Vitale à l’innovation et au développement économique, la recherche manque encore souvent de moyens et de promotion en Afrique. Ainsi, très peu de pays du continent répondent actuellement au souhait de l’Union africaine (UA) de consacrer 1 % de leur Produit intérieur brut (PIB) à la recherche. Un constat que connaît bien Annick Laurence Koussoubé, Ambassadrice du Next Einstein Forum (NEF). Pour l’organisatrice de la Semaine africaine des sciences (SAS) au Burkina Faso, il faut changer la donne en développant l’accès aux financements, en tirant profit des nouvelles technologies et en donnant un plus grand accès aux femmes africaines à la connaissance. Entretien.
Cio Mag : Quels sont les enjeux et les défis liés à l’innovation en Afrique ?
Annick Laurence Koussoube : Parmi les plus sérieux défis liés à l’innovation en Afrique, on compte le manque de financement ou une quasi diminution continue des financements accordés à l’innovation, la fuite des cerveaux, le niveau d’alphabétisation trop faible de nos pays et le manque de femmes suivant une formation scientifique. Par ailleurs, les résultats des recherches menées sont très rarement exploités, publiés et accessibles. Il faut également ajouter que la qualité de l’enseignement dans les domaines de la science et de la technologie est en baisse, en partie à cause du manque de financement et d’infrastructures telles que les laboratoires et les centres technologiques modernes.
C.M : Comment pallier aux défis mentionnés ?
A.L.K. : Bien que ces défis puissent sembler difficiles à surmonter, l’Afrique ne peut plus se permettre de perdre du temps. Il est dès à présent important de fixer une stratégie offensive pour former et employer un grand nombre de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens, mettre en place des incubateurs scientifiques et technologique mais aussi dédier un budget consacré à la recherche scientifique et technologique.
Il est clair que, sans engagement de nos dirigeants, il ne peut y avoir de développement scientifique et technologique sur notre continent.
C.M: De quelle manière la Semaine africaine des sciences (SAS), qui vient de se tenir au Burkina Faso, au Niger et au Tchad, contribue-t-elle à changer la donne et avec quel impact ?
A.L.K.: La science et la technologie rénovent notre société africaine et entrent dans notre quotidien. L’Afrique ne peut pas se permettre de rater cette révolution, car ces disciplines restent de puissants leviers de développement. La SAS pour sa part, fait de la science et de la technologie, une priorité stratégique en présentant les nombreux avantages qu’elles apportent en interpellant les dirigeants africains à consacrer davantage de ressources au développement de ces domaines. Des secteurs vitaux pour le développement économique.
La SAS aussi permet de démystifier la science et la technologie dans l’esprit du grand public qui pense qu’elles sont uniquement réservées à une certaine élite intellectuelle.
C.M. : Quel bilan tirez-vous de cette édition sahélienne de la SAS?
A.L.K.: Un bilan très positif et satisfaisant car malgré la situation sécuritaire chaotique que traversent nos pays, il y a beaucoup d’espoir pour l’avenir. Au cours de la semaine, nous avons également découvert des jeunes avec un grand potentiel qui proposent des solutions aux problèmes qui touchent nos communautés et nos pays. Nous pouvons donc collectivement créer l’avenir que nous désirons grâce à notre travail et des partenariats stratégiques. Cela ne peut se produire que si nous avons beaucoup plus de personnes qui s’impliquent dans le développement des STIM, parce que cela constitue une grosse source d’innovation pour notre continent et nos pays.
C.M. : L’un des grands thèmes de cette édition a porté sur le rôle des nouvelles technologies dans le développement de l’Afrique. Pourquoi le choix de cette thématique en particulier ?
A.L.K. : Les technologies jouent un rôle clé dans l’amélioration de la qualité de vie des populations en Afrique, en améliorant l’accès à l’éducation, aux soins de santé, à l’eau potable et à l’énergie. Elles stimulent la croissance économique, en facilitant l’accès aux marchés, en renforçant la compétitivité des entreprises et en créant de nouveaux emplois. Elles permettront également aux populations de mieux comprendre les risques et les impacts des changements climatiques sur l’Afrique en leur offrant des solutions pour y faire face. En résumé, le choix de cette thématique en particulier est justifié par le fait que les technologies peuvent jouer un rôle clé dans la réalisation de plusieurs objectifs de développement en Afrique, en améliorant la qualité de vie des populations, en stimulant la croissance économique, en renforçant la participation citoyenne et en luttant contre la pauvreté, l’exclusion sociale et les impacts liés au changement climatique.
C.M. : Selon la Banque mondiale, dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, les femmes sont 300 millions de moins que leurs homologues masculins à utiliser l’internet mobile. Pour quelles raisons les femmes ont-elles un si faible accès à la connaissance et aux nouvelles technologies ?
A.L.K. : Malgré leurs contributions significatives dans l’histoire des sciences et des technologies dans le monde, les femmes sont les plus oubliées et encore plus les femmes africaines. L’accès des femmes et des filles à la connaissance et aux nouvelles technologies commence dès l’école primaire, perpétuée par les stéréotypes et les préjugés de la société, et continue de s’aggraver à chaque étape scolaire et universitaire puis dans le monde du travail. Il est donc important de prendre des mesures pour aider les femmes à surmonter ces obstacles, notamment en leur offrant des opportunités de mentorat et de formation, en promouvant l’égalité des sexes dans les politiques et les programmes liés aux sciences et à la technologie, en créant des environnements de travail et de formation inclusifs pour les femmes et les filles.
C.M. : Comment justement réduire cet écart ?
A.L.K. : C’est d’abord d’éviter les stéréotypes et les préjugés conscients et inconscients dans les interactions avec les élèves et les étudiantes. Par ailleurs, il faut s’assurer que les femmes soient représentées à tous les niveaux des institutions scientifiques, et qu’elles soient impliquées dans les processus de prise de décision. L’amélioration des matériels pédagogiques destinés aux STIM afin qu’ils prennent en compte la notion d’égalité des sexes et encouragent les filles à cultiver une attitude positive envers ces domaines pour embrasser des carrières dans des domaines scientifiques me parait tout aussi important. Enfin, il importe d’impliquer les femmes dans les programmes de recherche et d’innovation et qu’elles aient des opportunités égales pour présenter leurs travaux et pour recevoir des financements.