En sélectionnant la filière anacarde comme porte d’entrée dans l’agriculture, la plateforme digitale Wi-Agri veut apporter des réponses aux difficultés qui peuvent entraîner des conséquences incalculables sur la pérennisation de l’activité. Pour autant, elle n’ignore pas la réticence du monde paysan face au digital.
(Cio Mag) – Houphouët Kouassi Emmanuel est le président de la Société coopérative Anouanzè de Béoumi, une région agricole située dans le centre de la Côte d’Ivoire à plus de trois cents kilomètres d’Abidjan. Ses 539 membres exploitent plus de 3000 hectares de zone de production d’anacarde aussi appelé noix de cajou. Si les spéculations autour de cette culture contribuent à maintenir la Côte d’Ivoire à sa position de leader mondial avec près d’un million de tonnes produites en 2021, il n’en demeure pas moins que les perspectives de développement de la filière anacarde se heurtent à des difficultés qui peuvent entraîner des conséquences considérables sur le long terme.
Méconnaissance des notions d’éducation financière, difficultés d’accès aux marchés, fuite d’une partie de la production nationale… Tant de maux et bien d’autres encore auxquels Houphouët K. Emmanuel ajoute l’insécurité. A l’en croire, une vingtaine de braquages a été enregistrée dans la zone, laissant les producteurs d’anacarde avec des pertes de l’ordre de 500 millions de francs CFA. Alors quand au cours de la campagne de commercialisation de noix de cajou 2021, il expérimente la plateforme digitale intégrée Wi-Agri permettant aux membres de la coopérative de cartographier leurs plantations, de reconstituer le parcours de leurs produits, de la production à la distribution, et mieux, de se faire payer par mobile money, c’est tout naturellement qu’il accepte de se déplacer à Abidjan, la capitale économique, pour en témoigner.
CIDR Pamiga, Microsave et AgriStore
« Avec la plateforme digitale Wi-Agri nous avons une traçabilité sur les ventes du producteur ; elle nous permet également de savoir quelle quantité de produit phytosanitaire est nécessaire pour entretenir une certaine superficie », explique à Cio Mag, Houphouët K. Emmanuel, en marge de la conférence de presse de lancement de Wi-Agri, le jeudi 24 février dans un réceptif hôtelier. Parmi les intervenants, figurent les représentants des structures qui se sont alliées pour créer Wi-Agri afin d’accompagner les actions locales en faveur de la filière anacarde. Il s’agit notamment de l’organisation internationale de développement CIDR Pamiga, du cabinet Microsave et de l’entreprise technologique AgriStore. Y sont également présentes, l’entreprise Callivoire et l’institution de méso-finance Fin’Elle dont l’intérêt dans ce partenariat réside dans la présence de femmes dans la chaine de valeur, notamment comme ramasseuses, décortiqueuses et main d’œuvre dans l’industrie de transformation.
Selon Pierrette Kouakou, directrice générale, les financements de Fin’Elle contribueront à promouvoir l’entreprenariat féminin, avec un fort mandat sur l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des acteurs de la chaine de valeur anacarde par la mise en place de produits financiers (épargne et crédit).
Wi-Agri, pionnier en Afrique francophone
La phase pilote de mise en œuvre de la plateforme Wi-Agri a lieu dans les régions de Gbêkê et du Gontougo, notamment dans les villes de Bouaké, Bondoukou et Béoumi. Dans ces zones, les promoteurs ont signé des protocoles d’accord avec 21 coopératives sur les 25 contactées. A ce jour, la plateforme enregistre 2 000 petits producteurs, acheteurs, coopératives et PME sur un objectif de 25 000 pour la fin de l’année 2022.
Un « résultat satisfaisant » pour Renée Chao-Beroff, PCA de Wi-agri. Qu’à cela ne tienne ! La startup ne compte pas s’arrêter à ces trois régions. « Nous irons partout ailleurs, et les premières coopératives vont, comme monsieur Houphouët, témoigner et amener d’autres à nous rejoindre », déclare Renée Chao-Beroff. Pour autant, elle n’ignore pas les réticences de certains producteurs face au numérique.
« La digitalisation est un élément nouveau dans le monde paysan (…) Je pense que les producteurs sont intrigués ; ils sont intéressés mais ne savent pas comment ça se passe ; ils ont envie d’observer, de voir comment les autres coopératives réussissent avec nous avant de s’engager ; de ce fait, nous n’avons pas de craintes qu’une fois que les services seront déployés, d’autres viendront se joindre à nous », explique la PCA, avant de préciser que la vocation de Wi-Agri, est de couvrir toute la Côte d’Ivoire et s’étendre à l’Afrique de l’Ouest francophone.
A l’en croire, de telles initiatives existent, « peut-être pas à l’identique », en Afrique de l’Est et en particulier au Kenya. Mais Wi-Agri en est le pionnier dans la zone francophone, et ne cache pas son intention de porter ce service qu’elle considère essentiel pour la modernisation de l’agriculture à l’ensemble des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest.
Elle ajoute par ailleurs que les frais d’abonnement mensuel à la plateforme s’élèvent à 200 francs CFA. Sur chaque transaction, les acheteurs paient une commission négociée avant la campagne. De même, les services financiers tels que Fin’Elle, et d’intrants comme Callivoire, ce sont aussi engagés à verser une commission pour chacun des services qu’ils apportent.
« Nous voyons clairement en Wi-agri une opportunité de rendre accessible à un nombre toujours plus grand d’agriculteurs et d’acteurs de cette chaine de valeur, l’offre intégrée de Callivoire », renchérit Florent Clair, coordonnateur des partenariats pour la durabilité chez UPL, société mère de Callivoire. Il souhaite pour sa part que les produits anacarde, cacao, maïs, riz, maraîchers, puissent être proposés sur la plateforme et distribués par le réseau de distributeurs partenaires.