Au lieu de se camper derrière un comptoir pour conseiller les patients sur leur choix en médicaments ou d’ériger une pharmacie, Docteur Arel Zannou, spécialiste en pharmacie, s’est découvert une mission générationnelle : mettre le digital au profit du patient. Il crée Dis-moi Doc pour rapprocher les soins de santé et l’information médicale du malade, avec la possibilité de prendre rendez-vous depuis l’application. Si le digital révolutionne nos habitudes, Arel Zannou nous entretient sur l’e-santé et ses avantages à travers la plateforme Dis-moi Doc.
CIO MAG : Pourquoi investir dans une application de gestion des pharmacies au lieu d’en créer une ?
Arel Zannou : Le fait que je sois Docteur en pharmacie me donne systématiquement le droit d’avoir une pharmacie. En même temps, il faut relever d’autres défis. L’un d’eux m’est apparu fortuitement dans l’exercice de mon métier de pharmacien. Etant derrière le comptoir, j’ai identifié un problème devenu très récurrent : les patients n’avaient pas accès à des sources fiables d’informations médicales. La plupart du temps, ils sont livrés à eux-mêmes. Le premier réflexe quand vous tombez malade, c’est d’aller dans une clinique, se faire recommander un médecin ou pratiquer l’automédication. Avec le risque de tomber sur des cliniques qui ne sont pas autorisées ou d’aller vers des professionnels de santé non qualifiés.
Le manque de moyens empêche les populations d’aller vers les agents de santé. Face à ce problème, il paraissait pertinent de créer une plateforme leur permettant de s’exprimer librement, d’avoir un accès facile à l’information médicale et de pouvoir avoir un professionnel de santé qualifié à portée de mains. C’est ce défi que j’ai décidé de relever en mettant en place l’application mobile Dis-moi Doc. Au départ, j’avais mûri l’idée d’une plateforme qui, de manière générale, allait utiliser les moyens tels que : un call-center, une application mobile et un site internet. Ou carrément une plateforme qui facilite l’accès à l’information médicale, quel que soit le moyen utilisé.
Avec un cabinet de consultation, vous auriez pu régler ce problème !
Un cabinet de consultation est physique et a des limites en termes de distance, de temps et de moyens. Mais aujourd’hui, la majorité des Béninois a au moins un téléphone Android. Même s’ils n’en ont pas directement, il y a forcément quelqu’un autour d’eux qui l’a, et dont il pourrait se servir. J’ai choisi le digital à cause de l’accessibilité, la rapidité et le coût relativement plus bas qu’il peut offrir. A travers ce moyen, ça va plus vite, plus loin et il y a moins de contraintes.
« 60% des gens qui viennent en officine, cherchent à connaître le prix des médicaments. Aujourd’hui avec cette application, ils gagnent du temps et de l’argent. »
Si on vous demandait de pitcher Dis-moi Doc !
Dis-moi Doc est une application mobile dont l’objectif est de rapprocher les soins et l’information médicale du patient. Depuis mars 2017 qu’elle a été mise en place, nous avons enregistré plus de 200 000 téléchargements, réglé près de 10 000 problèmes de santé et nous enregistrons 200 interactions journalières sur la plateforme. Grâce à Dis-moi Doc, nous permettons au citoyen lambda de pouvoir discuter 24h/24 avec un médecin, dans une messagerie instantanée. Nous offrons la possibilité à l’utilisateur de connaître le prix des médicaments vendus en pharmacie depuis leur portable. Et en tant que spécialiste en pharmacie, je peux vous assurer que 60% des gens qui viennent en officine, cherchent à connaître le prix des médicaments. Aujourd’hui avec cette application, ils gagnent du temps et de l’argent.
Par ailleurs, nous les écoutons et analysons correctement leur besoin. Nous les aidons à identifier leur réel problème et dans la mesure du possible, nous essayons de le régler. Quand il nécessite des examens complémentaires ou l’avis d’un expert, nous orientons le patient vers un de nos médecins partenaires le plus proche possible de sa zone géographique pour prendre le relai. Dans la première version de l’application, nous avions 500 médecins. Avec les réformes du gouvernement, nous sommes en train de travailler à mettre à jour la base de données. D’ici 3 mois, on atteindra un total d’environ 1 500 médecins. En plus, nous avons une cinquantaine de centres de santé privés. Même s’il est difficile de travailler avec le secteur public, nous collaborons avec des hôpitaux de référence tels que : le Centre national hospitalier et universitaire (CNHU) de Cotonou et d’autres hôpitaux de zone.
Comment s’enregistrer sur la plateforme ?
Il faut aller dans le Play Store et taper Dis-moi Doc. Une icône bleue apparaît, et dedans, il est écrit : mon docteur. Vous recevrez une confirmation après avoir renseigné votre numéro de téléphone et reçu un code à saisir. Ensuite, vous inscrivez vos données nominatives. Puis enfin, vous avez accès à l’interface de l’application.
Quid de son fonctionnement ?
Au sein de l’application, nous avons développé l’onglet : professionnels de santé. Lorsque vous allez dans cet onglet, l’application vous donne la possibilité de choisir la spécialité qui vous intéresse. Nous avons développé une douzaine de spécialités les plus couramment rencontrées au Bénin. Dès que vous cliquez, cela vous affiche la liste des médecins de cette spécialité qui se retrouvent dans votre zone géographique avec leurs photos, noms, la description de leur profil et la possibilité de les appeler directement depuis l’application pour prendre rendez-vous. Le processus est le même avec les hôpitaux.
« Beaucoup de laboratoires se sont rapprochés de nous, ayant constaté notre potentiel à les aider à écouler leurs produits. »
Quel est votre modèle économique ?
Au départ, nous proposions des services gratuits dans l’objectif de vendre plus tard de la publicité et d’autres services. Nous percevions des frais d’inscription auprès des médecins qui s’inscrivaient sur la plateforme, sachant qu’elle est libre d’accès aux utilisateurs. Nous avons également des contrats avec certaines sociétés pharmaceutiques. Beaucoup de laboratoires se sont rapprochés de nous, ayant constaté notre potentiel à les aider à écouler leurs produits.
Plus tard, nous avons ajouté d’autres services dont le dernier : mon état de santé, permet à l’utilisateur de tenir son journal de santé, retraçant son état et permettant au médecin d’accéder à son historique sanitaire récent. Depuis janvier, le service mon état de santé et la messagerie sont soumis à paiement. Grâce à cela, nous avons eu 10 000 utilisateurs, avec la possibilité d’essai gratuit de 30 jours après l’intégration sur l’application.
« Notre difficulté a été la mobilisation de ressources car il faut assurer la connexion de chaque médecin dans le réseau et à plein temps (…) Le coût d’accès à internet est onéreux. »
Quelle a été la plus grosse difficulté ?
Notre peine au Bénin, c’est l’accompagnement. Jusque-là, nous fonctionnons à 100% sur propres fonds. Notre difficulté a été la mobilisation de ressources car il faut assurer la connexion de chaque médecin dans le réseau et à plein temps, sans oublier le paiement des frais du local. Mieux, nous n’avons pas vraiment d’accompagnement des structures étatiques et le coût d’accès à internet est onéreux.
Quel bilan faites-vous deux années plus tard ?
Le bilan est très positif car nous n’envisagions pas en arriver là de si tôt. Nous avons connu une ascension plus ou moins exponentielle. Nous avons commencé en 2017 à l’issue du premier concours pour start-up organisé au Bénin par le groupe Bolloré. Nous étions parmi les 5 retenues et avions bénéficié d’un financement de 800 000 francs Cfa, d’une incubation, des bureaux et des coachs pour un bon encadrement. Nous avons été récompensés par le JCI en 2017 et en 2018 ; nous avons participé et remporté le 2ème prix du concours de l’innovation africaine à Casablanca. Nous avons également remporté le 1er prix du Apps Challenge de l’Agence de développement du numérique. Cela nous a permis de représenter le Bénin à Barcelone cette année à l’occasion d’un congrès réunissant tous les acteurs du mobile. Nous sommes par ailleurs attendus en Chine en juin prochain.
Le challenge à présent s’oriente vers nos parents en zone rurale qui ne comprennent pas le français. Nous allons mettre en place des services vocaux en langue locale pour leur permettre d’avoir accès à nos services. Nous avons pour ambition de nous implanter dans toute la sous-région ouest-africaine et dans toute l’Afrique. Il y a présentement une version de l’application dédiée aux citoyens français. Nous travaillons à développer une version anglophone qui doit être lancée d’ici 2 mois qui va permettre aux pays tels que le Nigéria, le Ghana de pouvoir utiliser nos services.
Propos recueillis par Michaël Tchokpodo, Bénin