L’Afrique peut-elle s’inspirer du modèle Station F ?

S’il est courant d’évoquer les défis liés aux financements des startups africaines, il est en revanche plus rare d’évoquer l’état de santé des incubateurs. Ces centres technologiques sont autant de véritables points de repérages pour de potentiels investisseurs que des lieux ressemblant parfois aux cybercafés. Tour d’horizon avec Rudy Casbi.

Leur nombre ne cesse de croître. Sur l’ensemble du continent africain, les incubateurs sont dorénavant pleinement intégrés dans le paysage urbain. «Chaque semaine, un espace d’innovation ou presque apparaît sur le sol africain. Tous les deux ans, leur nombre double. En 2012, l’association Afrilabs en recense environ 70 en activité. En 2014, la Banque mondiale estime leur nombre à 173. L’association GSMA en compte 314 en 2016 puis 442 en 2018, soit une progression nette de 50% », nous raconte Samir Abdelkrim dans les pages de son récent ouvrage intitulé Startups lions : au cœur de l’African Tech.

Si cette disruption technologique africaine attire les regards d’investisseurs, il n’empêche que les défis liés à leur financement restent d’actualité. « Sur le continent, vous avez des incubateurs qui ferment au bout de deux ans d’activités. Car si vous avez beaucoup de startups à accueillir, les charges courantes sont élevées pour le gérant de l’incubateur. Ce sont des coûts parfois difficiles à assumer car les startups peinent à enregistrer des bénéfices et s’acquitter de leurs charges courantes », nous explique Amin Youssouf, fondateur d’Afrobytes, une plateforme qui met en valeur les acteurs de la tech africaine.

Quels sont les modèles qui cartonnent ?

Si les incubateurs peinent à s’auto-gestionner financièrement, certains modèles sur le continent peuvent servir de sources d’inspiration ou de locomotives. En Zambie, Lusaka fait rayonner ses startups à travers son principal incubateur BongoHive. « Ce centre incube une trentaine de start-up et nous prodiguons des formations auprès d’une centaine d’entreprises. L’Etat nous aide en nous permettant d’avoir accès aux prêts bancaires à des taux réduits et il nous met en relation avec des investisseurs durant nos hackathons », affirme Lukonga Lindunda co-fondateur de BongoHive.

Aphrodice Mutangana, directeur général de K-lab

Au Rwanda, Paul Kagame a annoncé que l’Etat compte mettre 100 millions d’euros d’investissements en faveur des startups et incubateurs. K-lab géré par Afrodice Mutangana est résolument optimiste et ambitieux. « Le leadership du Rwanda commence à se faire savoir. J’accompagne régulièrement des délégations étrangères à la découverte de l’univers des tech hubs dans le pays. J’ai organisé un événement en marge du dernier sommet Transform Summit Africa en mai dernier à Kigali », dit-il.

Comme un signe de l’attente autour de ce sommet, plusieurs centaines de personnes issues de 93 nationalités différentes avaient fait le déplacement pour l’occasion à Kigali. K-lab est ainsi devenue une vitrine du made in Rwanda. « Le gouvernement nous aide beaucoup. Nous avons pu produire un programme diffusé sur le web intitulé ‘Face the Gorillas’ qui visait à donner les clés d’une bonne aventure entrepreneuriale pour de jeunes entrepreneurs. C’est une expérience que nous souhaitons reconduire », indique Aphrodice Mutangana.

Ce dernier crée des émules dans d’autres pays du continent à l’instar de Djibouti : le cogérant du CTID – un incubateur technologique à vocation sociale. « Grâce au partenariat signé avec K-lab, nous faciliterons l’accès au marché djiboutien en faveur des entrepreneurs rwandais et la réciproque est également assurée », nous dit Samatar Abdi Osman.

Peut-on comparer avec Station F ?

Si les incubateurs sur le continent africain semblent devenir l’une des clefs de voûte du décollage économique, certains spécialistes évitent cependant toute comparaison avec d’autres écosystèmes mondiaux comme la station F basée à Paris. « Déjà, essayons de construire des écosystèmes qui fonctionnent comme I-Hub au Kenya. La station F, ce sont les fonds personnels de Xavier Niel – fondateur de Free – qui ont été utilisés. La Station F, c’est tout un quartier rénové avec près de 600 logements. Est-ce qu’en Afrique, vous avez un milliardaire prêt à investir en fonds propres pour construire ce genre d’infrastructure capable d’accueillir près de 1 000 startups ? Permettez-moi d’en douter », tranche Amin Youssouf, fondateur d’Afrobytes, dont la start-up est incubée à Station F.

Ce lieu qualifié « de plus grand incubateur au monde » accueille aussi plusieurs espaces de conférences-formations assurées par de grands groupes comme Microsoft ou encore L’Oréal ainsi que plusieurs business angels. « A part le Nigeria où Aliko Dangote et Tony Elumelu se sont engagés en créant respectivement une école de business et une fondation pour l’entrepreneuriat, les initiatives de ce genre ne sont pas encore assez nombreuses sur le continent », affirme Amin Youssouf.

Si le modèle de Station F N’est pas transposable sur le continent, c’est aussi parce que les structures doivent encore gagner en maturité. « L’Afrique ne construira pas en cinq ans un écosystème aussi robuste qu’aux Etats-Unis en trois fois moins de temps. Le continent doit suivre sa route, son chemin », conclut Marieme Diop, investisseur capital chez Orange Digital ventures.

Paru dans CIO Mag N°54 Septembre/octobre 2018

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