connexion on ne peut rien faire.