Abdelwahab Ben Ayed a créé l’entreprise tunisienne Poulina en 1967 en commençant dans l’aviculture. Un demi-siècle plus tard, il est président du conseil d’administration d’un conglomérat – Poulina Group Holding – aux activités diversifiées jusque dans le numérique. PGH pèse un demi-milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2017.
Propos recueillis par Charles de Laubier, avec l’aide précieuse de Naceur Kchaou, directeur du développement numérique du groupe Poulina (PGH) et directeur général General de DataXion.
CIO Mag : PGH s’est diversifié dans l’immobilier, les travaux publics, le bois, l’électroménager, le mobilier de bureau, les produits de grande consommation, l’acier, le commerce, l’hôtellerie, la restauration ou encore l’informatique. Comment le numérique a modernisé votre groupe ?
Abdelwahab Ben Ayed : Je comprends aujourd’hui parfaitement que le numérique va transformer radicalement tous les domaines dans lesquels PGH opère, et c’est pour cela que depuis 2011 nous avons lancé la transformation de nos usines en des usines 4.0. Cette transformation fournira un avantage compétitif très important aussi bien au niveau du coût qu’au niveau de la qualité, et cela nous permettra de nous positionner pour le futur et nous maintenir en tant qu’entreprise innovante et leader sur son marché. En parallèle, le groupe se positionne aujourd’hui en pionnier des centres de données en construisant dès 2015 un datacenter de colocation – DataXion – répondant aux normes les plus exigeantes au niveau international. Autour de ce datacenter, nous développons un véritable écosystème numérique au travers de partenariats internationaux dans le domaine du cloud, de l’infogérance, de la sécurité et de la formation des ressources humaines dans le secteur. Le groupe est en train d’étudier d’autres opportunités de développement en Afrique et Europe. Cette activité n’en est aujourd’hui qu’à ses débuts mais elle apportera dans le futur une valeur ajoutée importante au groupe et sera certainement l’un de ses vecteurs de croissance.
CIO Mag : Depuis quand le groupe Poulina s’est diversifié dans l’informatique ?
A. B. A. : Le groupe PGH a toujours été un pionnier dans l’informatique et les systèmes d’information et d’organisation. En 1986, il a pris la représentation des PC IBM à travers sa filiale Aster Informatique. Avant de lancer les premiers PC compatibles IBM sur le marché tunisien. PGH a été l’un des pionniers de la GPAO (Gestion de production assistée par ordinateur) en Tunisie, avec l’introduction du progiciel Prodstar dans les filiales du groupe et en Tunisie dès 1990. Poulina a aussi introduit les progiciels de gestion d’entreprise à travers la gamme Saari (aujourd’hui Sage). Dès 1993, toutes les filiales du groupe et tous les cadres utilisaient la messagerie électronique : une première en Tunisie. A la fin des années 1990, les informaticiens du groupe ont transformé Lotus Notes en un véritable outil de gestion des workflow administratifs (gestion des missions, investissements, réunions, courrier, et toutes les procédures administratives). Le groupe a aussi été le pionnier de la gestion des compétences, en développant un véritable système d’information de gestion des ressources humaines (SIRH). Dès l’apparition dans le monde des datawarehouses et des systèmes décisionnels, le groupe a implanté ces technologies dans toutes ses filiales, véritable épine dorsale de tout le système du groupe (suivi et contrôle en temps réel des indicateurs de gestion et intervention rapide et efficiente). Ces systèmes d’information ont été l’un des facteurs-clés de succès du groupe. Cela lui a permis d’avoir un avantage compétitif et une qualité de gestion qui font sa réputation aujourd’hui.
« Ce qui ne se mesure pas ne se gère pas, et l’informatique m’a apporté dans tous les domaines la mesure précise pour pouvoir prendre la bonne décision au bon moment. »
CIO Mag : Avez-vous vous-même pris part et comment à cette diversification informatique ?
A. B. A. : Bien que ce ne soit pas mon domaine, j’ai personnellement tenu à encadrer et à suivre de près les développements de l’informatique et la mise en pratique opérationnelle des idées que me présentaient mes collaborateurs. En même temps j’apportais la dimension stratégique des systèmes mis en place, car j’ai toujours considéré que la qualité de gestion est le facteur de la réussite de notre groupe. Et l’informatique apporte la rigueur et la mesure qui permettent de piloter, s’ajuster et corriger toute déviation. Comme je l’ai souvent dit à mes collaborateurs, ce qui ne se mesure pas ne se gère pas, et l’informatique m’a apporté dans tous les domaines la mesure précise pour pouvoir prendre la bonne décision au bon moment. L’informatique nous a aussi permis d’installer une véritable méritocratie dans le groupe grâce à un système très élaboré d’évaluation ; elle nous a permis des gains très importants dans le domaine de l’énergie, les coûts mais aussi dans le domaine de la rémunération et de l’évaluation de la performance. Un système qui après 25 ans de développement a abouti à une organisation performante dont nous sommes tous fiers.
CIO Mag : En 2017, Poulina a récompensé le gagnant du 1er « Smart Agriculture Hackathon » du Salon international de l’agriculture, du machinisme agricole et de la pêche (Siamap). Comment pensez-vous que le digital change la Tunisie ?
A. B. A. : Dans un pays comme la Tunisie, qui ne possède pas de ressources naturelles suffisantes et qui se positionne comme un satellite pour l’Europe et un hub pour l’Afrique, le digital est la clé de la transformation de la Tunisie. C’est en ce sens que nous investissons énormément dans la formation de nos cadres dans le domaine des nouvelles technologies et des systèmes qui l’accompagnent. Nous savons parfaitement que la moitié de nos cadres vont partir dans d’autres entreprises tunisiennes, vu la qualité de la formation qu’on leur dispense. Non seulement nous acceptons cela, mais nous considérons que c’est notre devoir et notre contribution pour notre pays. C’est à travers des jeunes qui comprennent et maîtrisent ces technologies que l’économie tunisienne rebondira. Ce que nous développons aujourd’hui au sein de PGH est une dimension africaine de ce secteur. En effet, l’Afrique est actuellement en pleine mutation et nous pensons pouvoir contribuer au développement du digital en Afrique.
CIO Mag : Vous venez d’avoir, en avril 2018, 80 ans : comment utilisez-vous personnellement l’informatique et les services numériques ?
A. B. A. : Depuis les années 1990, je dispose, comme tous mes collaborateurs, d’un tableau de bord numérique accessible au bureau, à la maison ou en déplacement. Le groupe a développé ses propres outils, afin d’informatiser et d’automatiser les processus de gestion. PGH est déjà depuis plusieurs années dans l’ère de l’administration sans papier.
Article paru dans CIO Mag N°55 Novembre/Décembre 2018
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