Depuis plusieurs années, HEC Paris figure régulièrement dans les classements des meilleures écoles de commerce au monde. Pour rester compétitive, l’école a su prendre le tournant du E-learning en temps de pandémie, notamment pour assurer la continuité pédagogique dans ses programmes dispensés en Afrique. Le continent est d’ailleurs l’une des priorités pour HEC Paris, qui souhaite renforcer sa présence, en participant à la formation d’excellence des cadres. Julien Levy, Directeur Académique du Innovation & Entrepreneurship Center, détaille les projets et les ambitions de l’école en Afrique.
Propos recueillis par : Camille Dubruelh
CIO Mag : La pandémie de Covid-19 a développé de nouveaux usages et, dans de nombreux domaines, le digital est devenu la norme. Dans ce contexte, le E-learning est-il aujourd’hui en plein essor ? Ce mouvement perdurera-t-il après la crise et quelles en sont les limites ?
Julien Levy : Nous n’avons pas attendu la crise pour déployer sur le continent une offre en mode blended (présentiel et en ligne), ou 100% en ligne. Cette expertise que nous avions depuis plusieurs années sur ces deux formats nous a permis d’accélérer la transition afin d’assurer la continuité de tous les enseignements pendant la crise sanitaire et de faire preuve d’agilité et de flexibilité, et ce, sans aucune déperdition de la qualité de notre enseignement. C’était notre priorité. Dans le même temps, l’école s’est adaptée en un temps record face à l’épidémie. La réussite de ce « switch » online permet désormais à HEC Paris de se tourner vers la création de nouveaux formats pédagogiques ou encore de nouvelles formations, notamment à l’international.
Ainsi, à la rentrée de septembre 2020, les participants africains de notre EMBA, empêchés de voyager, ont suivi à partir du bureau d’Abidjan, les cours dispensés par nos professeurs restés à Paris avec tous les autres participants du monde entier. Les retours que nous avons eus nous donnent confiance pour la mise en place de ces programmes pouvant désormais être délivrés en présentiel ou en ligne, à condition de contourner les dernières contraintes structurelles comme l’équipement ou encore l’accès à internet. Nous y travaillons activement.
Que propose HEC Paris en direction de l’Afrique ? Quels sont les programmes de formation en ligne ? Et quelles sont les projets à venir dans ce sens ?
Le continent est porté par une nouvelle génération de dirigeants engagés et enthousiastes, soucieux de mettre en place de nouveaux modèles de gouvernance pour développer et consolider la confiance des entreprises et des administrations, dans un environnement d’affaires sécurisé. Dans cette logique, HEC Paris propose des programmes de formation et d’accompagnement dans toute l’Afrique, à destination des cadres du secteur privé, des administrations publiques, des organisations patronales, des entreprises internationales et des filières agricoles.
HEC Paris a mis en place plusieurs programmes délivrés sur place, à l’instar de l’Executive MSc en géopolitique et géoéconomie de l’Afrique émergente et du Certificat Executive corporate Finance au Maroc, ou encore du Certificat Executive panafricain, LEAD CAMPUS Sustainable Leadership in Africa, dont la première promotion a reçu, le 11 février dernier, son certificat après un an de formation et la présentation d’un projet d’action responsable. Ce programme, qui devait avoir lieu dans plusieurs capitales africaines, a malheureusement été entravé par la pandémie et s’est terminé en distanciel.
« HEC Paris souhaite adapter ses programmes de formation aux besoins et aux enjeux auxquels le continent fait face et anticiper ceux à venir. »
Ainsi, notre école a fait le constat de la résilience du continent face à la pandémie mais aussi celui de l’optimisme et du pragmatisme de ses entrepreneurs. C’est dans cet esprit qu’elle a mis en place à Abidjan son programme diplômant Executive Mastère Spécialisé MUST (Management d’une Unité Stratégique), destiné à former et accompagner les actuels ou futurs dirigeants d’une Business Unit. Dernier en date, lancé en 2020, l’Executive Certificat Leadership et Entrepreneuriat.
D’autres programmes, notamment grâce à la digitalisation des enseignements, sont amenés à voir le jour. C’est le cas de Challenge +, qui sera dispensé pour la première fois en Afrique à partir d’octobre 2021. Ce programme aide les créateurs de projets innovants à fort potentiel de croissance à élaborer leur business plan et les accompagne dans leur développement.
De nombreuses entreprises internationales qui visent les marchés africains délocalisent aujourd’hui leurs sièges dans des capitales du continent. Nous assistons également à une “africanisation” des postes de direction. Les formations en ligne dispensées par de grandes écoles comme HEC Paris peuvent-elles contribuer à accélérer ce mouvement ?
Contribuer à la formation des leaders et entrepreneurs africains est une priorité stratégique pour HEC Paris. Grâce à nos efforts, dans notre Executive MBA modulaire qui vient d’être classé numéro 1 mondial par le Financial Times, 15% de nos participants proviennent d’Afrique sub-saharienne, et jusqu’à 30 % dans les Executive Masters. Notre objectif est d’atteindre 15% d’africains dans l’ensemble de nos programmes diplômants.
Dans ce sens, la digitalisation de nos formations représente une opportunité pour tous les futurs et actuels décideurs et entrepreneurs du continent désireux de se former sans contraintes. HEC Paris a aussi mis en place depuis 2018 un forum carrières annuel dédié au continent africain : l’Africa Business Day, où les entreprises présentent aux étudiants HEC les opportunités de carrières en Afrique. Nous observons un nombre grandissant d’étudiants africains désireux de retourner sur le continent, avec l’ambition de contribuer à un nouvel essor.
Vous avez conçu la plateforme Data for managers, à qui s’adresse-t-elle ? Le public africain est-il visé par cette solution ?
Data for Managers a été co-développé avec quelques entreprises partenaires avec lesquelles nous travaillions sur les enjeux de la donnée. Ils ont partagé avec nous leur constat : « Ce qui nous freine dans la mise en place d’une politique de data, ce n’est pas la situation tendue des compétences en data science, mais que, face aux opportunités de la data, les managers sont ”comme une poule devant un couteau”. »
« L’idée était donc de concevoir une formation permettant aux managers de comprendre les enjeux de la data science et de la data transformation, et au-delà, de comprendre la façon dont un projet data est mené, leur rôle et celui de leurs équipes dans ce projet. »
Cet enjeu, il est global. La data transformation, c’est-à-dire la façon dont les entreprises innovent dans leur façon de mener leur activité en utilisant le levier des données, touche tous les secteurs d’activité et tous les pays. Certaines entreprises – comme Michelin ou Engie en France – se sont donné pour mission d’être “data driven”, pilotées par les données.
Nous avons lancé le programme sur le campus d’HEC Paris juste avant la crise du Covid-19. On a basculé le programme dans une formation en ligne, synchronique et asynchronique, qu’on déploie désormais à distance.
De façon générale, dans le domaine numérique, quelles sont les compétences qui manquent encore sur le marché mondial et le marché africain ?
Quand on parle de digital ou de data, on pense d’abord à des compétences techniques. Et il est parfaitement vrai qu’il est difficile de mener des projets à terme sans un bon système d’information, sans des plateformes solides. Pourtant, le cloud et des tendances récentes comme le “no code” ont largement changé la donne. Auparavant par exemple, une startup consacrait énormément de ressources à construire son site, son application, son SI. Avec le cloud, on se repose sur un SI externalisé, sur des outils ergonomiques et puissants : on va beaucoup plus vite, de façon beaucoup plus fiable. Donc, si des compétences techniques sont toujours nécessaires, ce n’est plus le goulot d’étranglement du passé.
C’est pourquoi je suis convaincu que les premières compétences sont managériales. Ce ne sont ni un data scientist, ni un ingénieur informatique, ni même un spécialiste de telle ou telle partie du Net qui peut déterminer quoi faire et pourquoi : cela relève des managers opérationnels, qui peuvent seuls définir une stratégie, une feuille de route.
Mais pour cela, il faut qu’ils soient conscients des enjeux, des opportunités, des limites et des nouveaux leviers d’action numérique. Il me semble donc qu’au-delà des compétences techniques expertes, on a besoin de managers “digital savvy” comme diraient les anglo-saxons, qui savent “parler digital”, qui savent intégrer cette démarche et ces outils dans leur politique et leur activité.