Au cours des trois dernières années, les échanges commerciaux entre le Québec et le continent africain ont varié de 2,2 à 2,7 milliards de dollars. Des échanges encore timides donc, mais qui se renforcent, notamment grâce aux activités des entrepreneurs issus des diasporas. Youmani Jérôme Lankoandé est l’un d’entre eux. Le PDG de YULCOM Technologies, une firme multinationale canadienne de services-conseils en technologies de l’information et intégration de systèmes utilisant l’intelligence artificielle, a été sélectionné à plusieurs reprises dans les tops 20 des jeunes leaders à suivre au Canada. À partir de ces bureaux à Montréal, Washington DC et dans cinq pays africains, l’entrepreneur, économiste de formation, œuvre à des projets de transformation digitale en Amérique, en Europe, en Asie et en Afrique. Entretien.
Cio Mag : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours professionnel ?
Youmani Jérôme Lankoandé : J’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs où j’ai eu la chance d’être initié très tôt aux techniques de vente et à la gestion d’entreprise au Burkina Faso. Dès l’âge de 7 ans, à chaque congé scolaire, j’apprenais à côté de ma mère la gestion d’un étal de marché, les techniques de vente et sur ce qu’on appelle aujourd’hui l’elevator pitch, puisqu’il fallait à tout prix convaincre en 1 mn un passant d’acheter ma marchandise. Auprès de mon père, j’ai appris très tôt les rudiments du commerce international, en écoutant religieusement ses récits de missions commerciales et ses opérations d’importation et d’exportation de produits pétroliers, des pièces détachées, des céréales entre le Burkina, la Côte d’Ivoire et le Ghana.
Par la suite, j’ai suivi une formation pluridisciplinaire en économie et gestion à l’Université de Ouagadougou (Burkina Faso), en analyse des politiques à l’Université Laval (Canada), et plus tard en gestion de projets informatiques à l’Université McGill (Canada). Avant de me lancer en affaires, j’ai travaillé à Partenariat International où je faisais de la recherche sur la compétitivité des pays du G20 basée sur l’innovation technologique et les entreprises numériques. Le projet d’entreprise est né de cette expérience qui m’a conduit à faire de la consultation en recherche et acquisition de logiciel à l’international.
Parlez-nous de YULCOM Technologies. Quels sont ses projets de développement à court et moyen termes pour l’Afrique ?
YULCOM est un spin-off d’Innovation au Québec, une entreprise qui s’est donnée pour mission d’accélérer l’innovation numérique grâce à un transfert de savoir des institutions universitaires vers les entreprises privées. À ce jour, YULCOM a livré avec succès plusieurs projets de transformation digitale en Amérique, en Europe, en Asie et en Afrique, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Togo, au Niger et au Mali. Un exemple, en 2019, la Banque Mondiale nous a confié un projet de développement d’une plateforme de E-learning pour la formation continue au profit de banques commerciales dans les pays en développement.
Avec des bureaux dans cinq pays en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Mali, Niger et Togo), nous souhaitons participer à la transformation digitale de l’Afrique. YULCOM a ainsi lancé l’agrégateur de paiement YULPAY, une fintech pour soutenir d’une part, l’inclusion financière sur le continent, et d’autre part pour faciliter le paiement en ligne au gouvernement dans le cadre de la dématérialisation des services publics. Pour le court et moyen terme, nous travaillons sur de nombreux projets dans la finance inclusive, l’e-santé, et l’e-gouvernement.
Avez-vous toujours eu dans l’idée de développer votre activité au-delà des frontières canadiennes, vers votre continent d’origine ?
L’attrait de l’Afrique était naturel à plusieurs titres. C’est non seulement le continent que je connais le mieux, mais aussi et surtout parce que le potentiel y est infini. En Afrique, tous les rêves sont permis dans notre domaine. Du développement d’infrastructures de télécommunication au déploiement d’applications métiers gouvernementales en passant par la mise en place de data centers (entrepôts de données), l’Afrique est le terrain de jeux de tous ceux qui rêvent d’innover. Le marché asiatique est devenu très compétitif alors que les marchés américains et européens sont saturés. En Afrique, nous avons la chance de créer du nouveau avec une croissance soutenue d’une main d’œuvre qualifiée. Nous pouvons donc affirmer que l’Afrique est la dernière frontière de l’innovation numérique.
“L’Afrique a besoin de deux choses pour réussir sa transformation digitale : des investissements massifs pour le développement de ses infrastructures numériques, et un transfert de savoir pour former les talents et les dirigeants d’entreprises numériques.”
Quel est, selon vous, le rôle que doivent jouer les diasporas envers le continent ? Doivent-elles servir de ponts entre les pays d’accueil et le continent d’origine ?
Jamais dans l’histoire de l’Afrique, le rôle de ses diasporas n’a été aussi important pour l’Afrique. Si l’Afrique est la dernière frontière de l’innovation numérique, ses diasporas devront être ses premiers explorateurs et ses indispensables ouvriers.
L’Afrique a besoin de deux choses pour réussir sa transformation digitale : des investissements massifs pour le développement de ses infrastructures numériques, et un transfert de savoir pour former les talents et les dirigeants d’entreprises numériques. Je crois que les diasporas peuvent apporter ces deux ingrédients, et sont donc naturellement les ouvriers dont l’Afrique a besoin pour participer à la construction du plus grand chantier numérique de notre temps. J’aimerais insister sur le transfert de savoir car, faut-il le rappeler, le savoir reste la principale infrastructure des pays développés. Moins de bras, plus de cerveaux n’a jamais été aussi pertinent à l’ère de l’économie du savoir. Les diasporas, les dirigeants africains et les partenaires au développement gagneront donc à y consacrer temps, efforts et moyens.
“…nous ne sommes pas les seuls à croire en l’Afrique. Tous les géants du numérique notamment Google, Facebook, Twitter et Microsoft pour ne nommer que ceux-là, sont déjà très actifs sur le continent…”
Nous avons été heureux de découvrir que les jeunes développeurs en Afrique sont aussi talentueux et ambitieux que leurs collègues issus des autres continents où nous avons des activités. Du reste, nous ne sommes pas les seuls à croire en l’Afrique. Tous les géants du numérique notamment Google, Facebook, Twitter et Microsoft pour ne nommer que ceux-là, sont déjà très actifs sur le continent, et très souvent avec l’aide de la diaspora africaine qui joue le rôle d’intermédiaire et de représentant.
Quel état des lieux faites-vous de l’organisation des diasporas au Canada et au Québec ? Quelles sont les différences entre la partie francophone et anglophone ?
Les diasporas africaines au Canada, aussi bien francophones qu’anglophones, sont très actives et bien organisées à travers des associations présentes dans les plus grandes provinces du Canada, notamment en Ontario, au Québec, en Colombie Britannique et en Alberta. Ces associations prennent très souvent racines dans les universités où elles s’illustrent par des activités d’entraide et des activités de promotion de la culture des pays d’origine de leurs membres.
Il n’y a pas de différences fondamentales entre la partie francophone et anglophone si ce n’est le reflet des mêmes différences que nous constatons en Afrique entre pays francophones et anglophones. Les diasporas anglophones sont plus entreprenantes et se démarquent très bien dans l’appropriation culturelle de leurs origines. Il est facile de constater que les diasporas anglophones sont très décomplexées dans le partage de leur musique, leur gastronomie et leur mode vestimentaire avec le reste de la société canadienne. Bien que cela ne soit une raison suffisante, il faut tout de même souligner que les diasporas dans la partie anglophone sont bien plus nombreuses que celles dans la partie francophone. Il faut ajouter à cela la diaspora africaine qui provient des Caraïbes. Elle est très dynamique et contribue au rayonnement de la culture africaine ou de descendance afro.
Propos recueillis par Camille Dubruelh