Par Jean-Michel Huet, associé BearingPoint / Kenza Lahrichi, senior consultante BearingPoint
En matière de santé, le bilan reste mitigé en Afrique. Le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) intitulé «Etat de la santé dans la région africaine de l’OMS » fait état de quelques avancées encourageantes comme l’allongement de la durée moyenne de vie mais souligne surtout les nombreuses difficultés que le continent doit surmonter. Il s’agit notamment de la lutte contre certaines maladies qui persistent telles que le choléra, le paludisme ou le VIH qui touche à lui seul plus de 66 millions d’africains.
Le rapport souligne également les carences des systèmes de santé africains. La vétusté des structures de santé, l’insuffisance de personnel qualifié, la difficulté d’accès aux médicaments ainsi que l’absence de couverture maladie constituent autant d’obstacles pour les populations.
Selon l’OMS, le continent ne compte en moyenne que 2 médecins (contre 32 en Europe) et 15,5 lits d’hôpital pour 10 000 personnes.
Avec l’apparition des premiers cas de Covid 19 sur le continent, le manque de masques, de respirateurs artificiels et de lits de réanimation a laissé présager une véritable catastrophe sanitaire.
De plus, contrairement aux autorités sanitaires européennes qui ont préconisé le confinement des malades à domicile et la prise en charge en milieu hospitalier des cas les plus graves uniquement, les autorités d’une majorité de pays africains ont incité les malades à se rendre à l’hôpital ou au dispensaire le plus proche de leur domicile dès l’apparition des premiers symptômes.
Dans ce contexte de pandémie, en Afrique comme dans le reste du monde, les technologies numériques se sont révélées à plus d’un titre un atout majeur pour le personnel soignant. Elles permettent un tri efficace des patients, facilitent le parcours de soins, limitent les contacts physiques entre le personnel soignant et les malades et donnent la possibilité aux patients de réaliser des autodiagnostics élaborés.
Forte de son expérience dans les paiements digitaux, l’Afrique a su utiliser son avancée au service du secteur de la santé depuis le début de la pandémie.
Au Kenya d’abord, où les autorités ont mis en place dès le 22 mars un centre de télémédecine dédié à la lutte contre le virus au sein de l’hôpital national de Kenyatta à Nairobi. Ce centre a permis au personnel soignant d’interpréter les résultats des examens radiologiques effectués dans toutes les régions du pays. Par ailleurs, une plateforme d’apprentissage nommée LEAP a été lancée par le gouvernement afin d’informer la population sur la situation sanitaire et de lutter contre les « Fake News» relatives à l’épidémie.
La startup camerounaise « WeCashUp » a pour sa part lancé dès le début de la pandémie « WeCareUp », une application de prise en charge des patients qui permet de planifier des tests de dépistage à grande échelle et d’optimiser le parcours de soin des patients. Plusieurs pays ont aujourd’hui recours à cette application tels que l’Algérie, le Burkina Faso ou encore le Cameroun.
Au Rwanda, où un confinement strict a été imposé à la population, un système de fourniture de poches de sang, de vaccins ou de médicaments par drone à destination des hôpitaux a été mis en place par la société Zipline pour respecter les règles de distanciation sociale.
D’autres projets liés au digital dans le secteur de la santé ont vu le jour en Afrique subsaharienne. La téléconsultation en milieu hospitalier des patients atteints du virus par un médecin qui se trouve dans une autre pièce de l’hôpital, la téléconsultation à distance des patients atteints de maladies chroniques et qui ne peuvent se déplacer chez leur médecin traitant pour cause de confinement ainsi que la téléexpertise qui permet au personnel soignant d’échanger avec d’autres spécialistes et de confronter les avis médicaux concernant des cas graves sont autant d’initiatives observées en période de Covid 19 en Afrique.
Le Maroc s’est également illustré par sa créativité en termes de santé digitale en ces temps de crise sanitaire comme l’illustrent un certain nombre d’innovations proposées par de jeunes étudiants. Ces innovations portent notamment sur le déploiement de drones pour le dépistage du virus, la mise en place d’un système d’objets connectés permettant de suivre et de communiquer à distance l’état de santé des malades au personnel soignant ainsi que le lancement d’une plateforme permettant aux professionnels de la santé de créer des ordonnances médicales digitalisées transmises directement aux pharmacies pour éviter les risques de contamination.
Le ministère de la santé marocain a également mis en place une plateforme de téléconsultation au profit des malades atteints de cancers afin d’éviter leurs déplacements à l’hôpital et a lancé un portail numérique interactif dédié à l’actualité sur le nouveau coronavirus (Covid-19). Ce portail, chargé de la veille sanitaire, fournit toutes les données et statistiques relatives à la situation épidémiologique au Maroc à savoir le nombre de cas exclus, guéris, confirmés ainsi que le nombre de décès toutes les 24 heures selon les régions et les villes du Royaume.
L’Afrique a fait preuve à ce jour d’une surprenante résilience face à l’épidémie de Covid 19 car malgré un système de santé vacillant et des infrastructures sanitaires insuffisantes.
Mais le chemin reste encore long pour développer un système de santé à même de répondre aux besoins de l’ensemble des populations. Les technologies digitales, à travers l’intelligence artificielle, la blockchain, les objets connectés ou encore la Big Data, auront certainement un grand rôle à jouer dans cette bataille.
Le continent devra capitaliser sur les avancées réalisées en période de Covid 19 et poursuivre ses efforts en matière de télémédecine et de e-santé afin de palier notamment aux difficultés de déplacement pour se soigner et lutter contre la propagation de maladies contagieuses. La digitalisation des parcours clients permettront également hors contexte de pandémie d’améliorer l’expérience du patient et de prodiguer des soins de qualités aux malades.
La révolution digitale dans le secteur de la santé en Afrique passera également par la coopération entre les pays africains en termes de transfert de technologie, et l’établissement d’un cadre juridique adéquat et d’une gouvernance appropriée précisant les rôles et responsabilités et régissant la gestion des données à caractère personnel et le respect du secret médical.
La formation du personnel soignant aux nouvelles technologies digitales et le partage de connaissances entre les pays permettront également d’accélérer la transformation numérique du système de santé africain.