« Il est temps de faire émerger nos propres champions nationaux » : Le cri d’alerte du patronat des startups de la tech ivoirienne (CI20)

Portée par des figures bien connues de la Tech ivoirienne telles qu’Alex Degny, Ange Balma, Lamine Barro, et Jean Delmas Ehui (de g. à d. sur la photo), la voix du CI20 s’est élevée pour dresser un état des lieux lucide, dénoncer les obstacles majeurs, mais surtout proposer des solutions concrètes pour bâtir des « champions nationaux ».

Le vendredi 20 juin 2025 à Abidjan, le patronat des startups de Côte d’Ivoire (CI20) a organisé la rencontre “CI20 Onboarding”, avec pour objectif principal de présenter les missions de la plateforme “CI20 Connect”. Au-delà d’être un simple échange entre startup-peurs, cette rencontre a sonné comme un appel à la mobilisation pour la souveraineté numérique et entrepreneuriale de la Côte d’Ivoire.

(CIO Mag) – Dès l’ouverture, Alex Degny, président du CI20 et cofondateur de la startup Tajiri, a donné le ton : « Il est temps de faire émerger nos propres champions nationaux. Nous devons cesser de tendre la main et commencer à consommer nos propres solutions, à créer de la valeur ajoutée entre nous. L’avenir de la Côte d’Ivoire numérique se joue maintenant, et il doit s’écrire par et pour les Ivoiriens. » Ce cri du cœur traduit une volonté ferme de rompre avec la dépendance vis-à-vis de l’extérieur et de bâtir un écosystème où les startups ivoiriennes deviennent les acteurs majeurs de la transformation numérique du pays.

Startups technologiques et réalités ivoiriennes

La notion de startup est souvent mal comprise ou réduite à des clichés que le CI20 s’efforce de clarifier. Selon Alex Degny, une startup n’est pas un statut juridique, mais un modèle économique. Il explique qu’une startup est avant tout une entreprise innovante qui propose des solutions adoptables sur un marché en pleine croissance. L’innovation, poursuit-il, peut être de marché ou technique ; l’adaptation d’un processus existant à un nouveau contexte peut aussi constituer une startup. Pour qu’une entreprise soit considérée comme une startup, ses services doivent être « scalables », c’est-à-dire facilement reproductibles sans trop d’intervention humaine pour s’adapter à l’échelle.

Lamine Barro, CEO d’Etudesk et vice-président chargé des relations gouvernementales et des clusters au sein du CI20, corrobore cette idée en précisant que, selon la loi Startup Act, une startup est « toute entreprise dont la création de valeur est basée sur une innovation ». Il ajoute que cette innovation n’est pas nécessairement numérique, même si la tech est fortement représentée dans l’écosystème des startups. Il souligne également qu’il n’est pas obligatoire d’être formalisé pour une startup en phase d’incubation, contrairement à la phase d’accélération où la formalisation devient importante.

Dans tous les cas, les startups accélèrent l’écosystème numérique en y apportant une panoplie de services innovants. Malgré ce potentiel, le tableau brossé par Alex Degny sur la situation des startups ivoiriennes est préoccupant. Il met en évidence un taux d’échec de 75% en moins de trois ans d’existence pour les startups locales.

Causes profondes des échecs

Plusieurs obstacles majeurs sont identifiés par Alex Degny comme étant à l’origine de cette situation. L’un des problèmes cruciaux est l’accès aux financements et la structuration. Les startups ivoiriennes peinent à trouver des marchés malgré des solutions qui répondent aux besoins spécifiques des entreprises locales.

Un constat amer est fait sur le manque de collaboration interne : « On n’utilise pas nos solutions, on ne se fait pas de marché, pourtant la force d’un réseau ne peut commencer que par une collaboration en interne. »

Le désintérêt des investisseurs en capital-risque (VC) ivoiriens est un point souligné avec force par Alex Degny. Il compare la situation de la Côte d’Ivoire à celle du Nigeria et du Kenya, où les VC locaux jouent un rôle crucial dans le soutien de leurs startups.

En Côte d’Ivoire, les difficultés d’accès aux marchés, le manque de collaboration et l’absence de soutien local ont des conséquences désastreuses sur l’écosystème.

Mainmise des startups étrangères et opportunités manquées

Selon les représentants du CI20, les startups ivoiriennes voient leurs places occupées par des acteurs étrangers, mieux financés et soutenus, qui captent des parts de marché stratégiques dans la Fintech, les Transports, la FoodTech et l’EdTech.

Alex Degny cite l’exemple d’Etudesk, une startup ivoirienne qui a développé une solution d’e-learning avant la COVID-19, mais qui n’a pas été soutenue, privant ainsi la Côte d’Ivoire d’un champion dans ce secteur. De même, il mentionne l’histoire de Yango, une entreprise de mobilité qui a prospéré grâce au soutien d’opérateurs russes, tandis que des initiatives ivoiriennes similaires avec la même technologie n’ont pas bénéficié de l’appui nécessaire, entraînant la perte de « centaines » de champions nationaux.

Jean Delmas Ehui, Founder & CEO de la startup ivoirienne ICT4Dev, renchérit en évoquant le cas de Cinetpay. Cette startup ivoirienne proposait des services similaires à Intouch, mais cette dernière, à force de soutien, a conquis le marché ivoirien. Il explique que les pays étrangers viennent avec la puissance des investisseurs de leur État, ce qui « écrase » les startups locales.

Le manque de considération pour les startups a même affecté des opérateurs de la téléphonie mobile, comme le démontre le cas de Wave dans le paiement mobile en Côte d’Ivoire.

CI20 Connect, le guichet 360 des startups ivoiriennes

Face à ce constat alarmant, le CI20 propose des solutions concrètes, notamment à travers la plateforme “CI20 Connect”. Alex Degny présente le CI20 Connect comme le « guichet 360 des startups ivoiriennes ». L’idée est de créer une collaboration interne forte, où les startups ivoiriennes consomment leurs propres solutions pour créer de la valeur ajoutée. Le programme, déjà lancé, compte près de 80 startups en attente d’intégration.

CI20 Connect propose un parcours de 17 étapes, regroupant des solutions offertes par les membres du CI20 eux-mêmes. Chaque nouvelle solution proposée par un membre sera intégrée comme une proposition de valeur pour les startups du réseau. Alex Degny souligne le potentiel de ce marché interne, avec 300 startups formalisées et 10 000 aspirants startups en Côte d’Ivoire. Parmi les solutions concrètes, on retrouve une mise en relation des talents, de l’accompagnement juridique et fiscal, et du financement.

Lamine Barro explique que le CI20 Connect est une nouvelle plateforme (connect.CI20.net) déployée pour restructurer l’accompagnement des startups. La première phase de la plateforme vise à collecter et cartographier les startups à l’échelle nationale. En sus, la plateforme permet de renseigner la présentation de la startup, son innovation et de sélectionner les secteurs d’activité, classifiés selon huit clusters basés sur les secteurs de la tech.

Annuaire du CI20

Ange Balma, CEO de la startup Lifi Led et vice-président du CI20, souligne l’importance de cette cartographie des startups qui a permis la création d’un annuaire. Cet annuaire permet non seulement de connaître les startups et leurs activités, mais aussi de le partager avec les bailleurs de fonds, les institutions étatiques et les ministères. L’annuaire est conçu pour permettre de trouver et contacter facilement les startups.

Alex Degny précise que le parcours proposé par le CI20 n’est pas une incubation séquentielle. Une startup peut avoir besoin d’une seule étape spécifique, comme un accord B2B avec un autre membre du CI20. Cependant, pour les porteurs de projets qui ne savent pas comment créer une startup, le CI20 offre un parcours linéaire complet.

Il lance également un appel à la diaspora, les invitant à rejoindre le CI20 pour trouver tous les éléments nécessaires à la création de leur entreprise jusqu’à la levée de fonds. L’objectif est d’atteindre 300 startups inscrites au CI20 d’ici décembre 2025, fluidifiant ainsi le processus d’adhésion.

La vision du CI20 est claire : transformer l’écosystème des startups en Côte d’Ivoire en favorisant la collaboration interne, en offrant un soutien structuré et en encourageant les investisseurs locaux à s’engager. Le cri d’alarme d’Alex Degny est un appel à l’action pour que la Côte d’Ivoire ne perde plus des « centaines » de champions et prenne toute sa place dans l’innovation mondiale.

Anselme AKEKO

Responsable éditorial Cio Mag
Correspondant en Côte d'Ivoire
Journaliste économie numérique
2e Prix du Meilleur Journaliste Fintech
Afrique francophone 2022
AMA Academy Awards.
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