Lors de sa participation au World Mobile Congress de Barcelone, du 25 au 28 février 2019, Noël Alain Olivier Mekulu Mvondo Akame, Directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) du Cameroun, a déclaré que « la CNPS est la seule caisse de sécurité sociale, en Afrique, capable de payer une prestation en temps réel ». Dans cet entretien accordé à CIO Mag, le DG de la CNPS décrit la solidité du système d’information, qui a été déployé avec le constructeur chinois Huawei. Et revient aussi sur les questions liées à la sécurité et la fiabilité du réseau.
Entretien réalisé par Mohamadou DIALLO à Barcelone
Quel est le sens de la participation de la Sécurité sociale du Cameroun au World Mobile Congress de Barcelone ?
Nous avons été invités au World Mobile Congress par notre partenaire Huawei. Cette participation nous a permis de découvrir les évolutions en matière de connectivité. Mais, il s’agissait surtout de faire le point, avec Huawei, sur le vaste programme de modernisation et de mise à niveau de notre système d’information, que nous avons entrepris avec lui.
Pour que nous puissions tous bénéficier des prestations sociales, nous gérons, sur l’ensemble du territoire camerounais, les volumineuses bases de données des assurés sociaux, des pensionnaires, des travailleurs actifs…. Cela suppose que le système d’informations puisse répondre à un certain nombre d’exigences, en termes de robustesse et de performance, pour assurer ce maillage géographique. J’ai ainsi fait le déplacement à Barcelone pour me rendre compte des évolutions et des possibilités actuelles existantes, et in fine, approfondir nos relations avec Huawei.
Après votre passage au salon de l’industrie de la téléphonie mobile, quelles sont vos impressions ?
Tant de nouveautés ! C’est impressionnant de constater la vitesse à laquelle tout évolue ! Déjà, lors de ma précédente participation, en 2016, j’avais été impressionné. Mais, les découvertes d’hier appartiennent d’ores et déjà au passé. C’est la preuve que tout avance à la vitesse grand V. A commencer par la 5G ou encore l’Intelligence artificielle. Quand on évoque ces avancées, certains pensent qu’il s’agit de science-fiction. Mais, je constate, avec satisfaction, que c’est une réalité quotidienne palpable, visible et qui influence notre management.
Vous avez confié à Huawei la construction de votre réseau pour relier les différents sites. Quelles sont les raisons de ce choix ?
Avec Huawei, nous sommes engagés sur un programme en deux étapes. La première étape est déjà achevée. Elle a consisté en la construction d’un Disaster Recovery Center. Ce centre de reprise d’activité, à Yaoundé, nous permet de manager, en temps réel, notre système d’information. Et aussi de poursuivre, en cas d’incident dans notre principal site, l’exploitation des activités à partir de notre centre de repli et ce, de façon continue.
La seconde phase de notre collaboration avec Huawei concerne la construction, à Douala, d’un mini data center, lequel duplique le système actuel. A terme, nous disposerons de trois sites de gestion. Le principal site sera localisé au siège, le site de récupération et de reprise d’activité sera hébergé à Yaoundé et le troisième, à Douala. Ce dernier sera le plus important et nous permettra non seulement de dupliquer et d’assurer la continuité d’activité, mais aussi d’accroitre les capacités de nos serveurs, pour que le réseau soit plus fluide dans une trentaine de villes du Cameroun.
A combien s’élève le montant de l’investissement ?
Le budget global est de 3,5 milliards. Ce qui est, en soi, extraordinairement attractif en terme de coût, comparativement à d’autres programmes. Le prix de revient est dix fois moins cher et les niveaux de qualité et d’efficacité sont incomparables. A terme, nous disposerons du meilleur système d’information au plan national.
S’agissant de la sécurité liée au réseau Huawei, n’avez-vous pas d’appréhension à ce sujet ?
Il faut savoir qu’il y a une grosse part de fantasme dans l’opinion, même si l’on sait que la connectivité est devenue un enjeu géopolitique. Mais nous, les Africains, nous devons faire la part des choses et ne pas nous engager dans des combats géopolitiques qui ne nous concernent pas. Toutes les dispositions sont néanmoins prises pour parer, le cas échéant, à d’éventuels risques. Car le risque zéro n’existe pas et nous en sommes conscients.
Nous avons ainsi prévu, dans notre convention, des dispositions qui interdisent l’espionnage. Et des connexions interdites peuvent donner lieu à des sanctions importantes, y compris pécuniaires. Si ce type d’incidents venait à se produire, ce pourrait être un motif pur et simple de rupture de contrat. J’ajoute qu’en sus de la prévention mentionnée dans les dispositifs contractuels, nous disposons, aujourd’hui, de techniciens bien formés, qui assurent le monitoring des réseaux.
Avez-vous les moyens de vérifier tout cela ?
Il s’agit de technologie. Et sur ce plan, nous formons les jeunes générations. L’accès à la formation n’étant pas détenu par une catégorie d’individus, dès que la technologie est disponible, tout le monde en bénéficie. Par ailleurs, s’il est incontestable que Huawei découvre et déploie ces technologies, ce sont bien nos équipes qui opèrent sur le réseau.
Notre siège, à Yaoundé, est relié aux 38 centres de sécurité sociale du territoire camerounais et nous sommes en interconnexion avec quatre hôpitaux. C’est un dispositif assez vaste, qui démontre l’importance du système. Nous bénéficions par ailleurs du backbone que CAMTEL a construit, mais nous disposons aussi de duplications, via le système des compagnies téléphoniques MTN et Orange. Et certaines villes sont couvertes par satellites. Nous bénéficions de la quasi totalité du spectre technologique.
Tous ces investissements n’occasionnent-ils pas des dépenses trop considérables ?
A contrario de ce que certains pourraient penser, nos budgets n’ont pas explosé. Ils se maintiennent dans des proportions très supportables. Pour preuve, nous avons investi près de 3 milliards et demi pour l’ensemble du système. Nous gagnons ainsi en efficacité et en temps de réaction. Et aujourd’hui, la CNPS est la seule caisse de sécurité sociale, en Afrique, à pouvoir payer une prestation en temps réel. Ainsi, dès que le dossier d’un pensionnaire ou d’un travailleur, qui bénéficie d’allocations, est déposé, il perçoit immédiatement ce qui lui est dû.
Le réseau est-il à l’origine du bon fonctionnement de ce service ?
Assurément, c’est grâce au réseau. Nous disposons, en back office, d’un stock de données, qui ont été enregistrées et archivées. Et lorsqu’un allocataire produit une demande, nous sommes en capacité de vérifier si tout est en règle et ce qu’il doit percevoir. La CNPS peut ainsi régler les prestations en temps réel. Avec ce système, nul besoin de rendez-vous. Tout se fait à distance et les déplacements deviennent inutiles. La demande se fait en ligne et le règlement s’effectue via mobile money. C’est avantageux tant pour l’usager que pour l’administration.
Si tout fonctionne bien, c’est que le système est opérationnel. C’est aussi parce que nous pouvons compter, depuis une semaine, sur l’infrastructure de Douala. Et d’ici à novembre, tout devrait être fin prêt. Nous ne sommes pas dans une compétition, mais affichons une certaine satisfaction à pouvoir affirmer que la CNPS du Cameroun sera dotée du meilleur système en Afrique francophone.
Lors de votre passage au World Mobile Congress de Barcelone, avez-vous détecté une technologie particulièrement intéressante ?
Oui, j’ai été particulièrement intéressé par la Smart city, dont l’une des applications pourrait nous correspondre. La Smart city observe et filme la ville, de telle sorte que l’on peut identifier les immeubles, les bâtiments, les routes… Et pour notre service de recouvrement, nous devons pouvoir identifier où sont les sites commerciaux et qui emploie du personnel. Et les retrouver plus facilement. La Smart city peut nous aider à localiser plus aisément les employeurs. Pour l’heure, nous n’en connaissons pas les coûts.
Nous avons aussi découvert la technologie d’identification faciale, laquelle peut intéresser l’entreprise, en particulier les ressources humaines et le service de gestion de la paie. Actuellement, nous utilisons des systèmes de pointage qui ne sont pas particulièrement performants. Or, en installant des caméras à reconnaissance faciale, nul besoin de pointer. Seuls les identifiants sont requis. Et on peut ainsi enregistrer l’heure d’arrivée et de départ du personnel.
CIO Mag s’active à la mise en œuvre d’un réseau panafricain des DSI et des directeurs de systèmes d’information. A ce titre, nous recueillons votre avis sur la place et le rôle de la DSI dans l’organisation de la CNPS.
Nous disposons d’un département des systèmes d’information mais, ce que nous observons de part et d’autre, nous amène à réfléchir. Avec l’Intelligence artificielle, il n’est pas exclu, qu’à un moment où à un autre, une direction ou un département des systèmes d’information fusionnent avec une direction des ressources humaines. Nous sommes toujours en veille sur la manière de concevoir la CNPS de demain. Et lorsque je dis demain, ce n’est pas dans dix ans, c’est au plus tard en 2020.
Des fonctions métiers risquent fort de fusionner. La fonction comptable va quasiment disparaître. Elle va basculer dans l’analyse et non dans l’enregistrement, qui sera pour sa part automatique. Il faudra donc reconfigurer l’ensemble. De nouveaux métiers vont apparaître dans les domaines de l’informatique et du développement d’applications. Il faut y réfléchir dès à présent. Un véritable Big Bang se profile. Et nous devons être particulièrement attentifs à cette révolution qui s’annonce, car, dans nos pays, nous avons besoin d’exemples. Nous ne devons pas craindre de ne pouvoir accéder à la nouveauté. Au contraire, les gouvernements peuvent se rendre compte que l’accès à la technologie est aujourd’hui possible et que les coûts sont maîtrisés. Le système public et la gouvernance en seront les premiers bénéficiaires.