Dans un recueil publié en mars 2022 et intitulé « La confiance à l’ère du numérique : cinq problématiques, six regards », l’Institut Messine, think tank de la profession de commissaire aux comptes, apporte un éclairage multidimensionnel sur les enjeux de confiance à l’ère du numérique.
(Cio Mag) – Les six praticiens ou témoins consultés s’accordent sur un fait : le numérique questionne la notion de confiance, la renforce ou l’altère. Néanmoins, chaque contributeur aborde l’une des 5 problématiques identifiées. La synthèse de ces témoignages nous renseigne sur le juste équilibre entre une vision sacralisée de la confiance numérique et une méfiance disproportionnée.
Ne pas faire confiance aveuglément au numérique : la menace souveraine du cyber
En évoquant la dimension géopolitique de la confiance numérique, Jean-Louis Gergorin, maître de requêtes honoraires au Conseil d’Etat, consultant en stratégie aérospatiale, défense et cyber, estime qu’il est plus judicieux de parler de « conflictualité dans l’espace numérique » plutôt que de « cyber ».
L’enjeu est de ne pas réduire le cyber à la cyber-guerre. À ce titre, il est frappant de remarquer, dit-il, que les Anglo-saxons ne parlent pas de « cyberwar » mais de « cyberwarfare », autrement dit d’un mode de combat qui serait comme tapi dans l’ombre. Selon lui, le numérique signe donc l’avènement d’une nouvelle forme de conflictualité, située toujours en dessous du seuil de la guerre ouverte.
Pour Jean-Louis Gergorin, l’utilisation de l’espace numérique à des fins d’influence ou de contrôle représente un moyen alternatif de continuation de la politique. “Avec le numérique, nous sommes entièrement entrés dans l’ère de la guerre en temps de paix”, résume-t-il.
Restaurer la confiance dans les médias : La démocratie délibérative à l’épreuve du numérique
Certes, la révolution technologique et l’émergence d’internet a permis de démocratiser l’accès à l’information. Cependant, cette information au bout du clic n’est pas sans danger, car le risque de désinformation est omniprésent.
Le journaliste économique Frédéric Filloux estime que le lien supposé entre l’émergence d’internet et l’accélération de la défiance envers les médias n’est pas aussi simple à établir. Il distingue 3 grands groupes de médias présents sur le web : les médias institutionnels (presse écrite, radio, etc.) qui migrent mal vers le numérique; les nouveaux médias numériques, souvent spécialisés; et, enfin, les réseaux sociaux au sens large, allant du groupe restreint sur Facebook à un média conversationnel comme Reddit.
Les premiers, ceux que l’on qualifie de médias traditionnels, ont été les plus affectés par la révolution Internet. Ils ont perdu très largement en crédibilité car ils ont eux-mêmes souvent succombé aux démons de la rapidité et de la quête de l’audience superficielle. Mais, pour Frédéric Filloux, le plus grand danger provient des réseaux sociaux qui témoignent à eux seuls du fait que la promesse du numérique ne s’est pas réalisée.
“Sur les réseaux sociaux, la nuance est la garantie de l’inexistence”, explique-t-il. Le numérique encourage donc la surenchère, la polémique et la caricature au détriment du recul, de la distance et de l’analyse. Dès lors, comment rétablir la confiance entre les médias et les citoyens ?
Pour répondre à cette problématique, Frédéric Filloux appelle à retrouver deux piliers de la confiance dans les médias, dilués par le numérique : la notion de marque et l’identification des auteurs.
Entretenir la relation de confiance avec les consommateurs : une question de pédagogie
Aujourd’hui, il est indéniable que le numérique a considérablement bouleversé la relation qu’entretiennent les marques avec leurs clients. La notion de confiance prend d’autant plus d’importance qu’elle se gagne aussi vite qu’elle ne se perd.
Pour Yseulys Costes, co-fondatrice & CEO du groupe Numberly, la confiance se travaille. “Les marques peuvent construire une relation de confiance avec les consommateurs en faisant la transparence sur la valeur effective apportée par la collecte des données”, atteste-t-elle. La démarche consiste, selon elle, à expliquer aux consommateurs pourquoi on collecte leurs données et ce qu’ils ont à gagner dans le traitement de ces données, en termes de qualité de service ou de pertinence des produits proposés.
Concernant l’utilité de mettre en place un cadre législatif efficace afin de sécuriser l’utilisation des données personnelles des consommateurs, Yseulys Costes affirme qu’un cadre législatif transparent participe à générer de la confiance. En revanche, elle s’interroge sur l’efficacité de ce mécanisme et surtout, sur la capacité des consommateurs à en comprendre les tenants et les aboutissants. “Je suis convaincue que c’est davantage grâce à la pédagogie qu’à la loi que l’on parviendra à réduire la défiance”, conclut-elle.
Réinventer la confiance par le numérique : la promesse des cryptomonnaies
S’il y a bien un domaine dans lequel le numérique a renforcé le sentiment de confiance, c’est bien celui des cryptomonnaies. Comme l’explique Ferghane Azihari, essayiste et analyste en politiques publiques, “les problèmes de confiance sont, si je puis dire… monnaie courante dans l’histoire de la banque et de la finance et ce, bien avant l’apparition du billet et de la monnaie scripturale”. Selon lui, l’apparition des cryptomonnaies a changé la donne grâce à la qualité intrinsèque de la première cryptomonnaie créée en 2009. Le Bitcoin a été lancé avec la promesse qu’il n’y aura jamais plus de 21 millions d’unités en circulation. Autrement dit, la monnaie s’est structurellement prémunie contre le faux-monnayage.
Cela étant dit, l’utilisation de la cryptomonnaie n’est pas sans risques. L’enjeu majeur réside dans le fait de ne pas transformer le bitcoin en investissement spéculatif. Dans ce sens, Ferghane Azihari estime que la taille de la communauté pose problème. À l’échelle de la population mondiale, le nombre d’utilisateurs reste limité, malgré la croissance extrêmement rapide qu’a connue l’adoption des cryptomonnaies. C’est la raison pour laquelle le moindre mouvement de panique, la moindre phrase prononcée par un leader d’opinion de l’envergure d’Elon Musk peut provoquer des variations du cours aussi importantes et impressionnantes que celles que l’on a pu connaître avec le Bitcoin.
Garantir la confiance numérique : le rôle plus que jamais critique de l’audit
Si les données sont au cœur de l’économie numérique, la confiance numérique suppose de réduire au maximum les problèmes liés au manque de gouvernance de la donnée, notamment de qualité des données et à leur sécurisation. Un défi de taille pour tous les commissaires aux comptes, qui se retrouvent, au titre de leur activité d’audit et de certification des comptes, en situation d’émettre une opinion sur ces données.
Selon Nathalie Malicet, Expert-comptable et Commissaire aux comptes, dans le monde de l’audit, la confiance est indispensable. “Confiance et audit sont, pour moi, deux notions inextricablement liées dans la mesure où un audit représente l’occasion de qualifier les comptes sur lesquels porte notre pratique”, précise-t-elle. Toutefois, elle estime que « confiance » et « numérique » sont deux termes opposés et l’expression « confiance numérique » relève presque de l’oxymore.
Dans certaines organisations, des problèmes de paramétrage ou une maîtrise insuffisante, se traduisent par des procédés pourvoyeurs de données plutôt fausses que vraies. Mal maîtrisé, le numérique peut produire l’effet inverse de celui qu’on lui attribue intuitivement. Dès lors, comment utiliser la data à bon escient en termes de confiance apportée à la qualité des comptes ?
A cette question, Jean-David Benassouli, responsable de l’activité Data Intelligence de PwC France et Maghreb, distingue deux évolutions majeures.
D’une part, l’upskilling des auditeurs, qui se sont progressivement mais véritablement approprié tous les outils de collecte, de manipulation et de visualisation des données. Les auditeurs sont plus outillés qu’auparavant et cela constitue un vrai changement de paradigme. D’autre part, la montée en puissance de la visualisation, qui permet de repérer de manière graphique des tendances, des éléments relatifs au business, tout autant que de potentielles zones de risques ou sujets à analyser.
“Cette technique est vraiment différenciante par rapport aux tableaux Excel que les auditeurs avaient en général jusqu’ici à leur disposition. Elle nous offre notamment la possibilité d’aller beaucoup plus vite et plus loin qu’auparavant dans la compréhension des enjeux et de la réalité de l’activité de l’entreprise auditée”, explique-t-il.
L’autre avantage des outils de data visualisation est l’implication directe des clients dans le processus de collaboration. Mieux à même d’expliquer leurs analyses et points d’attention, les auditeurs ont pu davantage impliquer leurs clients, et leur expliquer les travaux, leurs étapes, et les multiples demandes de documentation.